jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 août 2014

jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

DE LA PROTESTATION A LA REFLEXION NECESSAIRE A L'ACTION

jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les agissements d'Israël sont monstrueux, ceux  du gouvernement français - policier, inféodé à la finance et pro-sioniste - innommables. Ce qui n’est pas moins énorme, c’est de se contenter de protester contre ces agissements au lieu d’attaquer l’organe d’où ils viennent : l’Internationale des Etats. Si j’avais la trempe révolutionnaire des époques héroïques, je dirais : « Désormais je considérerai comme traître quiconque protestera contre les agissements des Etats au lieu de travailler à les abattre. »

J’ai suggéré deux moyens pacifiques.

Une première façon d’agir, sans avoir à défiler dans la rue ni prendre les armes, c’est de refuser de payer l’impôt. Et de le faire savoir, en vue de créer une majorité anti-impôts. Exposer les raisons d’une telle opposition tient en trois lignes et peut aisément – et éloquemment – être proclamé. Ces raisons affirment le droit d’un peuple d’entrer en campagne contre un Etat qui prétend lui faire payer une dette qu’il a contractée sans lui demander son avis.

Une deuxième façon d’agir pacifiquement c’est de s’opposer à l’élection d’un nouveau  Président de la République. Aux termes de la Constitution française depuis De Gaulle, le Président de la République est doté de pouvoirs dictatoriaux. Même Rome ne les aurait pas tolérés au temps de la République. Lorsque le sénat romain désignait des dictateurs, s'il leur donnait pleins pouvoirs, il leur fixait aussi un objectif limité : une bataille, et il devait se démettre la bataille finie. L’Etat poursuivant ses objectifs de conquête, la guerre continuait de toute façon.

Dès les premiers temps de la République romaine, jamais une guerre n’a été déclarée sans l’adhésion du peuple. Vérité dérangeante sans doute : n’en déplaise aux pacifistes, quand règne la république, la classe qu’on y appelle le peuple est belliciste. L’Etat étant ce qu’il est (à savoir, un système d’assujettissement), tant que le peuple ne sortira pas de cet assujettissement, il n’aura le choix qu’entre se révolter en temps de paix, et en temps de guerre, majoritairement, se soumettre.

Relisez Tite-Live sous l’angle de la guerre comme moyen de détourner la lutte des classes. En créant la République, les descendants des conquérants-fondateurs de Rome, les patriciens (les « pères ») avaient mis en place un système de gouvernement à deux têtes, le consulat. Ce gouvernement étant réservé aux membres de leur classe et limité à un an, tous les patriciens avaient une chance de gouverner chacun à son tour. C’était un gouvernement de classe où la classe dominante formait l’assemblée gouvernante, le sénat, et fournissait à l’armée sa classe dirigeante, les chevaliers. A chaque élection d’un dictateur (chaque fois que le sénat estimait opportun de relancer la guerre pour détourner la lutte des classes), la première chose que faisait le nouveau dictateur  était de désigner un « maître de la cavalerie ». Ainsi le double pouvoir – de classe  – se maintenait en temps de guerre. Quant à la plèbe, « formée de bergers et de bannis »  ainsi que d’une « foule obscure, misérable et disparate d’esclaves et d’homme libres désireux de changer d’existence »[i], elle fournissait la masse des fantassins envoyés se faire décimer en première ligne.

La plèbe s’enrôlait le plus souvent sans se faire prier, appâtée par l’espoir du butin qui était une institution fermement établie. C’est que la guerre n’était pas seulement un moyen de détourner  la lutte des classes. Elle était aussi un moyen pour les patriciens de tenir la plèbe par les tripes. Ce par quoi les patriciens tenaient au fond la plèbe, en effet, au-delà de l’appât du gain, du butin ou d’un lopin de terre dans une colonie, - et bien avant les Jeux -, c’étaient les massacres et les viols auxquels la soldatesque pourrait se livrer en toute impunité dans les villes qu’elle réussirait à prendre de force. Il était alors permis à la plèbe armée de commettre les pires atrocités. Encouragée à se livrer sans frein à ses plus bas instincts, y trouvait-elle une compensation à la discipline imposée lors des combats ?  On a beau jeu  après cela d’invoquer la nature humaine pour justifier que les hommes doivent être commandés ! Ces boucheries dans lesquelles les patriciens jetaient la plèbe créaient entre les soldats et leurs chefs une complicité dans l’horreur, qui faisait de la guerre la répétition d’une ignominie inaugurale : le vol de terre accompagné de meurtres, paré du beau mot de conquête, sanctifié par des sacrifices. 

Relisez Tite-Live sous cet angle sinistre, relisez-le sous l’angle de la veulerie du peuple une fois soumis, relisez-le sous l’angle de la toute-puissance de l’Etat comme un absolu qui crée son propre au-delà (et une part du butin disparaît dans les temples). Revivez ce moment de la création de Rome où Numa, succédant à Romulus, « voulut que la ville nouvelle, fondée par la violence et par les armes, soit fondée à nouveau, sur la base cette fois des lois et des institutions… Pour éviter que l’oisiveté, si on n’avait plus à craindre les dangers extérieurs, entraîne des désordres que la peur des ennemis et la discipline militaire avaient contenus jusque-là, il pensa que la première chose à faire était d’inspirer la crainte des dieux ; elle serait très  efficace sur un peuple naïf et encore primitif. »[ii] Relisez Thucydide dévoilant la tyrannie cachée sous l’illusion démocratique dont se berçait le peuple athénien… Ça vous fera mal au peuple et ça fortifiera votre esprit.

Ces profonds historiens de l’antiquité ont montré la réalité de leur époque mieux que leurs contemporains philosophes. Ils écrivaient sous la terreur impérialiste (d’Athènes le premier, le second de Rome ; mais Rome n’eut pas de philosophe). Ils ne pouvaient pas plus dénoncer cette terreur qu’on ne pouvait contester en Europe le christianisme sous l’absolutisme (ni donc penser) sous peine d’être brûlé vif. Ils avaient conscience d’écrire pour des temps à venir.[iii]

A la relire aujourd’hui, l’histoire de l’Etat qu’ils ont écrite n’est qu’histoire d’usurpations, de fourberies, de pillages, de massacres accompagnés de tortures, de viols et de toutes les atrocités imaginables. Ces atrocités feraient aujourd’hui la une des journaux. Alors on n’en pipait mot. Elles étaient la récompense accordée par l’Etat à la plèbe, aussi soumise à l’autorité militaire en campagne que déchaînée dans les villes conquises ; en temps de paix on n’en parlait plus. C’était une complicité tacite. Elle n’est jamais posée par nos historiens de façon explicite. Ils sont à son sujet assez laconiques. « On fit donc savoir que tous ceux qui voulaient participer au pillage de Véies devaient rejoindre le camp du dictateur. »[iv]« Pendant toute la journée, on massacra les ennemis et on pilla la ville. »[v] Il suffit d’imaginer ce que recouvrent ces massacres pour lire entre les lignes. Ne pouvant dire ce qu’ils pensaient eux-mêmes de ce système de crimes organisés, Thucydide et Tite-Live ont restitué  la parole de ceux qui les ont justifiés en public. Leurs discours sont des illustrations flagrantes de ce que Machiavel entendra 1500 ans plus tard par « politique » Il est grand temps de relire ces phares du temps que nous vivons et d’en débattre.

Voyez comme ils se répondent :

« Il semble que les hommes éprouvent une indignation plus vive lorsqu’ils se croient lésés par une injustice que lorsqu’ils sont victimes de la violence. » Thucydide.[vi] 

 « Pour une raison qui m’échappe, la bienveillance des dieux est plus manifeste quand nous sommes en guerre qu’en temps de paix. » Tite-Live.[vii]  

« Il n’y a point de plus sûre manière pour jouir d’une province que de la mettre en ruine. » Machiavel.[viii]

Puissé-je, en recopiant ces citations et en consignant ces réflexions – et d’autres qui suivront – inciter ceux qui me liront à « tirer l’utilité qu’on doit se proposer de la connaissance de l’histoire ». (Machiavel, Sur la Première Décade de Tite-Live [1513-1520], Avant-Propos.)


[i] Tite-Live, "Histoire romaine", I, 8.

[ii] Id, I, 19.

[iii] "Plutôt qu'un morceau d'apparat composé pour l'auditoire d'un moment, c'est un capital impérissable qu'on trouvera ici." Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, Préface.

[iv] Tite-Live, Id, V,  20.

[v] Tite-Live, Id. V, 21.

[vi] I, 77.

[vii] III, 19.

[viii] Le Prince, V.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.