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Billet de blog 15 janvier 2013

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A bas le travail !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’ayant relu il y a une heure, je suis moins jusqu'auboutiste que son auteur sur "Le Droit à la Paresse" de Paul Lafargue (1880). La conclusion, justification de l'esclavage chez les anciens et hymne à la mécanisation qui délivrera l'homme du travail, a vieilli. Mais le début! Quelle justesse! Quelle envolée !

Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie est l'amour du travail

 Et ce raccourci de l’histoire de la bourgeoisie, en écho à celle de son beau-père Karl Marx :

La bourgeoisie, alors qu'elle luttait contre la noblesse (…), arbora le libre examen et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique.

Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés.

Quant à la tâche des révolutionnaires (qui n’ont aujourd’hui plus rien de « socialiste »), elle n’a pas changé en ceci qu’ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante.

C’est que la classe opprimée est devenue sa propre ennemie, en se faisant la complice de la nouvelle religion - la religion du travail - qui l'enchaîne :

Si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat (…), c'est lui qui les a appelées.

Dire que les fils des héros de la Terreur (sic) se sont laissé dégrader par la religion du travail au point d'accepter après 1848, comme une conquête révolutionnaire, la loi qui limitait à douze heures le travail dans les fabriques; ils proclamaient comme un principe révolutionnaire le droit au travail. Honte au prolétariat français! Des esclaves seuls eussent été capables d'une telle bassesse. Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un Grec des temps héroïques pour concevoir un tel avilissement.

Ce travail, qu'en juin 1848 les ouvriers réclamaient les armes à la main, ils l'ont imposé à leurs familles; ils ont livré, aux barons de l'industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domestique; de leurs propres mains, ils ont tari le lait de leurs femmes; les malheureuses, enceintes et allaitant leurs bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l'échine et épuiser leurs nerfs; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et la vigueur de leurs enfants...

Ô misérable avortement des principes révolutionnaires de la bourgeoisie! ô lugubre présent de son dieu Progrès! 

Les travailleurs eux-mêmes, en coopérant à l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard, doit les priver d'une partie de leur salaire.

Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste.

Prolétaires, abrutis par le dogme du travail, entendez-vous le langage [des anciens]  philosophes, que l'on vous cache avec un soin jaloux: un citoyen qui donne son travail pour de l'argent se dégrade au rang des esclaves.

En contradiction joyeuse avec sa conclusion sur la libération par les machines (illusion vieille comme Aristote et qui fera long feu), cette perle au milieu du texte :

Mieux vaudrait semer la peste, empoisonner les sources que d'ériger une fabrique au milieu d'une population rustique. Introduisez le travail de fabrique, et adieu joie, santé, liberté; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d'être vécue.

En souvenir de Paul Lafargue, né le 15 janvier 1842,

Santé et salut.  

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