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Billet de blog 28 décembre 2010

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Le Mouvement des Seine-et-Marnais, un micro-parti au service d'Yves Jégo

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Actualisations

Ce billet, publié initialement le 28 décembre 2010, est l'objet d'actualisations, au fur et à mesure que me parviennent des informations qui peuvent le compléter et l'améliorer. La version actuelle date du 30 janvier 2011.

Avant propos

Depuis dix ans Yves Jégo dirige le Mouvement des Seine-et-Marnais (MdSM), un parti dont les Seine-et-Marnais n'ont jamais entendu parler. Mais quel peut être l'intérêt pour un homme politique de créer une formation politique qui ne fait pas de politique ?

La réponse est simple : le MdSM, par l'intermédiaire de son association de financement, permet à Yves Jégo de recueillir légalement, indirectement et discrètement des dizaines de milliers d'euros de fonds publics destinés à lui donner les moyens de ses ambitions locales et nationales.

Le Mouvement des Seine-et-Marnais est en effet un de ces micro-partis récemment mis en lumière par l'affaire Woerth-Bettencourt. Notre propos est de dévoiler son fonctionnement aux contribuables qui le financent, dont il est supposé défendre les intérêts et qui ignorent jusqu'à son existence : les Seine-et-Marnais, et particulièrement les citoyens de la ville de Montereau-fault-Yonne qui abrite son siège social.

satellites" : une même personne physique peut ainsi financer plusieurs partis, en versant à chacun le montant plafond des dons autorisés, les partis bénéficiaires reversant ensuite l’argent récolté au "parti central" ».

Cette critique est pertinente pour des campagnes nationales, comme la présidentielle de 2007, mais la situation est un peu différente durant les inter-campagnes, et à l'approche des scrutins locaux, voire législatifs.

Les « partis de poche » présentent en effet d'autres avantages encore :

  • Ils permettent à des notables locaux de disposer d'une structure politique à leur main.

  • Ils apportent une source supplémentaire et régulière de revenus, outre celles plus ponctuelles des associations de financement des campagnes électorales, ou d'éventuelles contributions du parti central. Un donateur fidèle peut ainsi cumuler des dons ponctuels lors des campagnes (avec une réduction d'impôts de 66% dans la limite de 4600€) et des contributions annuelles au parti de poche de son champion (réduction d'impôt de 66% dans la limite de 7500€).

  • Ils sont un outil de gestion simple et efficace du nerf de la guerre : récupération de produits de manifestations publiques, d'éventuels excédents de comptes de campagne, de revenus de placements financiers, etc.

  • Ils permettent en conséquence une réelle indépendance par rapport au parti central, dans un contexte de forte implantation locale.

Les sommes engrangées par l'immense majorité de ces mouvements peuvent paraître assez modestes : quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d'euros par an et par formation. A l'échelle locale toutefois, elles sont loin d'être négligeables. Elles permettent tout en maintenant sous pression le cercle des donateurs d'inscrire une action politique locale dans une certaine continuité, et d'anticiper sur plusieurs exercices comptables les batailles électorales locales à venir, en étalant ou programmant un certain nombre de frais : location d'une permanence, acquisition et entretien d'un véhicule de campagne, organisation de manifestations régulières, publications et autres dépenses courantes, le tout financé indirectement à hauteur des deux tiers par le contribuable.

Le 29 septembre 2000, lors d'une réunion publique à la Maison de la Vallée à Avon, les maires de Montereau, Fontainebleau et Avon portent cette formation politique « sur les fonds baptismaux » comme le souligne la République de Seine-et-Marne du 2 octobre 2000. Curieusement, c'est le 1 rue du Calvaire à Montereau qui est donné par la République comme adresse où contacter le mouvement. En 2004, le MdSM et son association de financement, l'AFMdSM (nous en reparlerons plus loin), déclarent officiellement en sous-préfecture leur transfert au 6, rue du docteur Arthur Petit, à Montereau-fault-Yonne.

La même année, dans son rapport sur les comptes des formations politiques pour l'année 2002, la CNCCFP fait mention dans son tableau récapitulatif du MdSM, elle désigne Yves Jégo comme principal responsable et Jean-Marie Albouy comme trésorier (annexe au J.O. N°218 du 18 septembre 2004).

Les années suivantes, la CNCCFP déclare ne plus souhaiter « faire figurer d'informations nominatives sur les responsables des partis politiques afin d'éviter de publier une information obsolète ou erronée ». Il est toutefois raisonnable de penser que M. Jégo est en 2010 encore responsable de ce mouvement.

Nous n'avons pas connaissance d'autres publications écrites (journaux de campagne, tracts...) d'Yves Jégo faisant explicitement référence à un Mouvement des Seine-et-Marnais. La dernière en date est « MVE » (« Mieux vivre ensemble ») qui a sorti son numéro 1 en juin 2010. L'adresse fournie est bien la même que celle du MdSM et de son association de financement, mais en 24 pages et plus de 17 000 mots, il n'est fait aucune mention de ces deux organisations (document 2).

Même discrétion au siège du MdSM, 6 rue du docteur Arthur Petit, à Montereau-fault-Yonne.

Qui loge au 6, rue du docteur Arthur Petit ?

Nous nous sommes en effet rendus à l'adresse officielle du Mouvement des Seine-et-Marnais, 6 rue du docteur Arthur Petit à Montereau (document 3). Nulle mention à cette adresse de ce parti. En revanche une grande enseigne et une plaque de cuivre y domicilient la permanence du député Yves Jégo et proposent un numéro de téléphone.

Cependant, la permanence d'Yves Jégo est selon la fiche du député sur le site de l'Assemblée Nationale située au 1, rue du calvaire. Nous transportant à cette adresse (document 4) nous trouvons l'école de la 2ème chance.

Même perplexité quand nous consultons l'annuaire. Dans la recherche inversée des pages blanches, le numéro placardé rue du docteur Arthur Petit est signalé comme numéro en liste rouge. Mais en menant cette fois-ci une recherche par l'adresse, l'annuaire donne un autre numéro, au nom d'un particulier appelé Yves Jégo.

Tout cela est très embrouillé. Qui possède ou loue ces deux locaux ? Où se trouvent réellement le MdSM et son association de financement ? Quelle est l'adresse réelle de la permanence du député ? Que vient faire l'école de la deuxième chance à l'adresse officielle de cette permanence ?

Une chose est certaine : faire concorder le Mouvement des Seine-et-Marnais, son adresse officielle et un lieu précis n'est pas chose facile.

Observons les exercices comptables accessibles en ligne via le site de la CNCCFP, c'est à dire les huit années de 2002 à 2009.

Nous constatons, après une période de démarrage un peu lent, une montée en puissance des dons. Sur ces exercices dont nous avons les chiffres, les dons de personnes physiques, cotisations d'adhérents et contributions d'élus s'élèvent à (sans les centimes) :

Dons : 124 081 €

Cotisations et contributions d'élus : 20 542 €

Total : 144 623 €

Ces dons, cotisations et contributions étant déductibles à 66% de l'impôt sur le revenu (dans la limite de 20% du revenu imposable), les généreux donateurs, adhérents et élus ont donné en réalité 49 172 €, et les généreux contribuables 95 451 €.

L’Association de Financement du Mouvement des Seine-et-Marnais est donc une efficace pompe à finance, qui a permis de glaner près de 100 000 € en 8 ans dans les poches de contribuables qui ignorent son existence.

Cette activité ne se substitue pas mais s'ajoute à celle des associations de financement des campagnes électorales de M. Jégo, qui permettent d'autres dons, ouvrant également droit à une réduction d'impôt.

En 2007 par exemple, deux associations de financement sont créées, « l'association pour le financement de la campagne d'Yves Jégo » en mars pour les législatives de 2007, et en décembre l'association pour « le financement de la campagne électorale de la liste vivre au confluent » conduite par Yves Sego (sic) pour les municipales de 2008.

Le rapport de la CNCCFP sur l'exercice 2010 n'est pas encore publié. Mais l'activité de l'AFMdSM continue à plein régime.

Quelques jours avant la manifestation, bonne nouvelle pour les militants, la participation aux frais est prise en charge par le Parti Radical (document 7). Curieusement, c'est la trésorière du Parti Radical qui remboursera ceux qui auraient déjà versé cette somme à l'Association de Financement du Mouvement des Seine-et-Marnais (phrase encadrée par nos soins).

Nul doute que ces transferts d'une formation politique à l'autre, dans le cadre d'une campagne électorale, apparaîtront dans les comptes pour l'exercice 2010. Il est toutefois curieux qu'une association de financement chargée selon la CNCCFP de financer les activités du MdSM « à l'intérieur du département de la Seine-et-Marne » ait été initialement sollicitée pour participer au financement d'une manifestation politique du Parti Radical à Boulogne-Billancourt, pour soutenir la campagne électorale d'une candidate de l'UMP.

En fait, le Brunch des idées fut reporté sine die, officiellement pour mauvais temps.

La référence au Mouvement des Seine-et-Marnais, si elle est cette fois-ci explicite, reste très discrète, noyée dans les informations légales.

Ces « soutiens d'Yves Jégo » se voient proposer l'adhésion à un « club Fidelis » leur garantissant un « lien direct » et des rapports « privilégiés » avec l'élu.

Cette rhétorique digne du programme de fidélité d'une enseigne commerciale étonne de la part d'un élu de la République.

Le Mouvement des Seine-et-Marnais : un pan du « système Jégo ».

Le Mouvement des Seine-et-Marnais est donc une formation politique inconsistante, mais son association de financement est une efficace pompe à finance. C'est parfaitement légal, mais contestable dans son principe même.

Il ne s'agit toutefois que d'un pan du « système Jégo », un montage astucieux construit depuis quinze ans pour contrôler un fief et asseoir une carrière. Chacun de ses éléments mériterait à lui seul un développement : le cumul de quatre mandats, l'emboîtement et la géométrie variable des allégeances politiques, le positionnement improbable et sans doute provisoire à la gauche de la droite, l'organisation de coûteux « jeux du cirque », un remodelage volontariste du tissu urbain, l'adoption des gadgets des écolo-marchands, une communication délibérément surannée, et les procès faits aux opposants.

Homme politique relativement jeune, Yves Jégo n'en est pas moins un exemple frappant du retard désespérant de la vie politique française sur les démocraties voisines qui sont, à l'exception notable de l'Italie, plus avancées.

Jean-Michel MUYL

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