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Billet de blog 5 août 2014

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La guerre est un système de gouvernement

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"J'ai vu mourir deux générations des miens. Je sais la différence entre guerre et paix mieux que quiconque en mon pays…" 

Merci WataYaga pour votre émouvante citation de Wahunsenacawh, qui en évoque combien d'autres tout aussi poignantes, rappelées en 1970 dans Pieds nus sur la Terre sacrée de T-C McLuhan, et actualisées depuis jour après jour par la parole qu’il nous est encore donné d’entendre des derniers peuples libres. Merci à Survival qui depuis plus de quarante ans les arrache au silence dont la gestion gouvernementale de la civilisation en progrès toujours croissant  (quoique de plus en plus problématiquement) escorte la marche de la dévastation industrielle sur tous les continents.

Quant à cette chronique d'une extermination annoncée que nous vivons depuis près d’un mois au jour le jour, ce n'est pas seulement le peuple palestinien qu'Israël et ses alliés euro-américains veulent mettre à genoux, c'est nous, citoyens d'États démocratiques et peuples de la terre, renvoyés en masse à notre impuissance, - aussi indignés soyons-nous et aussi fort que nous proclamions notre écoeurement, - sans attendre, comme Bush il y a onze ans, la plus grande manifestation jamais vue sur la terre pour lui répondre par le camouflet d'une guerre (celle d'Irak alors) engagée au mépris de tout le monde.

Face à cette extermination d'un peuple ami qu'un État hostile accomplit sous nos yeux avec l'absolution de celui que nous nous continuons à tenir pour nôtre, - bien qu'il soit patent qu'il ne parle ni n'agit en notre nom et qu'il sert des intérêts qui ne sont pas les nôtres, - nous sommes incapables, semble-t-il, d'influer sur notre gouvernement.

D'où vient cette incapacité ? Est-elle inanalysable ? Nous les fiers descendants de la Révolution et des Gaulois, d’où vient notre impuissance à agir sur notre gouvernement ? Question qui mérite qu'on y réfléchisse.

D'ici que nous élisions un nouveau Président de la République sur la foi de son boniment, ne serait-il pas temps d'essayer de comprendre dans quel système nous vivons ?  

Une des raisons pour lesquelles nous sommes sans influence sur notre gouvernement est qu'il n'a aucun respect pour nous, sans aucun doute ; et s'il n’a aucun respect pour nous, c'est parce que nous ne lui inspirons aucune crainte. Comment nous craindrait-il, tant que nous n'avons pas compris en quoi il consiste ? Jusqu'où faudra-t-il qu'il aille dans la fourberie pour que nous comprenions ? Et jusqu’où faudra-t-il que nous allions, nous, dans la soumission consentante ? Souvent, au fond du sentiment d'impuissance, il y a la peur d'agir. A la source de la peur d'agir, n'y a-t-il pas la peur de comprendre ?

Allons-nous continuer à payer l’impôt qui n’est que la forme moderne du tribut jadis imposé à des vaincus ? Allons-nous continuer à hausser par nos voix une classe politique au-dessus de nous pour qu’elle s'amuse à nous traiter comme des débiles ? Allons-nous réélire en 2017 un Président de la République sur des promesses dont nous savons qu'il ne pourra pas les tenir ? Ne serait-il pas temps de remettre en question notre système de gouvernement?

Nous avons vu la guerre revenir en Europe au tournant du siècle après une éclipse. Prenons garde qu'un Président de la République ne nous entraîne chacun de nous corps et biens dans une guerre que nous n'aurons pas voulue (ça arrive vite!), après nous être faits par « impuissance » complices d'une politique que nous vomissons.

En attendant, que fait notre armée en Afrique ?... Autre question qui mérite, elle, qu’on se documente... Quoi qu’il en soit, n'est-il pas aberrant que nous confiions, pour cinq ans, à un homme seul, élu sur des bobards, le droit exclusif de déclarer la guerre à qui bon lui semble, sans nous consulter, en notre nom ? Raison d'État, dira-t-on. Mais la raison d'État est la mort de la démocratie de plus en plus aphasique. Même un stratège athénien, même un dictateur romain n'avaient pas un pouvoir aussi exorbitant que notre actuel Président. Un stratège athénien ne pouvait entrer en campagne qu'avec l'aval de l'Assemblée du peuple, et un dictateur romain n'était nommé par le sénat avec pleins pouvoirs pour enrôler la plèbe dans sa guerre interminable[1] que pour une seule bataille. Il se désistait sitôt celle-ci menée à bien.

PS - Entièrement d'accord avec ce que vous dites des anciens Grecs, qui s’applique plutôt à Athènes et à Sparte, amplement documenté dans Thucydide. Un exemple entre cent, le discours de Cléon à l'Assemblée d'Athènes lors de l'affaire de Mytilène  (427 avant J.-C.) : « Vous ne comprenez pas que la domination que vous exercez n'est rien d'autre qu'une tyrannie ; que ceux qui y sont soumis conspirent contre vous et subissent impatiemment votre loi ; que s'ils vous obéissent, ce n'est pas à cause des complaisances qu'à votre détriment vous pouvez avoir pour eux, mais dans la mesure où vous tirez votre autorité de votre force plutôt que de leur loyauté. »   La Guerre du Péloponnèse, III, 37. Quant à cette force fondatrice du droit, qu'Aristote s'emploiera à théoriser dans les leçons qu'il donnera à Alexandre, - contradiction centrale et, à terme, fatale, car minant en son cœur le principe sur lequel tous les États se fondent, - les Athéniens défendant leur cause à Sparte face aux Corinthiens (qui les accusaient d’avoir enfreint les traités) ne s'embarrassèrent pas de considérations morales, ni même seulement juridiques, pour rappeler la véritable loi qui présidait à leurs rivalités à tous : « On a toujours vu le plus fort placer le plus faible sous sa coupe. Nous pensons en outre n'être pas indignes d'assumer ces responsabilités (celles d’avoir à gouverner un empire). Ce fut aussi votre avis et c'est maintenant seulement que vous invoquez contre nous, par un calcul intéressé, des arguments de droit.  Or de tels arguments, quand s'offre une occasion de s'accroître par la force, n'ont jamais arrêté qui que ce soit dans sa volonté d’expansion. » (Id, I, 76). Quant à la grandeur d'Athènes enfin, Hérodote, dont les lectures dans cette ville illustre furent décisives de la vocation d'historien de Thucydide, semble avoir eu peu de faiblesse pour ce qui a tant ébloui les hommes de la Renaissance deux mille ans après lui. Du Parthénon il se borna à signaler avec l'argent de quelle cité tributaire fut payée sa construction.


[1] Guerre revenant à point, d'année en année, pendant des siècles, pour permettre l'expansion de l'État romain tout en détournant le conflit de plus en plus pressant entre les patriciens et les plébéiens. Relisez Tite-Live, la lutte des classes et sa gestion guerrière par les patriciens s’y étalent en plein ; il est plus bougon et aussi passionnant que Thucydide.

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