A Joël Martin en réponse à mon billet d’avant-hier intitulé « en attendant le grand soir », où vous me dites : « Edouard Martin a au moins le mérite d'agiter le bourbier. C'est peut-être l'étape qui précède la suivante : renverser la table... »
Bien sûr et j’admire Edouard Martin pour sa pugnacité. Mais je pense qu’il faut aller plus loin.
Ne plus se laisser acculer à la défense misérabiliste de l’emploi tout en demandant « toujours plus d’industrie » comme si on n’avait pas le choix. C’est rester une main en arrière. Pire : c’est d’emblée être enfoncé. Mis en position de défense et se voir forcé de joindre sa voix au chœur de la compétitivité qui consacre un état de guerre économique qui repose entièrement sur la surconsommation mondiale. Dans un pareil état de guerre on a toujours le choix d’entrer en résistance anti-surconsommatoire.
Renverser la table, dites-vous ? Qu’attendons-nous ? L’inanité de l’espérance socialiste étant, au bout de six mois, une nouvelle fois prouvée, est-ce que ça ne pourrait pas commencer par ne plus laisser l’adversaire s’appuyer sur la défense de l’industrie et le chantage à l’emploi sans en profiter pour soulever l’autre côté de la table : la destruction de la planète par une économie de profit entièrement basée sur l’appât des alléchantes technologies qu’elle produit ?
Alors la question commence à apparaître dans sa totalité. Alors la table se laisse voir sur ses quatre pieds : L’Etat, l’Industrie, le Peuple, la Terre (l’Armée étant invisible, et l’Idéologie crevant les yeux à sa place). La Terre, oui. La grande oubliée de cette affaire, occultée par la sempiternelle idéologie humanocentriste relookée en animalocentrisme, c’est-à-dire en économisme, qui ne voit en elle que « ressources » relativement à « nos besoins » artificiellement gonflés par l’industrie.
Comme si la Nature était à notre service !
Ne pas se laisser piéger à faire de la condition première de nos vies une question « à part ». Ne pas se laisser piéger à en faire une affaire de parti. Ce n’est pas une affaire de parti, c’est une question survie. Pas seulement de nourriture. D’air. Et d’esprit.
Ne pas se laisser piéger à avoir perdu l’esprit.
L’esprit n’est pas une affaire de parti. Sans prise en compte de la condition naturelle de nos vies il n’est pas de pensée qui aille du brin d’herbe à l’Univers.
De la table, passons donc à la fenêtre Il n’y a pas deux volets, l’un économique, l’autre écologique. Il y a la fenêtre toute entière, comme deux yeux pour ne pas voir le monde aplati. Ces deux yeux, qui nous font voir le monde dans l'espace, ouvrent sur l’exploitation de la Nature et l’exploitation de l’homme comme les deux aspects d’une seule et même tragédie.
Si la politique consiste à diviser pour régner, elle ne joue pas seulement sur les divisions qu’elle crée entre les hommes. Elle joue aussi sur celles qu’elle crée dans leur esprit. C’est le terrorisme intellectuel de la fragmentation des problèmes.
Après avoir érigé les marchés en solution unique de tous les problèmes, la pensée unique (celle des économistes néo-libéraux, qui ont renversé cette cause unique de tous les cataclysmes en solution unique), use de tous les moyens dont elle dispose pour atomiser la casse ouvrière. Les épisodes programmés de la politique qui s’exhibe n’ont, du point de vue de la finance qui en tire les ficelles médiatiques, qu’un seul objectif : empêcher l’ensemble des travailleurs, ravalés au rang de demandeurs d’emplois, de prendre une conscience révolutionnaire de leur condition à l’échelle mondiale.
Face à ce cataclysme dont le déferlement à basse énergie menace l’humanité dans sa majorité d’asthénie mentale, la technique « brindille par brindille » risque d’être inefficace. Mieux vaut carrément construire une pensée qui tienne tête à la pensée unique. Envisager tous les problèmes dans leur globalité. Et ne pas en démordre. En finir avec ces « combats politiques » on l’on a toujours la main en arrière de l’adversaire qui tout à la fois vous dicte ses règles du combat et vous culbute dans sa problématique. A chaque combat, se pénétrer de l’idée qu’il n’y aura jamais aucun pas gagné, ni lieu de se glorifier de quelque victoire que ce soit, tant qu’une avancée d’une précision technique n’aura pas été faite dans le sens d’une mondialité qui cesse de faire comme si la Terre n’existait pas.
C’est pourquoi, lorsque l’emploi est un peu plus comprimé, l’industrie un peu plus sanctifiée, la croissance est un peu plus appelée à concilier leurs intérêts opposés, le travail un peu plus méprisé sans pour autant cesser d’être encensé, la natalité encouragée, nos sacro-saints besoins énergétiques absous, et le nucléaire, le gaz de schiste et les ventes d’armes promus au rang des causes nationales en raison de leur soi-disant rentabilité profitable à tous au mépris de tout le reste, il ne faut pas manquer une occasion d’opposer à toutes ces obscénités de la nouvelle religion industrielle le caractère criminel de ses entreprises, et de travailler à se donner les moyens (démocratie directe oblige), nous, citoyens et ruraliens, sans personne au-dessus de nous pour nous trahir sous prétexte de nous représenter, d’en décider.
Ce qui revient à soulever la question de la légitimité d’un Etat qui décide en faveur des financiers sur le dos des travailleurs, courtise ouvertement les seconds, maltraite ignoblement les premiers, et brade tranquillement toute la nation.
C’est redevenu Laffitte rançonnant l’Etat sous Louis-Philippe (1), en attendant (mondialité oblige) le règne affiché de la finance internationale, américaine, hindoue, chinoise, singapouraise, quataraise devenue propriétaire de notre pays, sans plus aucun Etat-bouclier pour défendre nos intérêts mais avec l’appui tricolore des milices surarmées de leur futur « Etat mondial » - si nous continuons à nous laisser piéger.
Quel pouvoir est le nôtre, rien que d’y penser !
Notre force est dans une pensée ouverte à la complexité et au multiple.
En créant la pensée unique, les néo-libéraux se sont grandement fragilisés. Ca fait beaucoup de corps pour une seule tête. Système de pensée simpliste, d'autant plus facile à décapiter...
PS. - Merci à Mme Annie Lasorne pour : « Votre texte m'est précieux dans l'élaboration d'une pensée introductive. Merci. Commencer par sa pensée pour s'organiser... »
PS 2 – Rappel historique sur la pensée unique :
http://blogs.mediapart.fr/blog/annie-lasorne/281212/encerclement
(1) « Après la révolution de Juillet, lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d'Orléans à l'Hôtel de ville, il laissa échapper ces mots : « Maintenant, le règne des banquiers va commencer. » Laffitte venait de trahir le secret de la révolution. »
Karl Marx, La lutte des classes en France, 1848-1850, ch. 1.