On en parle depuis trois jours : pour non-respect enfin reconnu d'une directive européenne (la Directive Cadre Eau) dans l’affaire de Sivens, il se pourrait que l'Europe condamne la France.
Elle est trop bonne ! Qui s'y serait attendu ? Quand même, il y a de la morale au sommet… Quand on vous disait… Finalement, on est protégés…
L'enfantillage serait-il le dernier mot de la politique ?
Cette action de l'Europe je la vois plutôt comme une leçon bien retenue de Machiavel. Je n'ai pas sous les yeux le passage où il la recommande, mais elle pourrait se résumer en un principe d'habile gouvernance dans le chapitre où Machiavel se demande si un prince a avantage à se faire aimer ou à se faire craindre de ses sujets.
Le principe est le suivant : inciter les seigneurs à abuser de leurs pouvoirs, pour paraître en avoir été abusé soi-même en apprenant leurs méfaits, et les condamner alors d'une main ferme.
Entre la crainte et l'espérance, c'est faire jouer, du côté du peuple, le fameux "le roi ne savait pas", qui l'innocente ; et du côté du pouvoir - tant le peuple a ce besoin sentimental de croire, n'est-ce pas, en ses chefs, que plus le couperet tombe de haut, plus l'effroi qu'il répand au-dessus de sa propre tête le conforte dans son besoin d'espérance - c'est prodiguer la preuve de son impartialité ; preuve administrée avec une sauce sanguinolente incitant à nourrir en la savourant un sentiment de reconnaissance apitoyée envers son infinie bonté…
En condamnant la France, l'Europe s'imagine-t-elle nous faire oublier que ce n'est pas la France qui s'est mal conduite en protégeant le saccage d'une forêt et en envoyant humilier et violenter les jeunes gens qui la défendaient, mais l'Etat français ? Et que, si cet Etat l'a fait, il n'a fait que jouer le rôle "d'Etat fort" que l'Europe en attendait ?
La France, quant à elle, n'a rien fait, sinon, fidèle à son jeu favori, se diviser : d'où est venue la violence, des zadistes ou des policiers ? Quand toute la planète a pu voir ce qui se passait sur internet, le débat, servilement orchestré, est aussi grotesque que fut abasourdissant le silence des média jusqu’à la mort de Rémi Fraisse.
Ce débat clownesque a pour modèle l'opposition de la gauche et de la droite, c'est-à-dire des partis, à la place de la lutte de la base contre le sommet. On a beau le savoir, on continuera à se laisser balader tant qu'on n'aura pas la maîtrise du calendrier. Qui décide qu'il faut voter, quand, pourquoi et pour qui ?
Le spectacle scénarisé de la politique étant plus payant que la déconcertante réalité, il serait vain d'attendre, après la démission de son ministre de l'intérieur, que le président de la République réprimande sa ministre de l'écologie, fasse la leçon à son premier ministre, rappelle son préfet et rende interdit de sénat le roitelet du Tarn maintenant bien connu du public, le joyeux Thierry Carcenac, tant que cet autre drille du spectacle de la politique, Jérôme Cahuzac (qui par une curieuse coïncidence porte le même nom qu'un village voisin du Testet), continue de toucher ses émoluments de 9.200 euros par mois, au lieu de purger une peine qui nous soulagerait. Un ménage poussé trop loin par le président de la République pourrait lui faire remonter la poussière sous le nez.
Heureusement, Sainte Europe veille sur tout cela. Attendez le dernier épisode de la série en cinq actes et vous verrez, le ménage sera fait de haut en bas en descendant et en remontant tous les escaliers. Ceux qui, en fait de gouvernement, à part parader, ne savent qu'envoyer les armées de la République violenter des manifestants désarmés, les calomnier quand ils sont morts, ressasser "nous sommes un Etat de droit", montrer les dents et s'en mettre plein les poches, finiront bien par se casser le nez.
Un grand merci donc à Mme Grèze pour son opiniâtreté à acheminer sur plus de 3 ans cette condamnation qui, espérons-le (pour ne pas trop nous faire sentir la note), restera symbolique.
Aux témoins de la façon dont les choses se sont passées pendant plus de deux mois hors de vue des média comme si c'était en Afrique, cette condamnation aurait le mérite de la clarté si elle frappait l'Etat français pour son vrai motif, à savoir : conduite en état d'ivresse. Avec retrait du permis de conduire les affaires du pays à la clé.
Vu des pays ni trop grands ni trop petits où se recrée la démocratie, on attendrait plutôt d'une addition de réprobations d'autres semblables pays pour que, sans plus faire d'histoire, cet Etat se démette. En emportant toutes ses superstructures avec lui.