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Billet de blog 1 septembre 2014

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LE NOUVEAU GOUVERNEMENT EST-IL (SEULEMENT) CONSTITUTIONNEL ?

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La Constitution de 1958 accorde au président de la République des pouvoirs exorbitants. Il est le chef des armées (art.15) et peut déclarer l'état urgence à sa guise (art.16). S'il s'avérait qu'un président en exercice ne respecte pas la Constitution, la porte serait ouverte à tous les arbitraires.

L'article 8 stipule: Le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses  fonctions  sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.  Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

François Hollande a-t-il mis fin aux fonctions de Manuel Valls lorsque celui-ci lui a présenté la démission de son gouvernement, oui ou non ? S'il ne l'a pas fait, avant de le renommer et sur sa proposition de nommer les autres membres d'un nouveau gouvernement, il n'a pas agi constitutionnellement.

Le texte et la représentation

Ou cette action est une dérogation légitime au texte de la Constitution ; l'article 8 étant clair et ne renvoyant à aucune annexe, on attend des explications. Ou c'est une erreur de l'acteur et il faut reprendre la pièce en y apportant la correction qui s'impose.

De toute façon, n'y a-t-il pas lieu de demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur cette différence entre le texte et la représentation ? 

Point de détail, dira-t-on, simple formalité... "Comme vous voilà pointilleux, vous qui êtes contre la Constitution !"  Pardon. Il n'y a pas de point de détail ou de simple formalité dans la Constitution. Celle-ci a beau être critiquable à bien des égards, elle n'en reste pas moins la charte de notre relation actuelle, en tant que peuple électeur, avec nos gouvernants. A défaut de l'intervention des instances de contrôle prévues par cette Constitution, et en attendant le mouvement populaire qui amènera à en écrire une meilleure, c'est à nous simples citoyens de veiller à ce que celle en vigueur soit respectée à la lettre par ceux qui l'ont imposée au peuple français sans lui réserver aucun droit à sa révision.

De la représentation

Un défaut majeur de la Constitution actuelle est qu'en tant que peuple électeur nous n'avons de souveraineté que par nos représentants (art. 3). Encore cette souveraineté représentative ne s'exerce-t-elle que dans la sphère législative (art. 20). Le plus gros défaut de la Constitution de 1958 est que nous sommes gouvernés par des gens qui ne sont pas élus, ni par le peuple directement, ni par les élus indirectement.

La Constitution établit la représentation comme seule source de légitimité démocratique (art. 3). La légitimité gouvernementale est d'un autre type. Les ministres sont nommés directement par le chef de l'Etat (art.8). Leur légitimité leur vient donc uniquement de lui, dont la légitimité vient de son élection au suffrage universel. C'est cette légitimité indirecte, et elle seule, qui politiquement lie les ministres à un peuple qu'ils dirigent mais ne représentent pas.

Cette légitimité par président interposé tient donc à un fil. Ce fil, c'est le respect scrupuleux par le président de la Constitution, manifesté pour commencer dans l'acte même, combien symbolique, de la nomination de tout nouveau gouvernement ; respect scrupuleux qui est la moindre des marques de considération que le président se doit de témoigner au peuple qui lui a conféré sa légitimité en l'élisant. A la différence de la fidélité à ses promesses, à quoi rien dans la Constitution ne l'oblige (art. 27), le fait d'avoir été élu ne lui rend pas sa liberté de choix quant à la façon de démissionner et de nommer son Premier ministre.

Or, à quoi avons-nous assisté il y a deux semaines? 

Le spectacle médiatique du changement de gouvernement pas été celui d'un acte constitutionnel respectueux avant tout du contrat politique passé avec la nation : ça n'a été que le spectacle d'une action mélodramatique où un monarque renouvelle sa confiance à son dauphin, sans transition.

Si notre président, en agissant comme un monarque, a dérogé à son obligation, que ce soit par inadvertance ou délibérément, qu'il s'en explique.

S'il n'y a pas dérogé en raison d'une disposition qui n'est pas inscrite dans la Constitution de 1958, mais serait néanmoins constitutionnelle, que le Conseil constitutionnel veuille bien, sur ce point, dissiper nos appréhensions.

A grands évènements, petits prétextes suffisent. Un coup d'Etat est en germe dans une intronisation fautive. A moins que le Conseil Constitutionnel, l'Assemblée ou le peuple ne réagissent.

Le combat des chefs

Tout se donne aujourd'hui en spectacle, la politique au premier chef : ce qui est omis n'en est que plus parlant. Constitutionnel ou non, le spectacle qui nous a été offert a fait l'impasse sur une disposition ne renvoyant à aucun correctif de la Constitution. En faisant cette impasse - en "chargeant son Premier ministre de constituer un nouveau gouvernement" (la Presse) sans d'abord le démettre, ni même, avant de le renommer avec la solennité habituelle aux institutions, prendre le temps d'une respiration, - le président n'a-t-il pas agi avec une certaine précipitation?

Au-delà de son anticonstitutionnalité éventuelle, une telle précipitation n'est-elle pas un acte de mépris envers le peuple, en le supposant indifférent à la charte qui oblige ses gouvernants à un minimum de ménagements ? On pourrait le croire, à juger la façon dont les média dirigés par l'Etat se comportent, comme s'ils étaient  missionnés pour faire passer ses coups de tête pour des lois.

Il y avait un chœur dans le théâtre antique. C'était la voix de la sagesse. La justice était son baromètre ; le peuple, son orchestre. Ne serait-il pas temps d'accorder nos violons ? A voir l'entrain de notre président à faire entrer dans son gouvernement l'argent sans masque, on pourrait être tenté de croire que l'effet vient logiquement avant la cause, le durcissement politique avant une économie à deux vitesses, et que la décision du chef de l'Etat de se doter d'un "gouvernement de combat", annoncé après la défaite de mars, vient d'amont.

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