Démêler information et évènement est en soi toute une démarche. Elle aide à mesurer le degré d'immersion de l'information dans une modernité qui sous le nom de mondialisation est devenue aujourd'hui à la fois un mythe, une réalité et un absolu.
Un autre aspect à démêler est la confusion entre le spectacle de la politique et l'histoire en train de se faire.
Ce double démêlage est la première condition, me semble-t-il, pour s'émanciper du matraquage politico-médiatique ambiant. Et se donner la liberté de mettre en rapport, par exemple, démocratie et gouvernement, manifestation et action, ou les attentats qui frappent l'Occident depuis quinze ans et les guerres dont cet Occident accable le monde depuis beaucoup plus longtemps.
Notamment en Afrique et au Proche-Orient. En entendant par Occident l'Amérique du Nord aussi bien que l'Europe capitaliste, et en rappelant que tout a (re)commencé en 2002 avec George W. Bush, sur quil se sont alignés Sarkozy et Hollande, à l'instar de Mitterand. De là date "l'axe du mal" et la doctrine du terrorisme programmée pour le XXIe siècle.
Pour résumer l'affaire en un mot : ce sont nos guerres (3 millions de morts, l'Irak, l'Afghanistan, la Lybie, la Syrie dévastés) qui ont créé le terrorisme.
De quoi mettre un peu de mesure dans le bilan des profits et pertes et mettre à sa place le regain de propagande belliciste du gouvernement
Mais c'est encore autre chose, prendre un vrai temps de réflexion, faire une recherche, construire un modèle, et tester la validité de ce modèle en le mettant à l'épreuve des évènements.
C'est ce que Marx a fait en son temps, en élaborant une théorie de l'histoire avec Engels dans le Manifeste du Parti communiste et en appliquant cette théorie aux évènements sociopolitiques et économiques de son époque, dans des articles écrits à chaud en 1848 et publiés ultérieurement sous les titres de La lutte des classes en France et Le 18-Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte.
Fort de son exemple, nous avons essayé, Diane Baratier et moi, de construire un modèle de l'Etat, à la fois théorique et historique, et je me suis efforcé d'appliquer ce modèle à l'actualité depuis quatre ans [1].
Entre la construction d'un modèle et son application à l'actualité, il y a forcément un hiatus. D'abord parce que ce modèle, visant à déterminer la structure d'un système, est statique et les évènements sont perpétuellement changeants. Ensuite parce que ce modèle n'est pas inspiré par l'actualité, mais construit sur une intuition nourrie d'expériences et de données anthropologiques et historiques qui atténuent sensiblement le pouvoir stupéfiant de cette actualité [2].
Le hiatus entre la théorie et la pratique n'est est pas moins difficile à franchir lorsque l'actualité est orchestrée d'une manière qui rend les faits incertains et toute réflexion problématique. C'est le défi du genre.
Défi que je reconnais n'avoir pas toujours réussi à relever dans ce blog ponctué d'intermittences, et à nouveau dans l'émission http://trousnoirs-radio-libertaire.org/ à propos de mon livre Ouranos ou les 3 fonctions de la religion dans l'Etat [3].
En vérité, la raison de cet échec n'est pas le bruit médiatique, avec lequel j'ai pris mes distances depuis longtemps. C'est plutôt que j'avais en tête un autre livre que je suis en train de finir, Après le Déluge - un essai sur le mythe de la catastrophe salvatrice… Vous savez, quand les gens disent : "Seule une catastrophe pourrait nous sauver… de la catastrophe!"
Après le Déluge reprend cette vieille antienne depuis l'invention du chaos jusqu'à son écho dans l'Apocalypse. J'avais ce bruit en tête en allant faire cette émission chez mes amis anarchistes.
Du coup, je ne suis pas arrivé au bout de ma démonstration sur la structure de l'Etat exposée dans Du Pillage au don et reprise dans Ouranos. Et je me suis laissé aller à essayer de répondre à la question: "Que pouvons-nous faire?" en oubliant de commencer par faire le point sur la fabrication, aussi ancienne que la "civilisation", du catastrophisme.
Telle est la raison de ce billet en forme de correction écrite à des mots trop vite dits.
autre accès à l'émission trou noir :
http://media.radio-libertaire.org/backup/15/lundi/lundi_1600/lundi_1600.mp3