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Billet de blog 16 novembre 2014

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DEMOCRATIE SANS CHEF, GOUVERNEMENT DE TOUS PAR TOUS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tant qu'à vouloir limiter les pouvoirs du président de la République, comme le préconisent les "nouveaux réformistes", pourquoi ne pas poser la question de son utilité tout simplement ? En démocratie, la question, pour un peuple, de renoncer à son pouvoir au profit d'un chef, n'est-elle pas la dernière qui devrait lui venir à l'esprit ? 

Le gouvernement d’un seul est une des trois sortes de gouvernements étatiques : c’est la monarchie. Le gouvernement de quelques-uns est le second, c’est l’oligarchie ; le gouvernement de tous est le troisième, c’est ce qu’on appelle la démocratie.

Quel est le meilleur ? Est-ce le même pour tous ? Ce n'est pas évident.

Sans parler de religion ou de culture, si le besoin d'être commandé est inné dans l'homme et si ce besoin est prédominant sur tous ses autres instincts, la monarchie et l’oligarchie sont plus appropriées à sa nature que la démocratie.  

Mais on peut aussi dire que le besoin de se donner un chef est l’introjection d'une idéologie : celle des théologiens pour qui il y a deux sortes d'hommes, ceux qui sont nés pour commander et ceux qui sont nés pour obéir.  D’après cette idéologie, le besoin de se donner un chef est le signe d’une humanité inférieure. C'est la philosophie d'Aristote, fondement conséquent de l'oligarchie.

Si, en revanche, tout en pensant que l’homme a besoin d’être dominé, on se dit partisan de la démocratie, ne professe-t-on pas la liberté dans la voix de son maître ?

Quant au besoin de prendre des décisions urgentes, dont tirent argument les partisans d'un président fort, le risque me paraît plus grand de voir prendre des décisions hasardeuses lorsque tous les pouvoirs sont confiés à un seul homme que lorsqu'il est partagé entre autant de personnes qu’il y a d’intérêts dans un conseil. C'est dans l'urgence que la concorde est la plus nécessaire, et elle ne l’est jamais tant que lorsqu’il s’agit de parer au plus grand risque, qui dans un Etat n'est pas un ennemi intérieur ou extérieur, mais l'arbitraire, l'abus ou le cynisme d'un individu d'autant plus exposé à l'immodération que sa faiblesse est exaltée par l'excès des pouvoirs que le peuple lui a inconsidérément remis.

C’est pourquoi, si c’est la démocratie qu’on veut, il ne faut pas élire de « président de la République. » En élevant trop haut au-dessus de lui un homme que rien n'oblige à tenir ses promesses, le peuple s'engage à se soumettre à un chef dans une entreprise - l'Etat - qui n'est pas son outil, et qui a d'autres maîtres que lui.

Quand on parle de démocratie, la première chose à savoir, c’est si on la veut et si on la croit possible. Libre à chacun de lui préférer un régime où le pouvoir est moins partagé. Mais si c’est la démocratie qu’on a en vue, toutes les raisons qu'on peut lui opposer sont à prendre en considération, certes (comme par exemple le « besoin d’avoir un chef »), pourvu que ces réserves servent à aider la démocratie à naître, non à la faire avorter ou à en faire une utopie.

Cela dit, quand on parle de démocratie, est-ce « le gouvernement de tous par tous » qu’on a en tête, ou autre chose ?

La philosophie est née en Grèce du besoin d'aider la démocratie à accoucher d'elle-même, quand des esprits aigus ont vu que sous ce mot autre chose était sorti.

"Démos", ce n'est pas le peuple. Et ce n’est absolument pas le peuple jouissant de toute sa liberté. C'est ce qui reste des peuples vaincus une fois que leurs dominateurs les ont disséminés et assignés à résidence dans des quartiers administratifs : tels sont les dèmes. Ils ont été inventés par Clisthène, chef, non de la démocratie mais d'un parti.[i] 

Croire qu'on est en démocratie quand on est en oligarchie n'est pas être démocrate, c'est être dupe d'une classe qui usurpe un régime qu'elle nie et d'un mot qu'on n'a pas compris.

La démocratie est devenue aujourd’hui l'enjeu d'une tromperie universelle. Lieu par excellence du double langage, elle sert de prétexte à toutes les barbouzeries.

Pourquoi l’oligarchie a-t-elle besoin de se masquer en démocratie ?  L’utilité, on la voit pour les ultra-riches : agir sous le couvert d’Etats.  Mais se masquer, n’est-ce pas une faiblesse ?

Aujourd’hui l’oligarchie s’affiche : elle tient virtuellement tout. C’est donc elle la République. Tant il est vrai que la République n’est que la démocratie vue d’en haut.  

Un président de république ne peut pas être un chef démocratique pour la simple raison que démocratie et chef sont incompatbiles. Il ne peut être que chef d'un parti rival de l'oligachie pour gouverner le peuple. C'est autre chose, une fois élu, qu'un chef d'Etat préside : l'unité tenue d'en haut du pays, définie de concert avec d'autres entreprises.

Le gouvernement de tous par tous n’est pas la démocratie, qui n’a jamais été que le gouvernement des esclaves, des femmes et des métèques par les riches. Quand une fraction d’êtres humains s’organisent pour faire main basse sur virtuellement tout, le gouvernement de tous par tous passe par leur mise hors d’état de nuire, eux et leurs Etats, au nom de la nocivité de leurs pratiques.


[i] Aristote, Constitution d'Athènes, XXI.

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