J'ai découvert le livre"Où est passée la critique sociale" de P. Corcuff par sa présentation sur "Médiapart" et je l'ai acheté au "Livre"-Place du Grand-Marché- à Tours. Le fait de se l'y être procurré (sans le commander) n'en garantit pas la qualité, mais démontre une fois de plus celle de cette librairie... soit dit en passant et sans le moindre intérêt à l'affaire.
Je vais m'essayer à une note de lecture. Je précise que je n'ai aucune expérience (universitaire) de cette pratique et qu'il s'agira donc autant de la façon dont ce livre nourrit mes réflexions que du texte dont je rends compte. Elle est numéroté "1" car je n'ai pas fini et qu'elle ne porte donc que jusqu'à la page 182, les 100 pages restantes feront, peut être, l'objet d'une note n° 2. Le simple fait d'avoir autant avancé dans cette lecture, malgrès les nombreux obstacles que chacun peut imaginer: chaleur excessive des derniers jours, siestes prolongées, travaux de tonte, insectes,...témoigne déjà d'un intérêt qui me pousse à en rendre compte.
Corcuff livre un travail d'oxymores et de compilation.
Il déroule par de brèves références les travaux d'une multitude de ses collègues, chercheurs en sciences sociales, philosophes, économistes livrant (son) aperçu de l'état actuel de la critique sociale. Pour qu'elle prenne corps, il faudrait cependant recréer des passerelles entre les champs différents qui la cloisonnent, lui même en tente quelques-uns plus ou moins réussis avec des paroliers de refrains à la mode ou le scénariste d'un succès du cinéma. La pensée par oxymore (c'est moi qui le dit) est d'essence Proudhonnienne (ça c'est de Corcuff). D'une contradiction on ne doit pas systématiquement chercher à sortir par un dépassement synthètique, on peut laisser en tension, chercher un global, non totalisateur, qui laisse des équilibres instables se constituer. Mais lui même cherche ces mises en tensions, il confronte des auteurs. Rancière et Bourdieu, pas l'un contre l'autre, mais l'un et l'autre pour éclairer, au début du livre, la notion d'émancipation.
Cette première partie bien réussie donne envie de rentrer dans le livre, outre Bourdieu et Rancière on y trouvera donc beaucoup d'autres auteurs et l'intervention, très opportune, de Michel Jonasz pour le texte de sa chanson "Vacances au bord de la mer".
La "tendance Rancière" est très intéressante, elle emmènerait dans son sillage, la "common decency" de Georges Orwell et d'autres théories où observations sociologiques. La common décency, c'est de mémoire au travers d' un exemple qui m'avait marqué lors de la lecture "d'Hommage à la Catalogne", le jeune Orwel partant combattre pour la république espagnole et qui se trouve, on peut imaginer crevant de faim et de soif, dans un autobus surchargé qui bringuebranle vers Barcelone, et qui se voit tendre une gourde de vin par un inconnu qui montre ainsi d'un simple geste qu'il a tout compris; c'est aussi le livre d'un philosophe Bordelais (qui était passé le présenter au"Livre") que ne cite pas Corcuff, la tendance Rancière consiste à ne pas réduire les opprimés à leur oppression mais à saisir les positionnements par les quels ils y résistent et par lesquels on peut en sortir. Comme les élèves apprennent malgrès/grâce à l'ignorance (qui ne l'était quand même pas tant que ça-NDR) du maître. Bourdieu représenterait un courant qui pratique la critique "en surplomb", il est ainsi rattaché à Lénine (je ne suis pas sûr qu'il aurait validé) et à sa théorie du parti d'avant-garde chargé d'ouvrir de l'extérieur les voies de l'émancipation. Ce positionnement s'avère, selon Jonasz/Corcuff, tout aussi indispensable que le précédent. Dans sa frustation de devoir se contenter de glaces à l'eau, Jonasz se souviens de ses vacances en disant "que c'était quand même beau". Voici les commentaires de Corcuff: " A la différence de certaines tentations de Rancière, la chanson imprégnée du caractère composite et ambigu de l'expérience ordinaire, ne cherche pas à purifier l'émancipation de l'ombre portée de la domination" Autrement dit, tel que je le comprends, l'opprimé ne peut être laissé seul avec son potentiel d'émancipation (que serait-il advenu si le maître avait réellement été ignorant? -NDR), spontanément il supporte en trouvant "quand même beau"les bateaux, le paysage, que lui offrent, tout en l'en tenant à l'écart, les dominants. Pour aller au delà de l' horizon de la domination, il y a besoin aussi des vues "en surplomb", qui en démontent les mécanismes. J'ai découvert plus avant dans le livre en quoi j'étais un nostalgique de la pensée "totalisatrice", pour ma part j'aurais en effet résolu la contradiction sur le mode Léniniste "faire de chaque intellectuel un militant ouvrier révolutionnaire et de chaque ouvrier un intellectuel révolutionnaire" et j'ai pourtant bien conscience, d'autant que n'étant (plus?) ni l'un ni l'autre, de l'aspect cramoisi de ce type de formule. On en vient à la question politique actuelle que pose les premiers mois du gouvernement et à laquelle peuvent se confronter sans attendre les deux visions, mises en tension, de l'émancipation. Corcuff abordait cette question de la façon suivante en présentant son livre:
question:"Ce n’est encore qu’un premier sentiment, mais on a l’impression que la gauche revenue au pouvoir se contente déjà de mesures timorées, sans prendre en compte une critique sociale réelle.
Cela s’explique-t-il d’abord par le comportement de cette gauche menée par un PS qui n’aurait pas profité de sa cure d’opposition pour renouveler son logiciel idéologique, ou plutôt par la faiblesse de la critique sociale aujourd’hui ?
P. Corcuff:Cela se joue dans l’écart qui s’est constitué entre les trois piliers que sont le champ politique institutionnel, les mouvements sociaux et les milieux intellectuels. Le champ politique institutionnel a des liens de plus en plus en faibles avec les mouvements sociaux critiques, parce qu’il se situe dans un esprit plutôt gestionnaire. La gauche institutionnelle s’est aussi éloignée des secteurs intellectuels critiques et est dominée par une pensée technocratique de l’expertise. Elle cherche comment réparer des bouts de tuyaux des machineries qui nous dominent sans s’interroger sur les machineries elles-mêmes."
Je ne me base que sur trois discussions à bâton rompu avec deux anciens ouvriers et un ancien cheminot se réclamant toujours les trois du "communisme", deux ayant voté Hollande dès le premier tour, le troisième Mélenchon ou Hollande je ne sais pas. Un point commun ressort de leurs déclarations, quelque chose (que je partage) de l'ordre d'un pur bonheur politique sans illusion ni arrière pensée:" je ne lui (à Hollande) demande rien" affirme l'un dont l'épaisseur de la pension de retraite est certainement en dessous de ce que le luxe et les calories étaient aux glaces à l'eau de Jonasz...Face à ce type de réaction j'aurais il y a quelques années, exaspéré par tant de résignation, attendu, espéré que les illusions tombent face aux reniements et aux trahisons des sociaux-traitres.
Des discours entrant dans ce registre semblent se déclancher automatiquement, par exemple sur ce site "François Hollande se social-libéralise", le problème c'est que je ne vois pas quand il s'était "désocial -libéralisé"...J'ai voté pour lui en connaissance de cause. Oui il y aura des désillusions et surtout des luttes sociales qui auront à faire au gouvernement. Pour autant la position de mes interlocuteurs (avec lesquels je mets la mienne) a-t-elle pour limite leur ignorance où au contraire la conscience implicite de la limite des possibilités actuelle de la critique comme moyen de les rassembler pour pouvoir demander plus?
Voilà ce à quoi peut donner à réfléchir utilement ce début de lecture, c'est déjà pas si mal.
Si je persistait par un numéro 2 j'aimerais revenir sur la perte d'un concept "totalisateur" à même de concentrer la vision de la société et donc sa critique dont traite ce livre et sur sa conséquences dans mon milieu professionnel enseignant.