Que sont devenus les audacieux philosophes
d’Agrigente, d’Ephèse et de Milet ?
L’homme étant ce que nous savons tous, disaient-ils,
il n’y a que deux mystères : la Femme
& le reste. Ecartons le premier.
C’est celui qui hanta nos pères
et les pères de nos pères
à qui nos mères ont emprunté
leur semence pour se perpétuer.
Alors nos ancêtres vivaient dans des villes emmurées
et la pensée ne pouvait pas s’élever devant l’oracle.
Mais la Guerre a eu raison du règne de nos mères
et, à présent, fleurit l’heureux Commerce.
Venons-en donc, le mystère de la Femme écarté
par la loi qui fait de la cité
un monde d’hommes
où le Chaos est dompté
& la fécondité réglée,
au Cosmos – immense clarté
parcourue d’astres,
la terre étant incisée par le soc,
et la mer – notre liberté !
Est-ce un tout ?
Est-ce un assemblage illusoire
qui ne doit son unité
qu’à l’anxiété de nos sens ?
Et la mesure qui règne sur nos corps
comme elle commande à la cité
n’est-elle que l’ombre de cette anxiété ?
Et ce que nous appelons langage
n’est-il que l’ombre de cette ombre
dont la trace se perd entre choses et vocables ?
Est-ce, alors, un flux ?
Est-ce un feu allumé par hasard
qui s’éteindra par nécessité ?
Existons-nous le temps d’un éclair ?
Et si cet éclair nous semble une éternité
est-ce cela, notre mesure ?
Effrayante est la pensée qui se libère.
Menacé dans son germe tout ce qui naît.
Telle semble être la loi de l’esprit : étincelle
qui d’abord éclaire, puis consume.
N’y a-t-il pas cependant en cette loi
une stabilité ?
Sur quel principe allons-nous fonder
l’ordre où nos villes se dresseront
comme des monuments de vérité ?
L’air ? L’atome ?
Que sont devenus les audacieux philosophes
des premiers temps de la cité ?
Que sont devenus ces penseurs sobres
maîtres de leur parole comme de leurs corps ?
Que sont devenus ces artistes de la pensée ?
En allés ! Avec la lumière de leur regard
et cette beauté que Nietzsche a chantée
lorsque, d’une mouvement naturel
sous un ciel bombardé,
il pensait au commencement de la pensée
et devançait l’histoire !