Un peuple qui renonce à la possibilité de se gouverner lui-même en faveur de l'Etat est-il encore un peuple, ou n’est-il plus qu’une masse manipulable ? Si tel est le cas c’est un peuple défait.
Un peuple défait peut-il se refaire ? Machiavel disait non [i]; Michelet, que la nation résulte d’un travail de soi sur soi du peuple dans l’adversité [ii].
M. Follorou dans Le Monde du 15 décembre fait remarquer justement que depuis les derniers attentats ce n’est pas la nation qui est menacée mais la population [iii]. Il aurait pu ajouter : pas toute entière…
Cette incertitude sur la cible, qui fait de chaque résident sur le sol français une victime potentielle, crée dans la population une inquiétude que les mesures de protection policière utilisées jusque-là ne peuvent apaiser. Leur inefficacité est dénoncée de tous côtés.
On peut voir une compensation à cette inefficacité dans le parti pris par le gouvernement de passer de la protection policière à l’autorité militaire, qui se traduit par la violence de perquisitions arbitraires et la mise en place d’un régime de cumul des pouvoirs et de restriction des libertés qu’il s’affaire à légaliser.
Dans ce processus il ne semble pas prévu que la nation soit consultée. Ce qui encourage les ténors des partis, de l’extrême droite à une certaine gauche (et de Marine Le Pen à Mélenchon) dans leurs appels à plus de police et plus d’autorité - tout en s'encourageant eux-mêmes à "rassembler". Comme s’ils en avaient le pouvoir... Et comme si nous ne savions pas ce que signifie un rassemblement "par le sommet"!
La compensation est un acte symbolique ; en psychologie il n’a que des conséquences limitées. En politique, il précipite dans un porte-à-faux le pays tout entier.
Le renforcement de l’Etat et des pouvoirs de son chef et de son gouvernement marque le début d’une période qui s’ouvre, avec plus de 6 millions de voix FN, sur la perspective d’une présidence fasciste en 2017, dont on ne manquera pas de nous réexpliquer qu’elle ne peut être contrée que par un nouveau désistement, au deuxième tour, d’une gauche disqualifiée en faveur d’une droite qui ne sait plus à quel saint se vouer.
De quoi alimenter le spectacle de la politique pendant un an et demi pour le plus grand bénéfice de l’industrie médiatique.
La nation en sortira-t-elle mûrie et la population mieux protégée ?
"Vous étiez une foule, vous êtes devenu un peuple!" lançait Victor Hugo aux Parisiens qui, en 1830, avaient, au prix de leur sang, chassé Charles X. Dix jours après ils acclamaient Louis-Philippe…
[i] « Un peuple libre est prêt à mourir pour défendre sa liberté, un peuple qui a perdu sa liberté ne peut jamais la retrouver. » Discours sur la Première Décade de Tite-Live, 1513
[ii] Histoire de France, I, La Gaule, les Invasions, Charlemagne, 1833.
[iii] "Un Etat sans garde-fous, comme en rêve le FN…"