Je voyais deux soleils
j’étais au pied d’un arc-en-ciel
une ombre à côté de moi
fauchait l’air avec sa hanche
Tu
as
connu
l’Illumination
A présent tu pèles une mandarine
Tu
as
connu
l’Effroi
C’est une spirale aussi
Un cercle qui se boucle s’abolit
dans l’idée où son image s’origine
La mort n’arrête pas le devenir
Certes de nos illusions il restera peu de chose
lorsque nous serons passés à l’état d’âmes
dans la tension volontaire ou l’abandon effroyable
pour ce dont il s’agit
mais non pour ceux qui viennent
si aucune trace de notre passage ne donne
réponse à la question faite homme
Leurs illusions seront les mêmes
L’imparfait, l’inachevé
ne se réincarne pas : il demeure
comme demeure en l’homme actuel
si peu de sa conscience ancienne
que tout ce qu’il ne sait plus lui fait peur
Parle donc
Il est à craindre
lorsque l’obstacle s’envole
qui du monde en l’histoire nous isole
solidairement
lorsque l’histoire devient folle
que la parole aussi s’envole
par intermittences.
LABYRINTHE
Pour traverser le Labyrinthe
il faut voir qu’il est avant le Déluge.
Il faut le mettre à sa place, non dans l’espace
(ce serait se méprendre)
mais dans le temps, c’est-à-dire dans le ciel.
C’est l’endroit où ne sait pas.
C’est l’endroit où on se perd.
C’est l’endroit avant que ça commence.
Ce sont les entrailles du Temps.
C’est le Cancer.
C’est par là, disait Platon, qu’entraient les âmes.
Dans le sens du Même.
Aujourd’hui, pour se faire entendre, il faut parler si fort !
Que reste-t-il de l’ancien savoir ?
Que reste-t-il du temps où l’on en savait tant
qu’on ne pouvait s’exprimer, à l’égal de l’Univers,
que par énigmes ?
Que sont devenus Virgile et Dante ?
Pythagore, Héraclite, Orphée, Homère ?
Apollodore et celui qui fit Tristan ?
Et l’inventeur d’Arthur, Merlin, et celui d’Hamlet ?
Disparus ! Moins dure serait la perte
si des graines semées jadis
à poignées égales, étoiles, âmes,
ici-bas une avait souvenance !
WARIME
Flux de maladies ! Flux de maux
contenus dans la mallette
& multipliés par tous les animaux qui, tués,
les transmettent,
à moins que l’on ne chante !
Car entre Cela
dont le propre est de se dissimuler
& celui dont la pensée est absente,
le monde, qui n’est pas seulement son aliment,
déploie ses multiples masques
& ce qui pour les uns est maladies
pour d’autres est chant.
C’est ainsi que l’homme se tient sur la limite
où le monde existe dans son double regard :
à la fois créé & nourrissant
& nourrissant sans transmettre de maux
cela dont on reconnaît, chantant, la provenance.
Etre poète en temps de famine, c’est, chantant,
dire ce dont on se nourrit selon sa provenance.
Et le chaman qui peignit Lascaux
ne faisait pas autre chose.
La peinture était son chant.
Peignant, il chantait l’histoire des animaux
passés, présents et à naître,
& la chasse était une respiration entre deux strophes.
Et Orphée ne faisait pas autre chose,
qui se nourrissait des parfums dont les strophes
disaient les multiples noms cachés dans les choses.
Et par tous les temps,
quelle que soit la couleur de l’époque,
les parfums dominants
& l’usurpation des essences,
les poètes se reconnaissent
à ce qu’ils n’ont jamais fait autre chose.
ZU 'UYA
Tristes alors ceux qui n’entendront pas la langue de zu’uya.
Ils baisseront les yeux et s’affligeront dans leurs cœurs.
Tristes seront ceux qui n’entendront pas le patois inconnu du royaume.
Tremblants seront leurs genoux.
Leurs dents se frotteront entre elles mais il n’en sortira aucun verbe
Hormis la crainte d’être réduits en poudre
Dans le retrait de leur langue et le grain de leur chair
Ils se verront broyés par leurs propres mâchoires, ô mes frères aînés,
Mes frères cadets ! Tristes seront ceux qui n’entendront pas
La langue de zu’uya lorsqu’ils parviendront au sanctuaire,
Ayant franchi toutes les enceintes, arraché nos emblèmes,
Jeté nos enfants aux chiens, asservi et massacré,
Tristes seront-ils après la dernière porte
Lorsque s’apprêtant à prendre le sceptre
Ils n’entendront pas le patois qui moud les apparences !
Tremblants seront leurs genoux.
Dans leurs cœurs, mes frères
Aînés, mes frères cadets, ils
Souhaiteront n’avoir jamais été
Quand leurs dents commenceront leur œuvre !
MARS
Mars terrible est entré.
Si le Monde se remettait à parler
ce serait encore plus terrible
car, alors, il ne suffira plus d'entendre.
Quand le Monde se remettra à parler
et que tout le monde l'entendra
ce sera trop tard
— pour tout le monde!
JEUNESSE
Le visible
quand la lumière
au second souffle du printemps
devient si vive
cymbale aux bleus et aux verts
dans les robes et par les jambes
de celles qui à ce mai même
on ne sait de quel bois sorties
mêlent leurs couleurs aux parfums des fleurs qui s’abandonnent
pour l’agacement des pollens
dans l’allée où
par mille lèvres
nous allons goûter le premier vin du désir
le visible
tout ce qu’il y a à en faire
c’est de le vivre.