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Billet de blog 16 décembre 2012

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DIVERTISSEMENTS FISCAUX

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« L’impôt est le prix à payer pour la civilisation.» Quand Edwy Plenel citait cette phrase de Roosevelt hier sur le plateau de Médiapart, que voulait-il dire ?  Que pour vivre dans un monde agréable et confortable, il faut accepter d’en payer le prix ? C’est ce que tout le monde a compris. Mais de quelle civilisation parlait-il ? D’une civilisation où les citoyens décideraient ensemble de leur contribution à des objectifs décidés en commun ?  Ce n’est pas la nôtre. Du coup, parler de « prix à payer » est créer une équivoque. « La » civilisation dont parle Edwy Plenel, « notre civilisation », n’est qu’une civilisation parmi d’autres ; c’est, de plus, une civilisation qui n’a jamais été analysée historiquement jusqu’à son fondement ni, philosophiquement, dans son principe. En réalité le mot civilisation recouvre un ensemble de biens matériels, de valeurs approximatives, de supériorité proclamée, de racisme. Ce n’est pas un concept scientifique, c’est une idéologie. On a trop tendance à faire l’impasse sur son origine. Le système d’exploitation des ressources naturelles et humaines qui s’est mis en place il y a 6.500 ans à Uruk sous le nom de civilisation est un système fondé sur la guerre ; c’est un système  pillard et esclavagiste qui s’est édifié sur les civilisations néolithiques qu’il a détruites. En tant que tel, il n’a pas changé, mais n’a fait que se renforcer en s’étendant, via le pillage de l’Amérique, jusqu’à devenir mondial depuis deux siècles sous le nom de capitalisme.

On ne peut impunément brandir le mot de civilisation. C’est la même chose qu’avec la religion. Trop de crimes ont été commis en son nom. La vérité est que la civilisation devenue aujourd’hui mondiale est  une civilisation pillarde et esclavagiste, où l’impôt est, originellement, un tribut imposé à des vaincus. La légitimité de Etats, partout établie par la force, masque le fait que les « civilisés », dans leur masse, sont des vaincus. Cela posé, comment s’étonner que des pillards saignent leurs victimes ? Au nom de quoi ? De leur idéaux proclamés ?...

Qui sont aujourd’hui les fraudeurs ? Les héritiers d’une civilisation pillarde dont ils entendent maximiser les bénéfices à leur profit. Rien de plus logique. La fraude fiscale n’est pas seulement une façon de soustraire à l’impôt le maximum de ses bénéfices, c’est piller à la fois l’Etat et ses concitoyens. L’Etat pillant le peuple, piller l’Etat : voilà leur nouvel objectif.

Les fraudeurs fiscaux qui agissent à découvert ne font pas mystère  de leur affiliation à une mouvance pseudo libérale qui conteste à l’Etat le droit de prélever l’impôt. A leurs yeux, c’est l’Etat le gros soiffard, concurrent déloyal et bénéficiaire frauduleux d’une légitimité populaire qu’il tourne à son profit. En se plaçant au-dessus de ce droit, les fraudeurs affichent une impunité fondée sur une puissance supérieure. Cette puissance, on le sait depuis les révélations faites à propos de Goldman Sachs, repose sur une gigantesque escroquerie.

La fraude fiscale ne cesse de creuser la dette des Etats. Elle en est, avec les dépenses inconsidérées auxquels les financiers poussent ces derniers et les taux d’intérêts qu’ils leur accordent pour rembourser leurs prêts, la cause principale. Le phénomène ne date pas d’hier. Il  a été décrit et analysé par Marx il y a près de deux siècles :

" L’endettement de l’Etat était d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément le déficit de l’Etat qui était l’objet de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. A la fin de chaque année, nouveau déficit ; au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’Etat…  Le pillage de l’Etat en grand, tel qu’il se pratiquait au moyen des emprunts, se renouvelait en détail dans les travaux publics… La monarchie de juillet n’était qu’une société par actions fondée sur l’exploitation de la richesse nationale française dont les dividendes étaient partagés entre les ministres…  »

Karl Marx, Les luttes de classes en France, 1848-1850.

On croirait ces lignes écrites aujourd’hui. C’est au cœur de l’Etat que se joue la grande tricherie. C’est pourquoi les Etats ne peuvent pas mettre fin à la fraude. Elle fait partie intégrante du système où les gouvernements ne sont que les intermittents du spectacle de la démocratie.  Ce que l’évasion fiscale porte aujourd’hui à l’avant-scène, c’est l’incapacité des Etats pillards d’y mettre fin, parce qu’ils sont inféodés aux fraudeurs.

Tous pillards. Rivaux dans leur compétition pour la gestion des affaires, financiers et gouvernants sont complices pour profiter des deux côtés du même abus : d’un côté, l’abus que constitue la « légitimité représentative » qui permet à l’Etat de s’endetter pour tenir un rang au-dessus de ses recettes ; c’est flagrant lorsque vient le moment pour lui d’acquitter ses dettes aux frais des plus démunis. De l’autre la spéculation, qui fournit des moyens de pression sur les Etats aux prêteurs.  L’évasion  fiscale qui creuse la dette de l’Etat est la condition nécessaire de ce pillage systématique.

« Après la révolution de Juillet, écrit encore Marx,  lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d'Orléans à l'Hôtel de Ville, il laissa échapper ces mots : « Maintenant, le règne des banquiers va commencer. » Laffitte venait de trahir le secret de la révolution. » (ibid. p. 23)

Que signifie un tel règne ?

C’est le secret qui rend aujourd’hui les Etats muets. 

Finalement, dans un système de pillage généralisé, qui est le plus nuisible : les financiers fraudeurs, les Etats  fantoches, ou le « libéral » qui sommeille en chacun de nous ? C’est de tous côtés la même fraude. Elle repose sur la démission citoyenne, où chacun préfère le confort d’être gouverné à l’angoisse de se gouverner soi-même.

C’est ce qui justifie tous les déboires que le citoyen, déchu en consommateur, subit.

Source de profits asymptotiques, l’absence de pensée partout observée est le prix à payer pour jouir de cette civilisation sans esprit.

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