1. Du mariage d’Etat
La France est peuplée de gens divers. Vouloir tous les loger à la même enseigne n’est pas faire preuve d’esprit égalitaire, c’est nier leurs différences.
On peut en dire autant de l’humanité.
C’est pourquoi il vous faudra vous y reprendre à plusieurs fois avant de réaliser vos fantasmes de gouvernement mondial, élèves des grandes écoles où l’on formate les hommes d’Etat !
Une même loi pour tous ? N’y pensez même pas !
Ce ne sont pas les lois qui font les mœurs ; c’est des mœurs que viennent les lois. Pas besoin de législateurs pour cela, sinon pour imposer à tous les mêmes mœurs.
Michel Houellebecq dans un de ses romans fait dire à un de ses personnages : « Il ne nourrissait plus aucune illusion sur le comportement de l’être humain lorsqu’il n’est pas soumis au contrôle des lois ».[i]
Cette réflexion exprime bien le pessimisme qui préside à certain esprit législateur ; pessimisme qui résulte moins d’une ethnographie du cœur humain que d’une machination semblable à celle des prêtres lorsqu’ils instruisent leurs semblables à se mépriser eux-mêmes pour les obliger à s’améliorer en embrassant leur religion.
Machination vertement remise à sa place par le promoteur du « Projet Vénus », Jacques Fresco, lorsqu’il déclare: « Certains culs d’ânes pensent qu’ils peuvent contrôler le comportement humain en faisant des lois. Ce sont les conditions ambiantes qui contrôlent le comportement humain, pas les lois. » [ii]
Contrôles, conditions ? Déterminismes ? Nous qui nous croyions dans des sociétés régies par l’invention !
Le fait est que parmi les « conditions ambiantes » on observe de moins en moins celles qui viennent de la nature, qui n’est plus sous les pieds des humains entassés dans des systèmes sociaux de plus en plus contraignants, ni autour d’eux, ni au-dessus de leur tête, et bientôt plus dans leur assiette, et pour combien de temps encore dans leur cœur. La première condition ambiante pour la majeure partie de l’humanité n’est plus celle qui lui permet de produire elle-même sa nourriture ; ce sont les conditions sociales qui ont créé la nécessité de gagner de l’argent (ce qu'on appelle gagner sa vie) pour subsister.
C’est ce qui permettait à Mayer Rothschild, le fondateur de la fameuse dynastie financière, de lancer : « Donnez-moi le contrôle sur la monnaie d’une nation et je n’aurai pas à me soucier de ceux qui font ses lois. »
Voilà qui est clair.
« Aucune loi ne rendra jamais les hommes libres, écrivait déjà Henry D. Thoreau en 1850. C’est aux hommes de se libérer des lois… » Et Thoreau d’ajouter : « Les lois doivent être faites pour exprimer des principes fondamentaux. Pour le reste, ce n’est pas affaire de magistrats. » [iii]
Voilà qui est clair aussi.
Premier entre les principes fondamentaux, celui qui consiste à reconnaître le mystère du don de la vie. La réciprocité avec la nature en découle ; le partage de la liberté entre semblables en dépend. C’est ce principe qui distingue les sociétés librement constituées de celles où, la liberté n’étant plus partagée, une clique armée commande et la majorité subit.
Par une telle reconnaissance posée en principe, une société se situe dans le monde d’une manière qui m’agrée. Je peux souhaiter y séjourner. Si la vie est reconnue dans sa source inconnue et cet inconnu ne fait l’objet d’aucune appropriation, d’aucun trucage, d’aucune religion qui se substituerait à la possibilité, pour chacun, d’en faire l’expérience par lui-même, je ne me sens menacé en aucune manière. Qu’à l’opposé, une société se pose en source unique du droit et de la vie, si en outre elle m’oblige à apprendre son catéchisme et prétend m’enrôler de force dans son armée, elle fait de moi son ennemi.
Pour que des gens soient fondés à légiférer sur les mœurs de leurs congénères, il faudrait qu’ils commencent par donner l’exemple de mœurs que ceux-ci puissent approuver. Moralité ? Force ? Intelligence ? Bonté ? Quelle est la qualité la plus importante pour légiférer ? Ce n’est pas forcément la même que pour commander ; ni pour s’entendre.
Nous faisons partie de communautés variées. Mot qu’on n’ose plus guère prononcer en France ! Car les communautés, dont tout être humain fait d’abord et naturellement partie, ont la particularité d’être, en république, honnies. Et la république est redevenue fort honnissante en 2013.
Quels crimes les communautés ont-elles commis ? Celui d’exister avant que les Etats ne fassent tout pour les éradiquer ? Les plus grands crimes sont ceux qui se commettent à la tête des Etats. Ils sont incommensurables. La vie de millions de gens en dépend. Ce sont aussi les plus impunis.
Non seulement impunis, mais glorifiés, magnifiés. Mythifiés.
« Tuez un homme, disait Jean Rostand, vous êtes un assassin. Tuez-en des milliers, vous êtes un grand homme. Tuez-les tous, vous êtes Dieu. »
« Tout ce qui se bâtit de grand dans le monde se bâtit sur le meurtre », lui fait écho Michel Houellebecq aujourd’hui. [iv]
C’est tellement profondément ancré qu’on voit mal comment l’humanité pourrait s’en sortir à moins d’une calamité.
Pessimiste de la première heure et pionnier de l’écologie, Jean-Claude Carrière n’hésite pas à le proclamer : « Au point où nous en sommes, une issue favorable ne sera possible qu’au prix de crises majeures. Pour parvenir à un changement de mentalité [v] radical, plusieurs millions de morts seront malheureusement nécessaires ». [vi]
Comme il en a fallu des millions pour mettre en place le système qui rend logique cette conclusion.
Ce système, c’est l’Etat.
Il est admis chez nous que la vie privée et la vie publique doivent rester séparées. Dans ce cas, restez dans le privé, élèves des grandes écoles où l’on fabrique les hommes d’Etat ! Mais ne sévissez pas dans les deux à la fois.
Qu’en plus vous sévissiez dans l’industrie, un jour viendra-t-il où vous l’aurez assez encensée ? A entendre depuis trois siècles vos hymnes à son sujet, on dirait que c’est la nouvelle religion. Dans ce cas, quand vous mêlez l’industrie à la fonction publique, vous contrevenez au principe sacro-saint de la république : la laïcité.
Dans une société qui aurait poussé normalement de la base vers le sommet, on ne devrait pas plus adorer l’industrie qu’on ne devrait être admis à légiférer quand on a les pieds à la fois dans le privé, le public et l’industrie; car c’est contraire à la morale publique.
Bien que s’étant organisés depuis le haut vers le bas, les anciens Grecs, inventeurs de la démocratie, étaient très chatouilleux sur la morale publique. Voyez comment Plutarque parle de Périclès : « Pendant sa longue carrière politique, il n’alla dîner chez aucun de ses amis. ». Et Aristote plaçait la vertu au cœur de la cité.
Quand bien même ils seraient de mœurs propres à inspirer confiance à une fourmi, demander à des hommes d’Etat de légiférer en matière de mœurs, c’est s’exposer à les voir mettre à plat des différences au profit d’une arithmétique dont l’étalon n’est pas l’individu mais l’Etat.
On peut estimer à l’opposé que, l’Etat étant ce qu’il est, il serait moins abusif s’il ne m’empêchait pas d’avoir les relations qu’il me plaît avec qui partage les mêmes sentiments que moi.
Mais que l’Etat « légalise » cette liberté ? Surtout pas !
Tout ce en vue de quoi je m’organise, c’est qu’il ne m’empêche pas de faire ce qui me plait. Sachant que si je lui demandais de légaliser ma liberté, il ne ferait pas tant d’elle un droit, qu’il ne s’affirmerait comme son dispensateur obligé - et c’est tout ce que j’aurais fait !
Tôt ou tard, à n’en pas douter, j’aurais à en subir les conséquences, comme par exemple de ne pouvoir léguer mes inédits à qui je voudrais, et ce serait le moment, avec Solon prenant congé de ses concitoyens, de déclarer à tous ceux qui ont convié l’Etat à s’introduire dans leur jardin secret : « Si nous subissons des traitements funestes à cause de notre lâcheté, n’en imputons pas la cause aux dieux ! Car nous-mêmes avons accru la puissance de nos oppresseurs en leur donnant des armes contre nous, et par ces motifs, nous avons été réduits à la servitude pénible. » [vii]
Se marier, ce n’est pas se dire l’un à l’autre « je t’aime », c’est dire que le choix qu’on a fait l’un de l’autre n’est valide que pour autant qu’on y mêle la loi ; c’est dire « nous honorons l’Etat » ; c’est proclamer « notre union est légitime parce que, nous aimant, nous confessons nous aimer selon la loi » ; et donc c’est moins s’unir pour être plus forts, que s’y mettre à deux pour renforcer sur soi le pouvoir de la loi.
[i] Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, 1998.
[ii] www.thevenusproject.com
[iii] Henry D. Thoreau, L’esclavage au Massachusetts, 1854.
[iv] Les particules élémentaires, p. 257.
[v] (c’est moi qui souligne).
[vi] L’hebdo des socialistes, N° 259, 18 janvier 2003.
[vii] Plutarque, Solon, Vies parallèles.