1. Ni l’Etat, plus légal que légitime...
L’Etat étant ce qui est, il n’y a pas à s’étonner de la façon dont les choses se sont passées au Testet. On pourrait même dire que c’est dans l’ordre des choses. Cet ordre, qui caractérise la civilisation industrielle aujourd’hui dominante, repose sur trois vieux piliers :
1 - Des États qui disposent de la force armée ;
2 - Une économie qui repose sur le pillage ;
3 – Une population humaine indéfiniment renouvelable dont les droits partent de zéro.
La réduction à zéro des droits des peuples est la condition morale pour tout Etat de se constituer par le rapt de leurs terres. Cette condition morale a pour corollaire la surévaluation de ses propres droits par le groupe conquérant. La condition matérielle de l’autoréalisation de ce groupe étant la guerre, le massacre des peuples vivant sur les terres qu’il convoite en est la conséquence désirée. D’où s’ensuit la troisième caractéristique constituante de tout Etat : l’assujettissement des survivants, qui forment le nouveau « peuple » de la société sur laquelle il entend régner.
L’assujettissement une fois réalisée en pays conquis, le conquérant devenu Etat y fait régner sa loi.
Un Etat atteint le sommet de sa puissance quand la force de ses lois suffit à le maintenir[1]. Il n’a plus besoin de mettre ses armées en ligne. Il suffit qu’il rappelle ses victoires. L’ennemi qui n’accepte pas les conditions imposées par ses ambassadeurs en connaît l’histoire. Il doit multiplier les alliances ou se soumettre, car résister serait s’exposer à être anéanti.
Il résulte de ce passage de la force à la loi que le droit dans un Etat est un composé de légalité et de légitimité. La légalité est la conformité à la constitution que la caste guerrière, devenue classe dominante, s’est donnée en se constituant comme Etat (régnant) de (plein) droit sur une société hétérogène. La légitimité est sa conformité aux principes dont elle se réclame.
En monarchie, la légitimité vient de Dieu ; elle est cautionnée par le pouvoir ecclésiastique. Les nobles étant pour partie d’anciens guerriers, pour partie les descendants des frères du roi, la monarchie va vers l’oligarchie par simple accroissement de sa descendance[2].
Dans les régimes qui se réclament de la démocratie, la légitimité, chacun le sait, vient du peuple.
« La République est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » : telle est la devise placée en tête de la constitution de 1958 toujours en vigueur. Mais le corps de cette constitution, dans tous ses articles, s’applique à détourner cette souveraineté théorique par le subterfuge qui réserve aux seuls élus la capacité politique, tout en confiant à des hommes nommés par le président (qui ne jouissent donc pas, eux, de la légitimité représentative) le privilège de gouverner le pays. Il suit de ce double artifice que le gouvernement est à la fois légal et illégitime, car sa constitution est un déni de ses principes.
Cette contradiction entraîne deux autres conséquences. Pourvu de la légitimité absolue par le suffrage universel, le chef de l’Etat dispose des pleins pouvoirs selon la constitution de 58. C'est exorbitant mais c'est ainsi, et cela le restera tant que nous n'aurons pas abrogé l'article stipulant l'élection au suffrage universel du président de la République et celui qui lui confère le commandement des armées. Ces articles donnent au chef de l'Etat la puissance, donc le droit, de décider de la politique économique du pays avec qui bon lui semble, sans que les citoyens aient à prendre part aux choix dont dépend toute leur existence ; ce qui est un escamotage de la démocratie, comme si celle-ci ne s’étendait pas aux affaires économiques.
Cet escamotage permet aux détenteurs de la puissance économique d’exercer leur influence sur le chef de l’Etat, grâce au droit séparé que lui confère la puissance militaire, en tant que chef des armées. L’armée étant le réservoir absolu des secrets, cette influence peut s’exercer à l’abri de tout regard, jusqu’à lui imposer le choix de ses ministres.
Cette influence occulte devient visible lorsque la traçabilité des ministres mène à des banques. Lorsque cette traçabilité se fait de façon provocante, l’Etat commence à basculer.
Pour le couple Etat-finance, ce basculement peut être un test : qui protestera ?
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Le gouvernement disposant de la force qui lui permet d’imposer ses choix, il peut être tenté de suppléer, par l’usage de cette force, à la légitimité qu’il n’a pas. Un Etat en pleine possession de sa puissance n’a pas besoin d’utiliser cette force ; il suffit que chacun sache qu’il l’a. Telle est la puissance de l’autorité qu’elle s’impose comme légitime, tant que le peuple n’y oppose pas la protestation de sa souveraineté bafouée.
Quand le gouvernement assure la protection armée d’une entreprise de déforestation privée, comme il l’a fait au Testet, il prête main-forte à une action économique qui va dans le sens de sa politique. Il n’aurait pas eu besoin de le faire s’il avait été en pleine possession de sa puissance. S’il l’a fait, c’est que sa puissance est aux mains de la finance et qu’il a rencontré sur le terrain une résistance. Le test s’y avère localement négatif. Là, la collusion gouvernement-finance ne passe pas. Cette résistance ne constitue pas seulement un obstacle aux activités d’une entreprise privée, c’est une menace à la légitimité du gouvernement. Mais qui le sait ?
Quand le gouvernement décide de passer en force et de faire en sorte que cela ne se sache pas, il montre sa faiblesse. Mais qui la voit ? Il a muselé les média.
Le seul problème, ce sont ces zadistes qui ne lâchent pas le pied.
Il y a un précédent : Notre-Dame-des-Landes. Ce sont les mêmes qui se retrouvent au Testet. Ils n’ont pas peur de l’afficher : ils appellent ZAD toutes les zones à défendre où ils s’installent. C’est un nouveau phénomène de société. Nomades de la résistance. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, que pensent-ils, comment s’organisent-ils ? Il n’y a pas de sociologue pour en parler. On n’est plus au temps du yéyé...
Et ils tiennent bon. Et Ayrault a lâché. Valls, qui l’a remplacé dans des circonstances anticonstitutionnelles peu remarquées, a formé un « gouvernement de combat ». Il n’est pas né celui qui fera lâcher un premier ministre qui a pu vendre le sionisme comme religion d’Etat!
Pire : le président de la République cautionne ouvertement ces activités et ces collusions nauséabondes, qui constituent sa trahison éclatante aux yeux du peuple, qui l’a élu sur la vaine promesse d’une guerre qu’il voit de mener dans l’autre sens. La résistance au gouvernement devient, de son fait, une contestation de la légitimité de l’Etat.
C’est pourquoi, cette résistance, il lui importe de la briser, en commençant par la traiter comme si elle n’était pas une résistance, mais une délinquance. Comme si le peuple, non seulement « représenté » mais présent physiquement dans sa défense d’une forêt de France envahie par les forces du capital international agissant au nom l’Etat français, n’avait aucun droit. Comme s’il n’était rien. Comme s’il pouvait être traité comme rien, réduit à zéro.
Comme s'il n'y était pas.
Ces deux objectifs du recours à la force armée – le pillage et la réduction des droits du peuple à zéro - étaient flagrants aux yeux de ceux qui se battaient en ce début d’automne au Testet.
[1] Tite-Live exprime dans une belle formule (que je n'ai pas retrouvée) ce passage de la force à la loi dans un de ses premiers livres sur Rome.
[2] A moins, comme le préconisait Spinoza dans son modèle de monarchie ironique, d’interdire aux frères du roi de se marier. Traité de l’autorité politique, VI, 13, 1677.