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Billet de blog 19 décembre 2012

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COMMENT EN FINIR AVEC LE PILLAGE ET L'ESCLAVAGE?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Etre victime du pillage et de l’esclavage, et dans le même temps s’y adonner, n’est-ce pas un des pires fléaux qui puissent affecter une société ?

Qu’est-ce qui peut y mettre fin ?

La question ne se pose plus à l’échelle d’empires locaux se prétendant investis d’une mission universelle. Cette prétention les a fait s’effondrer l’un après l’autre. En Amérique, les Aztèques, qui nourrissaient une pareille prétention, ont été  écrasés par une poignée d’Européens mieux armés qu’eux. L’empire Euro-Américain qui s’est constitué sur leurs ruines a créé un système autrement efficace : le capitalisme. C’est finalement ce système, quatre siècles après, qui est devenu « mondial ».

Comme l’ancien système, vieux de 6.000 ans, à partir duquel il a évolué en Europe, c’est un système pillard et esclavagiste.  Jamais le pillage et l’esclavage n’avaient atteint une telle extension qu’avec la conquête de l’Amérique.  Jamais un continent tout entier n’avait été volé à ses habitants, les civilisations qu’ils y avaient créées anéanties et les tribus qui y vivaient éxterminées  de façon aussi systématique et avec un  pareil dessein de les supprimer jusqu’à la dernière, jusqu’à ce qu’il n’en reste aucune trace.

Au XIXe siècle, ce génie du masssacre, porté par l’essor industriel, s’est étendu à tous les continents. Son efficacité à générer du profit pour ceux qui le promouvaient contrastant avec le sort effroyable qu’il faisait subir à ceux auxquels il était imposé, fit qu’on lui a tour à tour prédit des destins opposés. Le capitalisme est-il condamné à une fin inéluctable en raison des violents antagonismes qu’il suscite, comme le pensait Marx ? Les crises à répétition qui jalonnent son développement seraient le signe avant-coureur de cette fin inéluctable. Ou ces crises ne servent-elles qu’à le renforcer, moyennant l’invention de nouvelles techniques qui révolutionnent constamment le mode de production industriel ? C’est la thèse, confortée par l’effondrement du communisme soviétique, qui tend à prévaloir depuis une trentaine d’années.

Le capitalisme permet une énorme accumulation de richesses entre peu de mains, moyennant la mise au travail à bas salaire d'une masse continuellement renouvelable de gens qui n’ont pas d’autre moyen d’existence. Le profit est l'unique objectif de ce système.  Exercé par une minorité qui a la haute main sur les Etats et dispose, ultimement, de leur armée, ce système est une menace pour tout ce qui vit sur la Terre.

Faudra-t-il, pour l’arrêter,  un adversaire disposant d’une plus grande force de frappe ? Le risque, c’est que, portés par une telle force, le pillage et l’esclavage n’en sortent renforcés.

Ou les limites conjuguées de l’épuisement des ressources et des capacités humaines de supporter l'asservissement changeront-elles la donne ? L’épuisement des ressources est probable. Le changement climatique accompagné de séismes, de typhonss et de raz-de-marées est commencé. De son côté, l’étendue de l’impuissance de l’humanité et de sa capacité de soumission est incertaine. De ce côté donc la question reste ouverte.

La nouvelle donne est que nous entrons dans une ère de turbulences climatiques qui résultent d’une économie prédatrice imposée à une espèce en voie d’uniformisation et de surpeuplement.

Un contrecoup interviendra-t-il avant que ces turbulences ne se conjuguent à de nouveaux désastres? Qu’est-ce qui pourrait mettre fin à la dépendance où l’humanité se voit aujourd’hui entraînée, par un mélange de contrainte et de séductions technologiques, envers une économie surproductrice et sa croissance dévastatrice ? La fragilité du capitalisme, dans son surdimensionnement actuel, consiste en ce qu’il ne tient que par un excès de consommation. Cessons donc de surconsommer, entend-on dire de tous les côtés. Ce serait la solution la plus simple et la plus efficace. Ce n’est pas la plus prochaine dans l’ordre des probabilités. Il semble que nous soyons trop attachés aux marchandises dont nous sommes inondés pour y renoncer de notre plein gré, quand bien même nous sommes conscients de leur nocivité. C'est consternant de futilité.

De leur côté, en laissant se développer depuis une génération la spéculation financière, les Etats ont banalisé une activité criminelle. Il est devenu légal aujourd’hui de s’enrichir en ruinant le monde entier. Tout le monde s’y met. L’anonymat des actionnaires, numériquement majoritaires, sert de paravent à une poignée de décideurs. Les procès qui leur sont parfois intentés avortent en amendes qui impressionnent le public, et pour eux ne sont rien.

Les Etats capitalistes ont fait plus. Ils ont organisé la dérégulation mondiale du marché pour se créer auprès de ces nouveaux Crésus une source de crédit qui leur permet de maintenir un train de vie au-dessus de leurs recettes. S’étant mis par cet artifice en situation de dette envers des escrocs qu’ils doivent couvrir pour sauver leur propre tête, jusqu'à quel point ont-ils conservé leur souveraineté ? Le doute est semé.

La démocratie, entend-on s’alarmer, du coup, est menacée. Il y a en effet de quoi s’inquiéter. Mais quelle démocratie a-t-on en tête ?

La démocratie reste à inventer

Oligarchique dès son invention en Grèce au Ve siècle, la démocratie n’a jamais été repensée depuis dans son principe, comme étant le privilège d’« hommes libres », s’honorant de faire la guerre,  chez qui le pillage était un sport et la réduction en esclavage des vaincus une tradition solidement ancrée. Chez eux, l’esclavage allait tellement de soi qu’un philosophe pouvait disserter de la liberté humaine sans s’en soucier. Moyennant cette litière de valeurs ostensiblement inégalitaires, qui faisaient de la démocratie grecque un système de gouvernement effrontément aristocratique, le modèle grec a été colporté comme un modèle d’égalité, sous prétexte que c’aurait été un modèle de gouvernement « du peuple par le peuple », en oubliant ou en feignant d’avoir oublié qu’à l’époque, le « peuple » (les aristocrates) était constitué de gens qui se voyaient, se connaissaient, se réunissaient, buvaient, mangeaient ensemble et discutaient face à face. Autre temps, autre mœurs… L’industrie, le nombre ont tout changé. Pourquoi nous réclamons-nous de la Grèce ?  Le fait est que la « démocratie » s’est exportée sans faire d’histoires dans l’histoire des Etats qui se la sont appropriée.

D’où, de crise en crise, comme de révolution en révolution, l’oligarchie toujours recommencée, toujours minoritaire, toujours plus nombreuse et plus puissante. Et l’Etat pour lui donner la main.

En tant que système de gouvernement des pauvres par les riches, la démocratie n’a rien changé aux Etats, où l’esclavage, malgré son abolition formelle,  est toujours  pratiqué - en entendant par esclavage, contrairement à son défenseur officiel Aristote, une condition résultant, non pas d’une « disposition innée de certains hommes à la soumission », mais de la privation pour un peuple de sa capacité à vivre sur  une base économique qu’il aurait librement choisie.

C’est pourquoi il est naïf  de dire que la démocratie  est aujourd’hui spécialement menacée parce que les Etats seraient dans la main des financiers. Ils l’ont toujours été. Abritée derrière l’illusion que l’Etat vient du peuple et la démocratie est fondée en justice parce qu’elle pose la liberté et l’égalité en principe, la démocratie en tant que gouvernement du peuple tout entier par le peuple tout entier, sans discrimination, n’a jamais existé. Elle a toujours eu l’Etat pour écran, l’oligarchie pour obstacle et une économie de pillage tacitement accepté par tous pour fondement.  Elle doit tenir compte aujourd’hui de la Nature et de tous les exploités du monde justifiés à réclamer aux pillards le remboursement de leur gigantesque dette. S’il est une idée politique à réinventer, c’est bien la démocratie, sans oligarchie, sans Etat, à l’échelle de toute la planète, dans la reconnaissance du don de la vie et la réciprocité.

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