jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 mars 2013

jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

DERNIERS VOYAGES

jean monod (avatar)

jean monod

ethnologue et débroussailleur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

à Michel Vernes (1941-2013) mon cousin et ami

pour le paysage

Une ville. Des porches. En haut, un cimetière.

Puis un autre porche et, accrochée à la lourde corde suspendue entre les deux piliers, à vous toucher la tête, un chiffon blanc.

A vous toucher, la pensée : « C’est le chemin des morts. »

tache blanche

nuage où le vide s’épanche

comme dans le visible

une ombre de la conscience

de rien à rien

par le monde et la voyance

et l’oubli l’irréelle substance

infuse à tout ce qui se déforme

et qui fond

Où aller mourir ? Je me suis souvent posé la question. Tant de morts à l’hôpital. Dans des draps ou chirurgicalement. Quitte à faire le grand saut, pourquoi pas du haut d’une falaise, dans la mer, ou du haut d’une montagne ? Se jeter, plutôt qu’attendre la fin dans une vaine résistance.

« Je saurai quand je mourrai », disait ma grand-mère.

Récemment sont morts à peu d’intervalle quatre hommes admirables qui ont pris leur décision stoïquement :  Jacques Baratier, Eric Rohmer, Samuel Mercer, Stéphane Hessel...  Même philosophie. Quand il n’y a plus rien à faire, on se débranche.

Pour ne pas dire « je m’envole ».

« Qui a dit c’est facile de voler ?...  Pourquoi sommes-nous revenus ici, sur la terre de Tchernobyl ? Parce que personne ne nous chassera d’ici. De cette terre. Elle n’appartient plus à personne. Dieu l’a prise. Les gens l’ont laissée…  L’impensable s’est produit : les gens se sont remis à vivre comme avant… Les choses ont repris leur cours : les labours, les semailles, les récoltes… Solitude de la liberté… Renoncer aux concombres de son potager était plus grave que Tchernobyl…  Nous ne voulons rien de l’Etat. Nous ne demandons rien, à part qu’on nous laisse tranquilles... Nos responsables avaient plus peur de leurs supérieurs que de l’atome… Nous savons maintenant que nous pouvons prendre le thé autour d’une table, manger et rire sans nous apercevoir que la guerre a commencé. Que nous n’allons même pas nous rendre compte de notre propre disparition… Je me demande à quel moment le fil s’est cassé. En fait il s’est cassé dès le début. A cause de l’absence de liberté. Nous n’avions plus besoin de la vérité. Voilà le sommet de la pensée libre : « Peut-on manger des radis ou non ? »… On ne croit pas les autorités, on ne croit pas les médecins,  mais on n’entreprend rien par soi-même.  A la fois innocents et indifférents… Tchernobyl  a contribué à donner une bouffée d’oxygène à notre système qui allait périr… J’ai peur de le reconnaître mais nous aimons Tchernobyl. Cela a redonné un sens à notre vie… Le sens de la souffrance. Comme la guerre. Le monde n’a appris l’existence des Biélorusses qu’à la suite de Tchernobyl. Cela a constitué notre fenêtre sur  l’Europe. Nous sommes en même temps ses victimes et ses prêtres. C’est horrible à reconnaitre... Qui suis-je ? Ma mère est ukrainienne, mon père russe, je suis née en Kirghizie, où j’ai grandi, j’ai épousé un Tatar. Et mes enfants ? Quelle est notre nationalité ? Nous sommes tous mélangés… Sur nos papiers d’identité il est indiqué que nous ne sommes pas des Russes, mais des Soviétiques ! Seulement, le pays qui m’a vu naître n’existe plus. Nous sommes maintenant comme des chauve-souris… » 

Svetlana Alexievitch, La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse.

Je pense à un pays. Un endroit où j’aurais aimé vivre dans une autre vie. Une forêt encore vierge, comme j’ai eu la chance d’en découvrir une à l’âge où mon père a cessé de vivre.

Au pied d’un pommier. Dans un champ. En vue d’un petit bois où se tenaient les Allemands.

Où aller mourir ? Je le vois comme revivre, dans un clignotement.

Longtemps j’ai été dans l’illusion qu’un jour

je retournerais vivre dans la Nature

et que ce serait mon dernier voyage.

A présent je le vois comme

dans l’hiver algonkin

cet Indien de Betsiamites

parti en raquettes sur un coup de tête

qu’on a retrouvé quelques kilomètres plus loin

mort dans la neige.

Aucun pays n’est la mien.

Il y aura toujours, avec la beauté,

une distance, et dans le désir, un regret.

Ainsi le fleuve qui glisse sur la pente

avec calme et violence comme

une possibilité d’être arrêté

me mène en France

où il n’est pas.

Ni Corse ni Provence,

ce désir, ne me le rendent,

qu’un instant cesse l’errance

jusqu’à un pays d’où je serais.

Les dieux s’en sont allés,

d’où je viens, le cœur avec,

et l’Histoire, l’immédiate peur à part,

n’a pas changé : farce

des démons

à visage humain

dans la Nature diminuée.

Ainsi pensais-je le 15 septembre

à Kuramadera par les escaliers

divins où, à chaque palier,

une foule se prosternait -

m’absorbant moi-même à l’occasion

dans le silence d’une image dorée.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.