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Billet de blog 17 juin 2013

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EUGENISTES, ENCORE UN EFFORT (AVANT DE FAIRE DISPARAÎTRE L'HUMANITE) !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Post-Scriptum Jusqu'à ce que la science invente de nouveaux artifices, la guerre était le meilleur moyen pour « désapparenter » les fils en envoyant leurs pères se faire tuer. L’Etat n’avait qu’à déclarer ces derniers « Morts pour le Patrie », les premiers « Pupilles de la Nation »  et le tour était joué. L’histoire officielle s’ajoutant à la douleur familiale rendait pratiquement impossible la reconstitution de l’histoire réelle. Les champs de bataille sont des lieux d’élimination des témoins très efficaces. 

Pupille de la Nation... "Orphelin de guerre dont l’adoption par la nation le fait bénéficier d’une tutelle particulière et de subsides de la part de l’Etat", dit Le Grand Larousse Universel (1989). A part « orphelin de guerre » tout est mensonge dans cette définition.

Le statut de pupille de la nation est étrange. Peu connu du public, il signifie en réalité que vous êtes l’œil du pays, le trou par lequel il voit, parce que votre père est mort à la guerre et que vous êtes théoriquement dispensé d’aller mourir dans celles que l’Etat fomente à sa suite.

J’ai fait le point sur ce statut dans le livre disparu de mon père que j’ai reconstitué et publié quarante-sept ans après sa mort, La Région D [i] ; et à nouveau dans le journal que j’ai écrit sur l’enquête qui a accompagné cette reconstitution, Colonel FFI [ii], dont je recadre ici le frontispice :

Légende : Mon père, ma mère, mon frère et moi, août 1943.

Plus récemment, dans Une vie de rêves [iii] j’ai dit pourquoi la filiation - surtout quand elle passe par un mort - a une si grande importance.

C’est la condition de l’alliance, comme l’identité l’est de l’ouverture à autrui. 

Vingt-trois ans auparavant j’avais dit dans Raid [iv] pourquoi mon père avait l’âme d’un Sioux et comment il se faisait que Hehaka Sapa (Black Elk) était notre ancêtre…

Quand, dans le monde arrêté avec l'annonce de sa mort en avril 1945, une autre vie a commencé pour moi - ma vie sans lui - je ne savais pas que je le retrouverais de nombreuses années après dans mes rêves - et bien d'autres disparus avec lui.

Ce n’est pas seulement parce que mon père est mort à la guerre que j’ai la rage. Ou parce qu'il avait vingt-huit ans, et moi trois ans et demi

C'est parce qu'on m'a menti sur sa vie et qu'il n'est pas mort comme on l'a dit.

C’est parce qu’en faisant de lui un héros « Mort pour la France » l’Etat a maquillé sa révolte, et qu’il y a entre le sort que l’armée lui a fait et la société dans lequel j’ai grandi un rapport qui les associe dans les mêmes mensonges et les mêmes non-dits. 

Je suis reconnaissant envers mon père et ma mère pour le corps qu’ils m’ont donné et pour l’esprit qu’ils m’ont laissé libre d’avoir, d’où qu’il vienne. Cela m'a peut-être permis d'expérimenter la folie; cela ne m'a pas empêché d'être lucide.

Il y a quelque chose de pourri dans l’Etat qui a contaminé jusqu’à la mémoire de la Résistance. Aux oubliettes, de Gaulle décrétant, à peine débarqué à Paris, la dissolution des F.F.I. (29 aout 44) et la résistance intérieure du jour au lendemain dénigrée et « remerciée », ses troupes désarmées, ses chef destitués et sommés de reprendre leur métier ou d’intégrer « l’armée régulière » à titre individuel... Aux oubliettes la promesse faite par le général Koenig de faire des Forces Française de l’Intérieur l’ossature de la future armée française... Aux oubliettes, le général de Lattre-de-Tassigny laissant échapper les Allemands à Dijon le 11 septembre 44 tandis que le « colonel Claude » avec les maquis de Bourgogne les bloquaient à Maisey. Aux oubliettes l’armée française déconfite,  reconstituée sur le dos de ceux qui avaient pris le plus de risques tandis qu’elle avait fui ! Au oubliettes la France des notables et des traîtres, à la Libération, reconstruite, et les « colonels FFI de 28 ans » envoyés se faire tuer, pour qui la Résistance devait déboucher sur une action pour changer le pays ! Aux oubliettes, les Chambrun, les Guingoin, les Ravanel d'alors, les colonel Claude de toujours, l’Autre résistance [v]. N’empêche, cela a été. 

L’histoire abonde en crimes couronnés de mensonges. Le phénomène se reproduit  périodiquement. Mais quand le crime triomphe, le mensonge devient loi, la bourgeoisie en redemande et le peuple suit,comment la rage ne se tempèrerait-elle pas d’ironie ?

Pupille de la nation... Foutaise! Ou alors qu’elle se réveille, la nation dont je suis la pupille ! A plus forte raison si c’est elle, rêveuse, qui me souffle à la fin le mot juste :

Dégénérescence.

Mot qui, après coup, paraîtra banal… Quand tout le monde aura compris : « Phénomène répétitif caractéristique des civilisations agonisantes. »

Dégénérescence dont, dans les hautes sphères où les longues filiations ont trouvé un nouvel outil pour mettre leurs privilèges à l’abri, vu l’enthousiasme de tous ceux qui se sont fait avoir, aristocratiquement, - tout en transvasant la civilisation mourante dans la suivante, - on rit.

Dans un scénario qui prend une autre avance, c’est du « mariage pour tous » qu’on rit en prévoyant son obsolescence, comme Thoreau riait du chapeau de Kossuth.

Lajos Kossuth (1802-1894) est un homme politique qui prônait en vain, au XIXe siècle, des réformes improbables dans le maintien de la dictature étatique et l’indépendance de la Hongrie. Sa carrière politique s’étant terminée en eau de boudin, il se rendit aux Etats-Unis pour une série de conférences très médiatisées au cours desquelles il rencontra le philosophe Emerson, qui le présenta au public. Leurs propos parurent dans tous les journaux. Témoin des billevesées échangées, Thoreau en fit la critique, tandis qu’un chapelier coiffait les partisans de Kossuth d’un chapeau de feutre noir ressemblant au sien, dont il avait un stock d’invendus. Ce « chapeau de Kossuth » est tout ce qui resta de la célèbre visite.

Qui se souvient aujourd’hui du chapeau de Kossuth ?

Tout comme le mariage gay, ce chapeau n’en est pas moins un test de la facilité avec laquelle l’humanité, née d’un poisson, goberait des mouches, au cas où un nouveau totalitarisme s’instaurerait - avec toute l’ingénierie appropriée.

Histoire qui serait tragique s’il n’y avait en son fond une telle dérision.

____

[i] Claude Monod, La Région D, Rapport d’activité des maquis de Bourgogne - Franche-Comté, mai - septembre 1944. Avant-Propos de Lucie Aubrac. Aiou, 1992. (Prix Philipe Viannay 1992). Voir également Olivier Wieviorka, Mémoire et histoire http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.chantin_r&part=18615

[ii] Jean Monod, Colonel FFI, Aiou, 1997.

[iii] Inédit.

[iv] Editeurs Evidant, 1990.

[v] Gérald Suberville, L’Autre résistance, Aiou, 1998.

 ***

Le texte intégral d’EUGENISTES, ENCORE UN EFFORT (AVANT DE FAIRE DISPARAÎTRE L’HUMANITE) ! peut être téléchargé librement en cliquant sur :

https://skydrive.live.com/#!/view.aspx?cid=EEFC550BD4D91A5D&resid=EEFC550BD4D91A5D%213906&app=Word

Dans sa version finale, ce texte, intitulé :

LE DESAPPARENTEMENT

peut être reproduit, mais non vendu. Pour les citations, merci d’en honorer les auteurs.

Toute personne souhaitant posséder un tirage numéroté peut le commander en m’en adressant la demande, payable à son estimation, en troc, monnaie de sel ou toute autre monnaie de son invention, mais non en euro, ni dollar ni yen.

Il serait plaisant qu’un homme qui écrit contre l’Etat accepte en échange de ses écrits un argent auquel il ne reconnaît aucune valeur!

Début et suite de ma chronique de l’an 2013 sur mon blog 

Archipel révolutions

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-monod

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