LA DETTE
Les fous ont pris le contrôle de l’asile
Ce sous-titre, emprunté à l’économiste Pierre Larrouturou, souligne le caractère aberrant des politiques menées depuis plusieurs années au bénéfice de quelques uns, politiques qui sont à l’origine d’un surendettement que l’on entend aujourd’hui faire payer au peuple.
Depuis trente ans, nous vivons au dessus de nos moyens, nous serine la propagande officielle. C’est ce laxisme, ajoute-t-on, qui a causé l’accumulation d’une dette colossale (de 1780 milliards d’euros pour la France, soit 86% de son PIB). Les marchés qui financent cette dette ne font plus confiance à notre capacité de remboursement et relèvent les taux d’intérêt, ce qui rend la dette de plus en plus lourde. Vient alors la terrible menace (réalisée au cours de la rédaction de ce document) : Les Agences de notation menacent d’abaisser notre note. Il est donc indispensable, pour rassurer les marchés, de réduire les dépenses publiques (entendez : réduire les dépenses sociales et celles qui font vivre les Services publics). Ce discours vise à nous faire accepter des plans d’austérité encore limités, période préélectorale oblige, mais le sort réservé au peuple grec nous donne une idée de ce qui nous attend après l’élection présidentielle, même en cas de victoire d’une gauche libérale.
En fait, ce discours dans lequel nos dirigeants se retranchent derrière une sorte de Zorro que l’on nomme « les Marchés » marque, en fait, la phase finale d’une offensive contre les Services publics, la législation du travail et les acquis sociaux durement conquis à la suite de la grande crise des années trente et dans l’après-guerre, une offensive qui a débuté à la fin des années 70 et au début des années 80 avec l’irruption sur la scène politique du capitalisme néo-libéral.
On ne peut rien comprendre à ce qui se passe de nos jours dans les pays d’Europe occidentale, en particulier à la crise de la dette, si l’on n’a pas en mémoire le fait qu’il y a trente ans, le capitalisme a changé radicalement, passant d’un capitalisme de compromis qui s’était établi dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale à un capitalisme radical et sauvage, dit « néolibéral », incarné aux Etats-Unis par Ronald Reagan et au Royaume Uni par Margaret Thatcher.
Alors qu’à la suite de la grande crise des années 30 et des horreurs qui l’ont suivie (fascisme, nazisme et deuxième guerre mondiale) le capitalisme avait été relativement ramené à la raison par des règles strictes de régulation instaurées par Roosevelt, par les luttes sociales, par l’influence de la social-démocratie, par la pensée de l’économiste Keynes qui voulait que l’Etat intervienne pour soutenir l’économie lorsqu’elle fléchissait en y injectant de l’argent sous forme d’investissements et de hausse des salaires, afin de relancer l’emploi et la consommation. Les grands capitaines d’industrie eux-mêmes, tels John Ford, avaient compris que s’ils voulaient vendre leurs produits, ils devaient mieux partager les gains de productivité entre le capital et le travail (compromis fordiste). Par ailleurs, afin d’éviter la spéculation, les Accords de Bretton Woods avaient, à la sortie de la guerre, établi la stabilité des taux de change et, chez nous, le Conseil national de la Résistance avait imposé un remarquable système de solidarité dont les différentes branches constituent ce que nous appelons la « Sécurité sociale ». Ces réformes avaient accompagné l’éclosion de la Société de consommation avec ses commodités, mais aussi ses dommages qui provoquèrent des mouvements de révolte comme en mai 68 et causèrent des dégâts à l’environnement dont nous commençons à mesurer aujourd’hui la gravité.
Cette évolution qui dura tout au long d’une période de reconstruction de l’Europe que nous appelons « les Trente Glorieuses », jusqu’à la fin des années 70, fut en permanence contestée par une idéologie « néolibérale », qui remonte aux années trente, représentée principalement, en Autriche, par l’économiste Friedrich Hayek et aux Etats-Unis par l’Ecole de Chicago dont le chef de file, Milton Friedman fut le maître à penser de Reagan et Thatcher. Les thèmes centraux de cette idéologie (que nous retrouvons aujourd’hui dans le discours de nos hommes politiques) étaient :
- La « théorie monétariste », qui, à l’opposé de la pensée de Keynes, estime que toute injection d’argent par l’Etat dans l’économie a un effet néfaste, engendrant de l’inflation (ce qui fait horreur aux rentiers !).
- Un système de valeurs qui, à l’opposé de la solidarité, prône un individualisme selon lequel chacun est seul responsable de son sort et ne doit compter que sur sa capacité à s’engager dans la compétition avec tous les autres.
- A ce titre, une dénonciation permanente de « l’Etat Providence » et de « l’Assistanat », visant à réduire au strict minimum tout ce qui ressemble à une protection sociale.
- La remise au goût du jour de la théorie d’Adam Smith sur les bienfaits de « la main invisible du marché », censée contribuer au bien général à partir de la confrontation des intérêts individuels.
- En conséquence de ce rôle conféré au marché, une théorie de l’Etat minimal, les Etats devant se désengager de l’économie pour laisser la place aux marchés dont les lois sont censées assurer le bonheur de tous (« L’Etat n’est pas la solution mais le problème »), avec pour corollaire l’impératif de la réduction des impôts et la privatisation des Services publics. Le rôle de l’Etat est réduit à son rôle régalien qui consiste, pour l’essentiel, à défendre le pays contre les agressions extérieures et à protéger la propriété.
- Dans la logique de ce système de valeurs, la priorité accordée à tous niveaux (personnel, social, entreprises, nations) à la concurrence « libre et non faussée », selon l’expression qui prévaut aujourd’hui dans l’Union européenne. Cette concurrence est étendue à toutes les activités humaines, qui doivent toutes fonctionner sur le modèle de l’échange de marchandises.
Cette idéologie, diffusée pendant des décennies, finit par s’imposer sur le plan politique à la faveur de la crise économique de la fin des années 70 dont un événement marquant fut la crise pétrolière consécutive à la guerre des 6 jours en Israël. Cette prise de pouvoir politique se produisit, on l’a dit, aux Etats-Unis lors de l’élection de Ronald Reagan et en Angleterre lors de l’élection de Margaret Thatcher. Elle se répandit progressivement dans le monde entier. Dans les années 70, avant même de triompher dans l’ère Reagan, c’est à partir des Etats-Unis que cette idéologie se répandit dans toute l’Amérique latine qu’elle fit ployer sous le joug de dictatures militaires toutes soutenues si ce n’est mises en place par la CIA. C’est également sous l’impulsion des Etats-Unis que des organisations mondiales, le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC, n’ont eu de cesse de soumettre les Pays du Sud aux règles du tout marché et de la concurrence généralisée. En France, le premier représentant de cette idéologie sur le plan politique fut un certain Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’économie de Georges Pompidou qui, lorsqu’il fut élu à la présidence de la République, prit comme premier ministre l’économiste néo-libéral Raymond Barre, l’homme qui traduisit en français les œuvres de Friedrich Hayek.
Le néo-libéralisme et la dette
En quoi ce passage au capitalisme néo-libéral joue-t-il un rôle décisif dans la crise de la dette telle que nous la vivons aujourd’hui ? Ce rôle est lié au fait que tous les gouvernements inspirés par l’idéologie néo-libérale, qui se sont succédés au pouvoir depuis la fin des années 70, ont dessaisi l’Etat des moyens qui lui permettaient de contrôler les circuits de l’argent, essentiellement par deux séries de mesures complémentaires :
-La déréglementation des flux financiers, autrement dit la libre circulation des capitaux,
-La modification du statut des Banques centrales, auxquelles il est désormais interdit de financer la dette publique.
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La déréglementation des flux financiers
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Tout a commencé aux Etats-Unis vers la fin des années 70, explique, dans un livre paru en 1999 (« Le capitalisme zinzin »), le journaliste économique Eric Israelowicz, aujourd’hui directeur du journal Le Monde. Jusque là, dans ce pays comme dans les autres pays capitalistes, quelques grandes banques et sociétés d’assurances déterminaient l’accès aux capitaux. D’autre part, au lendemain du krach de 1929, les législateurs américains avaient imposé une réglementation extrêmement pointilleuse et précise aux milieux financiers jugés responsables de la crise. Ce système est entré en crise au milieu des années 70, une crise due à une inflation galopante et aux crises financières latino-américaines. Afin de terrasser l’inflation, le banquier Paul Volcker, nommé en 1979 à la tête de la Réserve Fédérale, augmenta fortement le coût de l’argent, la matière première des banques. Faute de pouvoir trouver des fonds pas trop chers aux guichets des banques, les entreprises cherchèrent à en trouver ailleurs, sur les marchés. Dans le même temps, Ronald Reagan, installé à la Maison Blanche en 1980, lança un mouvement de déréglementation tous azimuts. Stimulé par ces réformes de Reagan, Wall Street fit preuve d’une grande capacité d’innovation et multiplia les offres, provoquant un spectaculaire engouement des entreprises et de l’épargne en général pour les marchés. A partir des Etats-Unis, la dérégulation des flux financiers se répandit dans le monde entier, accompagnant la généralisation des politiques néo-libérales.
En France, paradoxalement, ce ne fut pas sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing mais sous celle de François Mitterand, à partir du virage de 1983 et sous les deux cohabitations, que le mouvement de déréglementation prit toute son ampleur. Jusque là, l’Etat contrôlait totalement le système financier et, avec la nationalisation des banques en 1982, il disposait d’une maîtrise totale des circuits de financement et empêchait toute montée en puissance des marchés financiers. C’est, déclare Eric Israelowicz, un capitalisme d’Etat caractérisé par un concubinage permanent entre les hommes de pouvoir et les hommes d’argent.
Tout ce système va basculer en mars 1983. Face à une dérive inflationniste causée par l’endettement croissant du pays, dérive qui menace le franc français et pour satisfaire aux conditions posées pour la réalisation de l’Union économique et monétaire par la Commission européenne, le changement de direction est radical. Tous les gouvernements qui vont se succéder, de gauche comme de droite, sous la présidence de François Mitterand puis de Jacques Chirac, les gouvernements de Bérégovoy, de Balladur, de Juppé, de Jospin vont organiser le désengagement progressif de l’Etat des circuits de financement. Cette libéralisation des circuits de financement va se faire progressivement dans tous les domaines. Déréglementation des circuits de financement menée, à partir de 1984, par Pierre Bérégovoy. Libéralisation des prix. Au 1er janvier 1987, tous les prix sont libres à l’exception de quelques services publics. Dans le même temps, la plupart des mécanismes d’indexation sont supprimés. L’encadrement du crédit est supprimé en 1987. Le contrôle des changes disparaît à partir du 1er juillet 1990, ce qui entraîne une totale liberté des mouvements de capitaux. Enfin l’Etat favorise l’expansion de la Bourse de Paris. De nouveaux marchés sont créés. Le droit boursier est profondément remanié. Toutes ces réformes font exploser l’architecture des circuits de financement de l’ancien régime. Elles y introduisent par de multiples canaux la concurrence.
Parallèlement et à la faveur de ce mouvement de déréglementation aux Etats-Unis et dans le monde entier, on voit apparaître à côté des banques internationales et monter en puissance de nouveaux acteurs, ceux que l’on appelle les « investisseurs institutionnels », les fameux zinzins dont parle Israelowicz. Ce sont les « fonds de pension » et les « fonds mutuels » Les fonds de pension, essentiellement basés en Amérique du Nord, gèrent l’épargne des ménages et les cotisations des employeurs dans le cadre du système de retraite par capitalisation. Les fonds mutuels sont des gestionnaires de portefeuilles collectifs constitués en récoltant l’épargne de particuliers. Ces organismes de gestion sont généralement des sociétés privées et indépendantes qui gèrent, sur le long terme (10, 20, 30 ans) les économies de leurs clients. Travaillant sur le long terme, mais dans un climat de concurrence féroce, ils doivent démontrer en permanence qu’ils offrent le rendement le plus élevé et le plus sûr du marché, ce qui entraîne une vision à court terme. Leurs actifs nominaux et leurs revenus, écrit François Morin, professeur de sciences économiques à l’université Toulouse1, ancien membre du Conseil général de la Banque de France , ont crû de façon exponentielle dans les années 1990.
Gérant, à l’aube de l’an 2000, un montant colossal de 10000 milliards de dollars ils vont peser lourdement sur l’économie : Ils vont modifier complètement le rapport des forces à l’intérieur des entreprises. Le mot d’ordre devient « la création de valeur pour l’actionnaire ». Exigeant une rentabilité extravagante de 15, voire de 25% au profit des actionnaires, ils vont contribuer puissamment à la dégradation du partage des revenus entre le capital et le travail. L’exigence d’une telle rentabilité financière aboutit à révolutionner le mode de management et à transférer sur le monde du travail le risque encouru par les investisseurs. Il faut « flexibiliser » le travail qui doit toujours coûter moins cher.
La création de valeur pour l’actionnaire est loin de constituer la seule source de profit recherchée par les fonds d’investissement. François Morin met en lumière le caractère hautement spéculatif de l’immense majorité des flux financiers qui circulent à travers la planète depuis qu’a débuté leur libéralisation. Cette libéralisation a entraîne une volatilité de plus en plus grande des principaux taux de change, la fin de l’encadrement du crédit (C’est désormais « le marché » qui fixe les taux d’intérêt selon ses propres critères) entraînant, à la fin des années 1980, d’importantes fluctuations des taux d’intérêt. On a alors assisté au développement extrêmement rapide de « produits dérivés », sortes de produits d’assurance répondant au besoin de se protéger contre les risques liés à ces fluctuations. Quelques chiffres en donnant une idée. L’ensemble des transactions interbancaires dans le monde atteint, pour l’année 2002, la somme faramineuse de 1155 milliers de milliards de dollars dont seulement 32,3 (soit 2,8%) sont des transactions sur des biens et services. Tout le reste est spéculation ou, et surtout, couverture des risques encourus par les spéculateurs : 39,3 milliers de milliards d’échanges de titres en Bourse, 384,4 milliers de milliards de transactions sur le marché des changes, 699 milliers de milliards de « produits dérivés ».
Destinés à protéger des risques encourus par les spéculateurs, les produits dérivés ont très rapidement donné prise, eux-mêmes à des comportements spéculatifs. De plus en plus sophistiqués, élaborés par des « traders » de plus en plus imaginatifs, on les retrouve à l’origine de la crise des « subprimes » due au procédé de « titrisation » qui consistait à mélanger dans un même produit des créances dont certaines, bien cachées dans le lot, étaient dénuées de toute valeur.
La modification du statut des Banques centrales. Le statut de la BCE
Avant le traité de Maestricht (1992) et le passage à l’euro, les Banques centrales étaient en Europe, comme partout ailleurs dans le monde, l’instrument de la politique économique des Etats. Par le contrôle des taux de change, elles contrôlaient la circulation des capitaux et, par le contrôle des taux d’intérêt, elles soutenaient et relançaient si nécessaire l’activité économique et la demande des ménages (des taux d’intérêt plus bas permettent d’emprunter plus facilement et relancent la consommation). Ce soutien de la demande pouvait entraîner une certaine inflation mais l’indexation des salaires en atténuait les effets pour les travailleurs (ce fut le cas tout au long des « trente glorieuses »). Seuls les détenteurs de capitaux n’y trouvaient pas leur compte. Je ne parle pas, bien sûr, de l’hyperinflation qui a frappé l’Allemagne des années trente, où il fallait une brouette de deutsch marks pour aller acheter un pain, cette situation désastreuse ayant favorisé la montée du nazisme. Le souvenir de ce traumatisme explique en partie la fixation d’Angela Merkel sur la doctrine monétariste selon laquelle toute injection de monnaie par l’Etat dans l’économie génère de l’inflation mais une telle hyperinflation ne nous menace absolument pas.
Un autre rôle essentiel des Banques centrales consistait à financer le déficit de l’Etat. Si l’Etat dépensait plus que ce que lui rapportaient ses recettes, le Trésor public empruntait à la Banque centrale sans intérêt ou à un taux minimal, l’Etat n’ayant pas à s’enrichir sur le dos de l’Etat.
Avec Maestricht et l’euro, tout cela est terminé. La seule chose qui compte est la lutte contre l’inflation. La Banque centrale européenne (BCE) est devenue « indépendante » des gouvernements des Etats membres de l’Union. Ceux-ci n’ont aucun droit de contrôler sa politique monétaire en fonction des besoins de leur économie. Le seul objectif qui lui a été fixé par le traité est la lutte contre l’inflation. Cette interdiction de soutenir l’activité des Etats engendre du chômage et empêche toute coordination des politiques économiques entre ces derniers qui vont, à l’encontre de toute politique commune, se livrer à un désastreux dumping fiscal et social.
Par ailleurs, il est interdit à la BCE de prêter aux Etats et ceci est la clé de la crise de la dette. Pour emprunter, les Etats sont contraints de se tourner vers « les marchés » (les grandes banques et les fonds d’investissement du monde entier) à des taux d’intérêt qui alourdissent le poids de la dette et sous la menace permanente de voir la spéculation se déchaîner contre elle pour peu que la solvabilité de l’Etat donne des signes de fragilité. C’est pourquoi il faut en permanence « rassurer » ces marchés qui pèsent de tout leur poids sur la politique des Etats.
En France, on n’a pas attendu Maestricht pour dépouiller la Banque centrale de son droit de prêter au Trésor public. Une loi du 3 janvier 1973, prise à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances de Georges Pompidou, stipule que la Banque de France n’a plus le droit d’accorder des crédits à l’Etat. Pour justifier cette mesure, l’intéressé évoquait la théorie monétariste selon laquelle l’injection d’argent par l’Etat favorise l’inflation.
La zone euro
Tout ceci nous éclaire sur ce qu’est réellement cette zone euro qu’une suite de « sommets de la dernière chance » prétend vouloir sauver des menaces que fait peser sur elle la crise de la dette. Créée dans la plus pure orthodoxie néo-libérale, afin de sécuriser le libre-échange par une stabilité uniquement monétaire, cette zone euro n’organise aucune coordination de la politique économique des Etats. Bien au contraire, elle s’y oppose. En principe, le sauvetage d’un Etat membre par ses voisins est exclu par les traités : chacun est responsable de ses dettes. Ce principe s’est révélé intenable dans le cas de la crise grecque mais il a retardé de plusieurs mois l’aide qu’on a fini par accorder à ce pays. Pendant ce temps, le coût du financement de sa dette a explosé.
Dans la zone euro, les Etats sont réduits au rôle minimal que leur réserve la doxa néo-libérale. L’indépendance de la Banque centrale européenne à leur égard les dépouille des moyens de soutenir l’activité de leur économie (notamment par une politique des taux d’intérêt). Dans ces conditions, il ne leur reste plus, pour soutenir la compétitivité de leurs produits, d’autres moyens que la baisse des impôts et la pression sur les salaires.
Opposés les uns aux autres par la règle de « la concurrence libre et non faussée », les Etats membres sont placés en situation de guerre économique sous la forme d’un dumping fiscal et social qui entraîne délocalisations, baisse générale des impôts sur les sociétés et dégradation des conditions de travail ainsi que des salaires. Il en résulte une baisse des recettes fiscales qui conduit à un alourdissement de la dette. Cette situation a été considérablement aggravée par l’élargissement à 27 qui, 10 ans après Maestricht, a fait entrer dans l’Union européenne 12 nouveaux membres à l’économie peu développée sans que soient dégagées cette fois les sommes considérables qui avaient aidé des pays comme l’Espagne ou le Portugal à relever le niveau de leur économie lors de leur entrée dans l’Union.
Comme nous l’avons vu, les Etats sont placés sous la dépendance des marchés financiers pour financer leurs déficits budgétaires, les intérêts à payer pour ces emprunts aggravant de façon considérable le poids de la dette. Si le risque d’une spéculation sur les taux de change des monnaies nationales a été supprimé par la monnaie unique, il a été remplacé par une menace de spéculation sur la dette, faisant monter les taux d’intérêt. Cette menace permet d’imposer des plans d’austérité rabotant la protection sociale et conduisant à la privatisation des services publics.
Des objectifs occultes
Ce n’est toutefois pas du fait de la fatalité qu’un tel pouvoir a été transféré aux marchés, c’est par la volonté des dirigeants politiques de ces Etats. D’autres choix étaient possibles. Rien ne nous obligeait à interdire à la BCE de financer la dette publique. Comme l’explique l’économiste Jacques Généreux, professeur à Sciences Po, conseiller de Jean-Luc Mélenchon au Parti de Gauche , une nouvelle oligarchie, composée de dirigeants politiques associés à de richissimes hommes d’affaires, s’emploie activement à abolir les acquis sociaux et démocratiques qui ont suivi la crise des années 30 et la deuxième guerre mondiale. Dans nos démocraties occidentales, ce projet se heurte toutefois à de tenaces résistances. Il est politiquement impossible de casser ostensiblement et brusquement les droits sociaux, la protection sociale et les Services publics. Il fallait donc créer des conditions telles que cette mutation radicale soit constamment soutenue par des forces externes et apparemment indépendantes de la volonté des politiques, qui pourront dégager leur responsabilité en disant : « Ce n’est pas nous ! Les marchés nous l’imposent. Nous n’avons pas le choix ! ». Pour bien nous montrer à quel point les politiques sont désolés d’imposer ces sacrifices à leurs concitoyens, nous avons eu droit récemment au spectacle émouvant, tournant en boucle sur les JT, des larmes de la ministre annonçant aux Italiens à quelle sauce ils allaient être mangés.
Sommets de la « dernière chance »
Tout ceci permet de comprendre pourquoi les plans orchestrés au cours des « sommets de la dernière chance » qui se succèdent à un rythme accéléré sont impuissants à conjurer la crise, en dépit des déclarations d’autosatisfaction du couple Merkozy qui s’agite sur le devant de la scène européenne. Ces plans ne peuvent pas marcher parce qu’ils mènent en parallèle deux démarches contradictoires : D’une part ils entendent laisser les Etats sous la dépendance des marchés financiers pour le financement de leur dette. D’où le lancinant leit motif : « il faut rassurer les marchés ». D’autre part, ils cherchent à atténuer les effets pervers de cette dépendance qui peuvent aller jusqu’à l’écroulement de la zone euro.
On va tenter d’éviter cet écroulement par des plans d’aide aux pays en difficulté consistant à racheter des parts de la dette souveraine de ces Etats exposés à la spéculation, à commencer par la Grêce. Ces plans sont rapidement dépassés par les événements parce que la spéculation ne cesse pas de s’étendre. A peine a-t-on commencé à aider la Grêce, l’Irlande, le Portugal, que la spéculation se déchaîne contre la dette italienne, beaucoup plus importante. Cette dette était gérable parce que l’économie italienne était saine mais elle ne l’est plus quand la spéculation fait monter les taux d’intérêt. Il faut donc intervenir de toute urgence et, dès lors, les fonds péniblement rassemblés s’avèrent insuffisants. On a bien inventé le Fonds européen de stabilité financière (FESF), doté de 440 milliards d’euros, pour contourner, sans trop en avoir l’air, l’interdiction de financement par la BCE mais, une fois déboursée l’aide promise à ces trois pays, le FESF ne dispose plus que de 250 milliards. De quoi subvenir aux besoins de l’Italie…pendant un an. Où trouver les sommes considérables qui font défaut ?
Sarkozy a eu une idée, qui pour une fois allait sans le bon sens : faire du FESF une banque, qui, pour prêter aux Etats, pourrait emprunter à la BCE comme les autres banques. C’était compter sans la chancelière, qui lui a sévèrement tapé sur les doigts. Pas question de remettre la BCE en piste pour financer les Etats. On adoptera donc la solution qu’elle propose elle, une véritable usine à gaz. Le FESF jouera un rôle d’assurance. Les 250 milliards dont il dispose serviront de garantie à 20% du montant investi par des prêteurs que l’on pense trouver en Chine ou dans les pays émergents. Malheureusement, ceux-ci sont loin de se bousculer au portillon. Le plan fait long feu. Les marchés ne sont pas rassurés.
Nouveau sommet de la dernière chance. Cette fois Angela Merkel, toujours escortée de Sarkozy, va taper fort. On décide de réviser les traités pour mettre les Etats un peu plus sous la coupe des marchés en leur retirant cette prérogative de souveraineté qu’est le vote des budgets par les élus du peuple. Désormais pour contraindre les Etats à diminuer les dépenses publiques, avant d’être présentés aux parlements nationaux, leurs budgets devront avoir l’aval de la Commission européenne, une Commission dont on connaît le peu de légitimité démocratique ainsi que l’obsession néolibérale de la concurrence. Les marchés seront-ils rassurés cette fois. Ce n’est pas sûr. Cette révision des traités va prendre du temps et de nombreux cailloux sont sur le chemin. Un pays n’a-t-il pas le mauvais goût de parler de référendum. Et la France, qui devrait réviser sa constitution pour ratifier le nouveau traité, comment pourra-t-elle le faire avec un Sénat passé à gauche ?
Une autre contradiction voue ces plans à l’échec. Ils ne peuvent « rassurer les marchés » que s’ils génèrent la sacro sainte croissance, dogme incontournable, une croissance qui seule peut garantir le remboursement de la dette. Or, imposant toujours plus d’austérité, ces plans ne peuvent conduire qu’à la récession.
En conclusion, on ne peut se protéger des dégâts provoqués par un système en faisant tout pour le renforcer mais nos deux compères n’en ont cure car ils se soucient sans doute moins de sauver l’euro que de sauver leur pouvoir personnel menacé par les élections à venir, en 2012 pour le premier, en 2013 pour la seconde. Se présenter en sauveurs de la patrie a dû leur être fortement recommandé par leurs « communicants ». C’est ainsi que l’on nomme aujourd’hui les experts en manipulation de l’opinion. De ce point de vue, le spectacle organisé lors du dernier sommet était très réussi. Arriver à se draper dans cette posture de sauveurs du bon peuple tout en annonçant austérité et perte de souveraineté est une belle performance. Chapeau l’artiste !
Quelle autre politique ?
Face à ces effets d’annonce qui masquent l’échec inévitable des politiques menées par les dirigeants européens, que pouvons-nous envisager ? Sommes nous condamnés à la récession et à l’austérité ? Existe-t-il une politique alternative ? « Oui, nous pouvons » répond Jacques Généreux, cité plus haut.
« Nous pouvons », à une condition essentielle : rompre avec le système qui engendre cette crise. Nous venons de le voir, toutes les solutions que l’on cherche à nous imposer à l’intérieur de ce système ne font qu’aggraver la situation. Si le système néo-libéral engendre la crise, il faut en sortir.
Pour rompre avec le système néo-libéral, il existe quelques mesures de bon sens qui, pour être simples, n’en sont pas moins, pour certaines d’entre elles, extrêmement difficiles à mettre en œuvre :
1. Se désengager de la dépendance des marchés financiers en rendant aux banques centrales et, tout d’abord à la BCE, le rôle qui doit être le leur : être un instrument au service de la politique économique des Etats. En finir donc avec cette « indépendance » qui les met en fait au service des marchés financiers auxquels ils prêtent sans limite à 0,01% d’intérêt alors qu’il leur est interdit de prêter aux Etats.
2. Interdire aux banques de spéculer avec l’argent des déposants. Roosevelt l’avait fait en interdisant aux banques de dépôt d’être également des banques dites « d’investissement », c’est à dire des banques de spéculation. Cette interdiction a été levée aux Etats-Unis sous la présidence de Bill Clinton. En Europe, certains dirigeants, dont Nicolas Sarkozy, évoquent parfois cette interdiction sans jamais passer à l’acte. Curieusement il a fallu attendre l’ultra conservateur premier ministre britannique David Cameron pour que cette interdiction soit décidée en Europe mais il faudra patienter jusqu’en 2019.
3. Interdire les principaux outils de spéculation sur la dette, en particulier l’achat de CDS par ceux qui ne détiennent pas de dette souveraine.
Un mot d’explication est nécessaire sur ce point. Les CDS (Credit Default Swap) sont des sortes de contrats d’assurance destinés à protéger les créanciers de la dette des Etats d’éventuels défauts de remboursement. En soi, c’est plutôt une bonne idée. Les choses se gâtent quand on apprend qu’il n’est pas nécessaire d’être créancier et de posséder des fonds souverains pour acheter ces produits d’assurance. C’est un peu comme si vous vous assuriez sur une maison que vous ne possédez pas, par exemple celle de votre voisin. La tentation risque d’être forte, pour peu que vous soyez un peu tordu, d’aller y mettre le feu pour toucher la prime. C’est à peu près ce qui s’est passé pour la Grêce. Après avoir aidé des dirigeants grecs corrompus à endetter leur pays de façon excessive, moyennant de confortables commissions, et après les avoir aidés à truquer leurs comptes pour entrer dans la zone euro, la banque américaine Goldmann Sachs s’est mise à vendre des CDS apportant une garantie contre un éventuel défaut de paiement de cette dette grecque. Afin d’en faire grimper le prix pour maximiser ses profits, la banque a allumé le feu de la rumeur sur les risques de défaut de paiement que présentait l’économie grecque, risques réels mais dont personne ne s’était soucié jusque là. Les créanciers ont commencé à paniquer et ont fait monter leurs taux d’intérêt, rendant de plus en plus ingérable cette dette qui n’a cessé de s’alourdir sous le poids croissant de taux qui atteignent aujourd’hui 28%. Ce n’est pas Goldmann Sachs qui paiera sur ses profits les frais de cette spéculation éhontée mais le peuple grec, plongé dans une insupportable austérité. Pour l’y contraindre, la Communauté européenne a imposé un gouvernement « d’union nationale », présidée par… un ancien de Goldman Sachs. Nous avons vu qu’un processus similaire s’est produit récemment en Italie.
Ces trois mesures sont certes insuffisantes pour faire fonctionner la zone euro dans des conditions satisfaisantes. Nous allons y revenir, mais, cassant la spéculation sur la dette, elles rendront aux Etats la maîtrise de leur économie. Il ne sera plus nécessaire de « rassurer les marchés » et de craindre les humeurs des Agences de notation.
Il restera à régler le problème du surendettement des Etats, à commencer par le nôtre. Pour cela, il faudra examiner de quoi sont faites ces dettes qui, chez nous ont crû de façon exponentielle au cours des dernières années. Comme le demandent les collectifs qui se mettent en place sur tout le territoire, il faut organiser un audit de cette dette couverte par une totale opacité. Dès à présent, nous pouvons toutefois en dégager les grandes lignes.
Il restera enfin à redynamiser une économie en récession en repensant notre mode de production et de consommation dans une perspective de planification écologique qui recèle de très importantes sources d’emploi.
Voyons maintenant brièvement si tout cela est possible et comment.
1. Rendre aux Banques centrales leur statut et leurs fonctions naturelles
Ce changement radical est essentiel mais il va forcément se heurter à bien des difficultés car, même si la décision de le mettre en oeuvre l’emportait chez nous, la France serait bien incapable de l’imposer aux autres pays de l’Union européenne, à commencer par l’Allemagne qui, par la voix d’Angela Merkel, maintient haut et fort le dogme néo-libéral de l’indépendance de la BCE.
Il n’empêche que les esprits évoluent. Comme l’écrit le journal L’Humanité du 4/1/2012, « Un nombre grandissant de dirigeants politiques de droite mais surtout de gauche, en France et en Europe, des organisations syndicales et leurs dirigeants, à l’image de la Confédération européenne des syndicats, des économistes, notamment d’Attac ou des Atterés, ont affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y aura pas de solution de la crise de la zone euro si la BCE n’intervient pas ». Bien entendu, chez nous, cette position est celle du Front de gauche et de son candidat à l’élection présidentielle mais même François Hollande déclare que, s’il est élu, il renégociera l’accord calamiteux adopté par le sommet européen, et précise : « Je ferai en sorte qu’on y ajoute ce qui manque : l’intervention de la Banque centrale européenne ».
On trouve même Michel Rocard pour déclarer avec l’économiste Pierre Larrouturou (ex. PS, ex. EELV) : « Il n’est pas besoin de modifier les traités européens pour mettre en œuvre cette idée (que la vieille dette des Etats puisse être refinancée à des taux proches de 0%). Certes la BCE n’est pas autorisée à prêter aux Etats mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (…) et aux organisations internationales (…). Elle peut donc prêter à 0,01% à la Banque européenne d’investissement (BEI) ou à la Caisse des dépôts, qui, elles, peuvent prêter à 0,02% aux Etats qui s’endettent pour rembourser leurs vieilles dettes. ». Et Rocard d’ajouter : « Le mécanisme que nous proposons pourrait s’appliquer immédiatement aussi bien pour diminuer le coût de la dette ancienne que pour financer les investissements fondamentaux pour notre a venir, comme un plan européen d’économie d’énergie ». Certes cette proposition astucieuse ne peut que ruser avec l’interdit faute de pouvoir le remettre en cause, mais elle a au moins l’avantage d’aboutir à des résultats concrets et immédiats.
Jacques Généreux propose, lui, une démarche plus radicale pour contourner l’interdit néo-libéral. Si l’on ne peut encore, à ce jour, agir au niveau européen, on peut agir, dit-il, au niveau national. Faisons voter par le Parlement une loi annulant la loi Giscard de 1973 et permettant à la Banque de France de prêter à l’Etat. Bien sûr, depuis Maestricht et depuis Lisbonne, c’est interdit. Il s’agit donc d’engager une épreuve de force avec l’Union européenne. Mais le gouvernement peut engager cette épreuve de force dans un cadre légal, sans sortir de l’Union ni même de la zone euro. Il existe en effet, nous apprend Jacques Généreux, un « Compromis de Luxembourg » selon lequel un gouvernement peut exiger une clause d’exception pour une liste déterminée de dispositions qui empêcheraient la mise en œuvre d’un programme validé par les élections nationales. Ainsi, dès lors qu’une volonté exprimée par le suffrage universel serait violée, cette violation mettrait en cause « des intérêts très importants » pour la nation en question, la France en l’occurrence. Face à un gouvernement déterminé à agir, ses partenaires n’ont, dans ce cas, conclut Jacques Généreux, d’autre alternative que l’acceptation de cette exception ». Un gouvernement déterminé peut faire à peu près ce qu’il veut dans la zone euro car, s’il est difficile d’y entrer, aucune procédure n’est prévue dans les traités pour en exclure un membre.
Fort bien, dira-t-on, mais la Banque de France ne va quand même pas imprimer des euros. Cette objection ignore le fait que les billets (ou les pièces) ne représentent qu’une faible part (10 à 15%) de la monnaie en circulation. C’est la monnaie dite « fiduciaire ». L’essentiel de la monnaie est créé par les banques lorsqu’elles octroient des crédits. Quand une banque m’accorde un crédit de 100 euros, elle en crée, en fait 200. Elle s’enrichit des 100 euros que je m’engage à lui rembourser. Elle crée, par ailleurs les 100 euros que va encaisser celui chez qui je vais dépenser ce crédit. Ce pouvoir d’achat n’ayant été retiré à personne, il y a bien eu création monétaire. Cette monnaie est dite « scripturale » parce qu’elle circule par un simple jeu d’écritures sur des comptes bancaires à partir de virements, de chèques ou de paiements par carte bancaire. Bien sûr, pour procéder de la sorte, une banque est soumise à un certain nombre d’obligations. Elle doit posséder suffisamment de monnaie fiduciaire pour faire face à des retraits (dans ses distributeurs notamment). Elle doit également avoir un compte à la Banque centrale suffisamment créditeur pour effectuer le règlement de ses dettes à l’égard des autres banques, ce que l’on appelle les soldes de compensation. Ce que les banques privées ou publiques peuvent faire, la Banque centrale peut évidemment le faire. Elle a donc tous les moyens techniques d’accorder des prêts au Trésor public.
« Devant la détermination du gouvernement français à reprendre ainsi partiellement le contrôle public de sa création monétaire, et face au « risque » que d’autres pays (Espagne, Portugal, Grêce notamment) suivent alors cet exemple, note Jacques Généreux avec un brin d’optimisme, il est probable que la Commission européenne, l’Allemagne et la BCE proposeraient de renégocier les statuts de la BCE et les conditions de la mise en œuvre de la politique monétaire européenne ». Une telle renégociation des traités vaudrait mieux que celle qui est envisagée actuellement.
2. Séparer les banques de dépôt des banques d’investissement
Cette mesure peut être décidée par le Parlement. Pour la prendre, il ne manque actuellement qu’une volonté politique. Les banques françaises régulièrement citées pour le rôle qu’elles jouent sur les marchés financiers sont au nombre de trois : La Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole. Il faut leur interdire de spéculer avec l’argent des déposants, particuliers ou entreprises et leur faire savoir, en conséquence, que si, elles spéculent sur le marché de la dette et prennent des risques qui les mettent en difficulté, elles ne seront pas renflouées avec l’argent public.
3. Interdire les principaux outils de spéculation sur la dette
Plus encore que l’importance de la dette des Etats, la spéculation qu’elle engendre est le problème central de la crise. Interdire les quelques outils, qui, à partir de quelques clics d’ordinateur, font circuler les capitaux à la vitesse de l’éclair à travers le monde entier, est une mesure indispensable si l’on veut sortir de cette crise. Ici encore la décision relève du gouvernement et du Parlement.
4. 1780 milliards d’euros de surendettement
Une remarque en passant : Si l’Etat avait pu emprunter sans intérêt à la Banque centrale, il n’y aurait pas de dette. Dans un petit livre paru en 2008 , deux économistes font le calcul suivant : Depuis 1980, ce sont presque 1300 milliards d’intérêt qui ont été versés aux détenteurs de la dette. Or la dette publique, a été évaluée pour le dernier trimestre 2008 à 1327 milliards d’euros. Donc pas d’intérêt, pas de dette.
L’occasion a donc été manquée mais, à partir du jour où l’Etat aura été libéré de l’emprise des marchés, il pourra rayer de son budget les intérêts très lourds qu’il paie pour la dette. Pour le budget de 2012, cela représenterait une économie de plus de 6 milliards d’euros. Il lui restera toutefois sur les bras la dette colossale, accumulée depuis trente ans qui, aujourd’hui, s’élève à 1780 milliards d’euros. Jamais cette dette n’a progressé autant qu’au cours de ces dernières années. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle a progressé de plus de 100 milliards d’euros par an.
Comment en est-on venu là et comment faire pour apurer cette dette ? Pour donner des réponses à ces questions, il faut faire un historique, savoir pourquoi on a emprunté, pour financer quelles dépenses, en fonction de quelle insuffisance de recettes, qui sont les créanciers, quelles sont les échéances. Une très grande opacité entoure toutes ces questions d’où l’exigence d’un audit de la dette formulée par des collectifs qui se mettent en place sur l’ensemble du territoire. Nous pouvons néanmoins, à partir des informations disponibles faire un état des lieux et définir les grands axes d’une politique alternative
Gestion de la dette
En préalable, pour y voir plus clair, examinons de façon très succincte comment l’Etat français s’y prend pour emprunter. Pour l’essentiel, il émet des « obligations » à court terme, moyen terme (durée de vie moyenne : 2 ans) ou long terme (durée de vie moyenne : 10 ans), vendues sur les marchés financiers. Ces obligations, qui dégagent des intérêts variables en fonction de leur durée de vie (2% pour les obligations à 5 ans, 3% pour les obligations à 10 ans) sont mises sur le marché par adjudication, toutes les semaines pour les obligations à court terme, une fois par mois pour les autres. Elles sont adjugées à des établissements financiers du monde entier (étrangers pour plus de 65%) soit directement pour des établissements ayant un compte à la Banque de France, soit par des intermédiaires que l’on appelle « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) qui sont 20 grandes banques internationales parmi lesquelles on trouve les banques françaises BNP Paribas, Société Générale, Natixis ainsi que les inévitables Goldman Sachs, J.P. Morgan, Crédit Suisse etc…. Ces obligations sont émises chaque année pour financer le déficit budgétaire et pour rembourser les emprunts passés arrivant à échéance. A titre d’indication, dans le projet de loi de finance pour 2012, ce programme de financement représente 182 milliards d’euros. La charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts à verser, s’élève à 48,77 milliards d’euros.
Que dit Sarkozy ?
Face à cette charge intenable, il faut évidemment faire quelque chose. La réponse du gouvernement (comme celle des instances européennes) semble, à première vue, aller de soi : Il faut que l’Etat dépense moins. « Nous vivons au dessus de nos moyens ! ». D’où les plans d’austérité. Fort bien mais on oublie de dire quatre choses :
Premièrement que le surendettement n’est pas dû à une augmentation des dépenses publiques, qui sont restées stables depuis longtemps, mais à une baisse catastrophique des recettes de l’Etat.
Deuxièmement, que cette solution, si elle prétend faire en sorte qu’on s’endette moins dans l’avenir, ne supprime en rien le poids de la dette du passé. Quand on se sera bien serré la ceinture, les 1780 milliards d’euros seront toujours là.
Troisièmement, que ces plans d’austérité sont non seulement injustes car ils frappent davantage les revenus faibles ou moyens, les chômeurs et les retraités que la couche la plus aisée de la population mais qu’ils sont de plus voués à l’inefficacité car, causant un appauvrissement général et conduisant à la récession, ils feront chuter les recettes fiscales, ce qui obligera l’Etat à s’endetter davantage encore. Nous l’avons vu plus haut : Les objectifs affichés ne servent que de masque à d’autres moins avouables.
Quatrièmement : Que les restrictions envisagées portent essentiellement sur le bien être des citoyens, les dépenses de consommation courante, la santé, les services publics, tandis que les énormes gaspillages, voire les détournements d’argent public, dénoncés chaque année par les rapports de la Cour des Comptes restent dans l’ombre et ne sont pas touchés.
La revue « Marianne » a consacré son numéro du 3 décembre 2011 à cet argent jeté par les fenêtres par les princes qui nous gouvernent. Quelques exemples : Un ministre (et surtout l’Elysée) peut dépenser des centaines de milliers d’euros en sondages et enquêtes d’opinion pour se faire une idée de sa popularité, en général en berne. Le Quai d’Orsay peut nommer des élus battus à de confortables postes d’ambassadeurs de « mission », alors que des hauts fonctionnaires des Affaires étrangères restent sans affectation. Même chose au Conseil économique, social et environnemental, où l’on recase des battus du suffrage universel et quelques proches de la « cour », par exemple la rameuse Maud Fontenoy que les huissiers du palais d’Iéna voient rarement. Et que dire de la concession des Services publics au privé qui augmentent jusqu’à 20% pour les usagers le prix de l’eau ou le traitement des déchets. Que dire de la cagnotte des sénateurs etc… etc…, sans parler des 2,4 milliards d’euros destinés à financer l’édification au cœur de Paris d’un Pentagone à la française, destiné à regrouper en un seul lieu tous les états-majors des armées, un projet qui fait l’objet d’une enquête de la Justice pour attribution illégale du contrat à l’ami Bouygues.
Et que dire du coût des déplacements incessants du chef de l’Etat, accompagné de centaines de policiers chargés d’éviter que des manifestants viennent troubler la fête. Que dire de son avion de luxe qui n’a pas coûté 180 millions d’euros, comme on l’a dit mais 259 millions d’euros, selon la Cour des comptes, un avion acheté d’occasion où on a commencé par remplacer les moteurs afin qu’aucune panne éventuelle ne puisse jamais retarder cet homme pressé, un avion où il peut se prélasser dans un lit de 2,20 mètres sur 2,20 tandis que ses invités se tassent à l’arrière et dans lequel il a fait installer une porte à 1 million d’euros pour isoler du bruit sa partie privée. Comme il est friand de grillades, il a fait installer deux fours qui ont coûté 75000 euros et 300000 euros supplémentaires d’études pour les installer selon les normes de l’aviation. 375000 euros pour des saucisses, c’est plus cher qu’au Fouquet’s.
Que dire enfin de cet épisode, révélé par le Canard enchaîné et tu par la presse, de son voyage en Nouvelle Calédonie cet été. Au retour, faisant escale à Pékin, il laissa ses invités continuer vers Paris avec l’avion de luxe tandis que lui-même embarquait dans un Falcon qui l’attendait, venu spécialement de France pour le ramener directement à proximité du Cap Nègre où il passait quelques jours de vacances dans la propriété de sa richissime belle-mère. Le coût de l’heure de Falcon est estimé à 7800 euros. Calculez le prix de cette petite gâterie, payée par le contribuable pour faire gagner un jour de vacances à un homme qui incite ses concitoyens à faire de lourds sacrifices.
François Fillon n’est pas en reste, qui utilise, chaque week-end, un Falcon pour parcourir les 230 kilomètres qui séparent Matignon de son château de Solesmes dans la Sarthe. Coût estimé par le magazine Capital : 1,3 million d’euros par an.
Oui vraiment il y a bien des économies à faire sur les dépenses publiques, de très importantes économies même, mais plutôt que de se faire sur le dos des plus faibles et de détruire la protection sociale et les Services publics, ces économies doivent porter sur les avantages que s’octroient ceux qui évoluent dans la sphère du pouvoir. Pour connaître ces économies à réaliser, nous disposons d’un outil remarquable. Ne laissons pas dormir dans les tiroirs les rapports annuels de la Cour des comptes.
Que faire des 1780 milliards d’euros ?
C’est encore Jacques Généreux qui nous guide dans la recherche d’un solution alternative quand il nous indique comment faire la part entre dette légitime et dette illégitime. Modifiant quelque peu sa classification, nous distinguerons quatre catégories : La dette légitime, la dette légitime mais excessive, la dette illégitime, la dette frauduleuse.
1. La dette légitime
S’endetter n’est pas une mauvaise chose en soi. C’est même une nécessité pour que vive l’économie. Rares sont ceux qui peuvent acheter une maison, une voiture ou même quelques appareils électroménagers sans prendre un crédit. Pour créer une entreprise ou pour la développer, il faut investir, ce qui ne peut se faire qu’à l’aide d’un crédit bancaire. Dès lors qu’un emprunt est destiné à créer de la richesse, du bien être ou du progrès, il est utile et l’Etat, qui gère les intérêts des citoyens dans le présent et en anticipation de l’avenir, doit nécessairement emprunter des sommes très importantes. Toutes les dettes de l’Etat qui correspondent à des investissements créateurs de richesse et de progrès sont donc légitimes et doivent être remboursées à plus ou moins long terme. Même si ces dettes s’étendent sur le long terme, nos enfants ne nous reprocheront pas de les leur transmettre s’ils héritent en même temps des richesses produites par ces investissements en termes de formation, de biens utiles, d’emploi ou, tout simplement, de survie parce que l’environnement dans lequel ils vivent aura été préservé.
2. La dette légitime mais excessive
La seule condition à remplir pour que les dettes soient acceptables est qu’elles soient équilibrées par des ressources permettant de les apurer. Si ce n’est pas le cas, une dette, même légitime, doit être considérée comme excessive. Parler d’équilibre rend cette catégorie de dettes plutôt difficile à définir car ce critère est forcément très subjectif. On peut dire qu’un endettement public est excessif quand l’intérêt du projet qu’il doit financer n’est pas en rapport avec la charge qu’il va faire peser sur la collectivité mais il est vrai que l’utilité d’un investissement lourd, notamment en matière d’urbanisme, sera souvent l’objet de controverses. Tout le problème est celui des critères de choix et des priorités que l’on se donne. Beaucoup de projets, très coûteux, sont motivés, de la part de ceux qui cherchent à les promouvoir, par des raisons de prestige personnel qui tendent à fausser une juste estimation de leur intérêt réel.
Quelques exemples : Les monuments édifiés ou que l’on projette d’édifier au cœur de Paris par lesquelles plusieurs présidents de la république ont souhaité laisser une trace de leur passage au pouvoir : le centre Pompidou, pour Giscard, La pyramide du Louvre, l’Opéra Bastille, la Grande Bibliothèque pour Mitterand, le Musée des Arts premiers pour Chirac…le Pentagone à la française pour Sarkozy. Dans chacun de ces projets, la recherche de célébrité personnelle est évidente. Les présidents cherchent à marquer leur place dans l’histoire à la manière des rois de France. Versailles n’est pas loin. Mais tandis que les réalisations de Giscard, Mitterand et Chirac enrichissent le patrimoine architectural de Paris et contribuent à son rayonnement culturel, on ne peut en dire autant du projet de siège des états-majors. S’il était réalisé, celui-ci rappellerait seulement que son promoteur a réintégré la France dans l’Otan, envoyé 4000 hommes de troupe en Afghanistan et que, s’il avait été au pouvoir à l’époque, il n’aurait pas manqué d’accompagner Georges Bush en Irak. Cela ne justifie guère une dépense qui atteindrait 3,5 milliards d’euros au moment où nous traversons une grave crise financière. La dette que ce projet engendrerait serait, à coup sûr « excessive ».
Autres exemples de dettes excessives, liées à des ambitions personnelles : Deux projets régionaux, l’un réalisé, l’autre pas encore. Le premier, le centre Vulcania, édifié au cœur des volcans d’Auvergne, voulu et soutenu à bout de bras par Valéry Giscard d’Estaing lorsqu’il cherchait à exister sur la place publique après sa défaite aux élections présidentielles de 1981. Cette réalisation fut un gouffre financier. On n’en entend plus parler mais les contribuables n’ont sans doute pas fini d’apurer la dette. Le second, le projet d’aéroport Notre Dame des Anges, aux environs de Nantes, auquel le maire de la ville, Jean-Marc Hérault s’accroche envers et contre tout pour donner de l’importance à sa région et, du coup, s’en donner à lui-même. Il est difficile de justifier une telle dépense alors que, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut plutôt réduire le trafic aérien générateur de CO2 et que la construction de cet aéroport détruirait un environnement où l’on se propose de bétonner des centaines d’hectares de terres agricoles.
Les dettes excessives de doivent pas être à la charge du contribuable. Il faut reporter à des temps meilleurs ou annuler purement et simplement les projets qui en sont porteurs s’ils n’ont pas encore été réalisés. S’ils l’ont été, il est possible d’apurer ces dettes par la création monétaire directe de la banque centrale. Cela veut dire que la banque centrale rachète aux banques ces obligations de dette publique qu’elles détiennent. En période de récession et de chômage élevé, estime Jacques Généreux, un rachat de dette publique par la banque centrale peut exercer un double effet bénéfique en allégeant la charge des finances publiques et en stimulant le crédit intérieur, à condition bien entendu que les liquidités récupérées par les banques en échange des obligations publiques soient intégralement réinjectées dans les crédits à l’économie.
3. La dette illégitime
La dette doit être considérée comme illégitime quand elle résulte d’un accroissement du déficit budgétaire dû à une perte, orchestrée au bénéfice de quelques uns, de ressources de l’Etat. Un tel détournement des ressources publiques n’est pas le fait des seules années Sarkozy mais il a atteint sous sa présidence un niveau jamais atteint avec, pour effet, une croissance exponentielle de la dette. Dans un livre récent, intitulé « Un quinquennat à 500 milliards d’euros. Le vrai bilan de Sarkozy » , les journalistes Emmanuel Lévy, de « Marianne », et Mélanie Delattre, du « Point », en apportent la preuve après avoir, pendant plusieurs mois, arpenté les couloirs de la Cour des comptes, fouillé les études de l’OCDE, décortiqué la comptabilité publique et interviewé nombre d’experts et de chefs d’entreprises. Cette étude démasque l’excuse de la crise derrière laquelle se réfugient régulièrement Sarkozy et les siens. Si la dette a augmenté de 632 milliards d’euros au cours des cinq dernières années, passant de 1150 à 1780 milliards d’euros, seule une augmentation de 109 milliards est due à la crise. Il reste une augmentation de 520 milliards, due à la politique menée, en particulier aux cadeaux offerts aux riches amis du pouvoir, principalement par des réformes qui les favorisent et par des cadeaux fiscaux qui ont amputé gravement les revenus de l’Etat.
Au titre des cadeaux aux amis évoquons :
L’affaire Tapie : 390 millions d’euros, aux frais du contribuable dont 45 millions pour préjudice moral, du jamais vu.
L’ouverture des jeux en ligne, au bénéfice de proches tels Dominique Desseigne, président du groupe Lucien-Barrière, Alexandre Balkany, fils de l’ami de toujours Patrick Balkany, Stéphane Courbit, PDG de Lov Group. Perte pour l’Etat : 77 millions par an.
La gratuité de la scolarité dans les lycées français à l’étranger, cadeau au marchand d’art Guy Wildenstein, membre éminent du Premier Cercle des donateurs de l’UMP. Ce cadeau lui a permis d’acheter les votes des expatriés et de doper ainsi sa carrière politique. Il devait être remercié pour avoir organisé en 2007, depuis New York où il résidait, la campagne américaine du candidat Sarkozy. Coût pour l’Etat : plus de 50 millions d’euros par an.
D’autres mesures sont estimées par les auteurs du livre à environ 1 milliard d’euros.
On doit mentionner également la pratique généralisée des partenariats public-privé qui font le bonheur des amis Bouygues, Eiffage et Vinci mais creusent des gouffres dans les finances publiques. Des facs, des prisons ou des hôpitaux sont payés, non par l’Etat, mais par un de ces trois poids lourds du BTP auquel l’Etat verse ensuite un loyer. « Une bombe à retardement qui coûtera 60 milliards d’euros d’ici à 2020 » estime « Le Parisien ». En février 2008, Philippe Séguin, alors président de la Cour des comptes avait parlé d’une « myopie coûteuse. La palme du plus beau fiasco, raconte le « Canard », revient au nouvel hôpital de Corbeil, un monstre de 1000 lits et 20 blocs opératoires, construit par Eiffage, pour lequel un audit a relevé 8000 malfaçons. Du coup, l’hôpital, livré depuis un an, reste vide. Mais l’Etat paie déjà l’énorme loyer de 40 millions d’euros par an (payer un loyer pour un bâtiment inutilisable pour malfaçon, il faut le faire !). Sur trente ans, a calculé la Chambre régionale des comptes, l’Etat versera à Eiffage 1,2 milliard de loyer. S’il l’avait payé lui-même, en empruntant à 4,5%, l’hôpital lui aurait coûté 757 millions. Quant au Pentagone à la française (voir plus haut) s’il se réalise, il coûtera 3,5 milliards de loyer alors qu’il aura coûté 745 millions à Bouygues pour le construire.
Au titre des cadeaux fiscaux évoquons :
Une baisse générale des recettes dont fait état Gilles Carrez, rapporteur UMP de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, dans un rapport daté du 6 juillet 2010. Selon ce rapport, entre 2000 et 2009, le budget général de l’Etat aurait perdu entre 101,2 et 119,3 milliards d’euros (par an) de recettes fiscales dont les 2/3 sont dus à de nouvelles baisses d’impôt.
Ces baisses d’impôt ont été engagées:
A. Par les réformes successives du barème de l’impôt sur le revenu. Le nombre de tranches est passé de 13, avant 1986, à 4 aujourd’hui. Le taux de taxation de la tranche supérieure est passé de 65%, avant 1986, à 40% aujourd’hui. La dernière de ces réformes date de 2007. Elle a fait passer le nombre de tranches de 6 à 4 et le barème de la tranche supérieure de 49,09% à 40%. Cette baisse de l’impôt sur le revenu qui, de 2000 à 2009, a coûté 15 milliards d’euros par an à l’Etat, a profité à une minorité. Les 10% les plus aisés de la population ont bénéficié de 70% de cette baisse. Notons qu’en 2007, quand nous passons à 40%, le taux d’imposition de la tranche supérieure est, dans l’Allemagne tant vantée, de 50%. Dans les pays scandinaves auxquels nos gouvernants aiment se référer quand cela les arrange, ce taux est de 59% au Danemark et de 57% en Suède.
B. Par la baisse de l’impôt sur les sociétés, passant de 50% à 34,6%, pour un coût de 20 milliards d’euros en 2010.
C. Par la loi TEPA (loi en faveur du Travail, de l’Emploi et du Pouvoir d’Achat) , surnommée « paquet fiscal », du 21 août 2007, qui contient, avec d’autres mesures, la défiscalisation des heures supplémentaires, un crédit d’impôt sur le revenu sur les intérêts d’emprunt immobilier, un allègement des droits de succession et un aménagement de l’impôt sur la fortune.
La défiscalisation des heures supplémentaires coûte, 4,5 milliards d’euros par an à l’Etat. Afin de permettre aux heureux détenteurs d’un emploi de « travailler plus pour gagner plus » cette mesure a créé un effet d’aubaine pour les employeurs qu’elle dispense d’embaucher. Travailler plus ? On se demande ce que pensent de cette formule magique le million de salariés qui ont perdu leur emploi et sont venus grossir les rangs des chômeurs depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy.
Le crédit d’impôt sur le revenu pour un emprunt immobilier répond au « tous propriétaires » de Nicolas Sarkozy au cours de son débat avec Ségolène Royal. Son coût pour le budget de l’Etat est estimé à 3,7 milliards d’euros par an.
L’allègement des droits de succession était une des grandes promesses du candidat Sarkozy. 95% des successions seront dorénavant exonérées de droits. Le changement a donc porté sur des successions d’un montant sensiblement supérieur à la moyenne, ce qui coûte à l’Etat 2,27 milliards d’euros par an.
L’aménagement de l’ISF comporte :
- D’une part, un accroissement (de 20 à 30%) de l’abattement de l’ISF sur la résidence principale.
- D’autre part des réductions allant jusqu’à 75% pour les contribuables qui investissent dans des PME non cotées. En 2008, cette mesure a permis à 73200 contribuables d’injecter 1,1 milliard d’euros dans le capital des PME, montant porté à 1,2 milliard d’euros en 2009. Mais les investissements sont allés en grande partie vers des PME peu risquées, ce qui a permis aux assujettis à l’ISF de ne pas payer d’impôt tout en obtenant des plus values en investissant là où les besoins sont moins flagrants.
On le voit, cette loi ampute, une fois de plus et sérieusement les ressources de l’Etat. Elle introduit des réformes qui profitent toujours aux mêmes !
D. Par la baisse de la TVA sur la restauration. A l’origine, une idée de Jacques Chirac, un « attrape votes » qu’en 2002 ce vieux routier de la politique avait fait miroiter aux yeux d’une clientèle traditionnelle de la droite et qu’il s’était bien gardé d’appliquer une fois élu. « Ce n’est pas moi qui vous l’ai promise, mais c’est moi qui vous l’obtiendrai » avait répété Sarkozy, qui attendait de nombreuses embauches en retour de ce cadeau de 3,1 milliards d’euros par an. Quinze mois plus tard, le Conseil des prélèvements obligatoires, qui dépend de la Cour des comptes constate « un impact limité sur l’emploi pour un coût élevé ». « La moitié de la somme est allée dans la poche de propriétaires de fonds de commerce qui ont vu leur rentabilité exploser » déclare un magistrat de la Cour des comptes. Mathieu Plane, spécialiste des finances publiques à Science Po, estime que la TVA à 5,5% a permis la création d’environ 13000 nouveaux postes en tout.
D. Par ce que l’on nomme pudiquement les « dépenses fiscales » , autrement dit par les niches fiscales et sociales.
Ces « niches » représentent un ensemble considérable et extrêmement varié de mesures permettant d’alléger les prestations obligatoires. On distingue les niches fiscales, permettant un allègement d’impôt pour les particuliers (impôt sur le revenu et ISF) ainsi que pour les entreprises, et les niches sociales consistant en exonération de cotisations sociales et de prélèvements sociaux pour les employeurs. Les niches fiscales, au nombre de 470, selon la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, de 509 en réalité si l’on tient compte de »niches cachées » et les niches sociales, au nombre de 68, ne datent pas d’hier mais, selon le rapport de Gilles Carrez, elles grandissent à partir de 2004. Leur coût pour l’Etat est passé de 53 milliards d’euros en 2003 à près de 73 milliards d’euros en 2008.
Les niches fiscales des particuliers
Certaines sont utiles comme la prime pour l’emploi, instituée par Lionel Jospin en 2001, qui favorise les revenus modestes ou la déduction de 50% du salaire et des cotisations sociales versés pour l’emploi d’un salarié à domicile, qui favorise l’emploi, mais la grande majorité privilégient les plus hauts revenus qu’elles exonèrent de parts importantes, voire de la totalité de l’impôt sur le revenu et/ou de l’ISF. D’après le rapport Fouquet, du Conseil d’Etat, rendu public le 23 juin 2008, il existe environ 200 dispositifs dérogatoires au seul impôt sur le revenu, pour un coût total de 39 milliards d’euros en 2008.
Parmi les niches les plus contestables on peut citer les réductions d’impôts liées aux investissements immobiliers ou industriels dans les départements d’outre-mer, qui coûte, chaque année 550 millions d’euros à l’Etat, pour 9870 bénéficiaires. D’après l’Observatoire des inégalités, les mille premiers bénéficiaires des niches fiscales sont des contribuables qui utilisent ces investissements outre-mer. Ils réussissent à faire baisser de plus de la moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne de 300000 euros. Les cent premiers bénéficiaires obtiennent une réduction de 1,1 million d’euros.
Pour la petite histoire, on trouve une niche instituant un abattement sur les plus-values lors de la cession d’un cheval de course. Sachant que ceux qui possèdent des écuries de course sont généralement des grands noms de la finance, on voit une fois de plus, même si c’est une petite niche (2 millions d’euros en 2010), à qui vont les faveurs du législateur.
Parmi les niches fiscales des particuliers, il faut aussi mentionner celle qui a fait couler le plus d’encre : le bouclier fiscal. Tête d’affiche de la présidence Sarkozy, cette manifestation d’extrême sollicitude pour les très hauts revenus (souvent membres du premier cercle des donateurs) a fini par créer un vrai scandale lorsqu’a été connu le montant de certains chèques de remboursement adressés par le fisc à ces contribuables malmenés (par exemple 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt). La mort dans l’âme, Nicolas Sarkozy, songeant à sa réélection, a fini par y renoncer mais, suprême astuce, le bouclier fiscal qui coûte 600 millions d’euros a été remplacé par une baisse de l’ISF qui coûte 1 milliard d’euros. Les deux mesures prennent effet au 1er janvier 2012 mais, par une délicate attention, bouclier social et baisse de l’ISF fonctionneront de conserve tout au long de cette année 2012. L’impôt de 2012 portant sur les revenus de 2011, le bouclier fiscal, annulé en début d’année gardera, ses effets tout au long de l’année alors que la baisse de l’ISF sera entrée en vigueur. Il fallait y penser.
Les niches fiscales des entreprises
Ces niches favorisent, en priorité les grands groupes internationaux, notamment la principale d’entre elles, le régime du bénéfice mondial consolidé qui permet aux multinationales de jouer sur les échanges entre filiales pour faire apparaître des bénéfices dans les pays où l’impôt est le plus léger, et des pertes dans les pays où il est plus élevé. Champion de cette pratique, le groupe Total, groupe français paraît-il, qui réussit à ne payer aucun impôt en France.
Les niches sociales
Citons d’abord les exonérations de cotisations sociales accordées à un nombre toujours croissant d’entreprises. Inaugurée par Martine Aubry pour faire accepter à certaines entreprises le passage à 35 heures et soumise à l’obligation d’embaucher, cette mesure a été généralisée par la droite, François Fillon l’a étendue à tous les bas salaires et ne l’a soumise à aucune condition d’embauche. Cette exonération prive, chaque année, la Sécurité sociale d’au moins 30 milliards d’euros, cette perte étant théoriquement compensé par l’Etat ? ce qui creuse encore la dette mais revient de plus à faire payer par le contribuable une part du salaire due par l’employeur à ses salariés. Telles qu’elles ont été voulues, à la sortie de la guerre par le Conseil National de la Résistance, les cotisations sociales, celles de l’employeur comme celles du salarié, ne sont en effet pas des taxes mais du salaire mutualisé, une partie du salaire qui, au lieu d’être versée aux salariés, est mise dans un pot commun afin d’être redistribuée dans un esprit de solidarité selon le principe : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».
Autre niche sociale la défiscalisation des heures supplémentaires que nous avons examinée plus haut.
Les niches fiscales des entreprises et les niches sociales s’ajoutent aux 65 milliards annuels d’aides publiques directes aux entreprises, financées à 90% par l’Etat et à 10% par les collectivités territoriales. Les grands groupes sont les principaux gagnants de ce système. Comme l’a établi en 2010 le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, leur taux réel d’imposition est de 13%. En revanche, les petites entreprises, peu familières du dédale fiscal français, sont imposées en moyenne à hauteur de 30%.
Dix années de cadeaux qui ont ruiné la France
La tête vous tourne devant cette avalanche de mesures qui n’ont cessé de dégrader les ressources de l’Etat Un chiffre va nous permettre de résumer tout cela : Dans un rapport destiné au premier ministre, rendu public le 20 mai 2010, « Rapport sur la situations des finances publiques », Jean Philippe Cotis, directeur général de l’Insee, et Paul Chaumpsaur, son prédécesseur dans ce poste, déclarent que, si la législation était restée la même que celle qui existait en 1999, autrement dit sans les baisses d’impôt décidées depuis 10 ans, la dette publique (estimée aujourd’hui à 86% du PIB) serait de 20 points de PIB inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Elle serait donc de 66% du PIB. Autrement dit, la dette, malgré la crise, serait presque en conformité avec les critères du traité de Maestricht, lesquels stipulent que la dette d’un Etat ne doit pas dépasser 60% de sa richesse nationale. La dette serait donc supportable.
Une conclusion s’impose : Le peuple n’a pas à rembourser la part de dette illégitime due à tant de cadeaux faits à la caste la plus riche de la population. C’est à ceux qui ont bénéficié de la dégradation des recettes de l’Etat de rembourser ces 20 points de PIB de dette indue. Les modalités seront à définir lorsque l’audit de la dette, exigé par les collectifs qui sont déjà présents dans 50 départements aura clairement indiqué qui a bénéficié de quoi.
Cet audit fera également apparaître quelle part de la dette est due à la spéculation qui fait augmenter les taux d’intérêt des emprunts. L’Allemagne, nous dit-on, emprunte à 1,8% d’intérêt. La France en est aujourd’hui à plus de 3% et le gouvernement a inscrit dans son budget 2012 une prévision de 3,7%. Cette différence, pour un emprunt, prévu en 2012, de 180 milliards d’euros, représente un alourdissement de la dette de 3,4 milliards d’euros. Ce supplément de dette ne doit pas être remboursé. Les marchés ne voudront plus nous prêter, objecte-t-on. Bien sûr mais, si nous redonnons son rôle à la Banque centrale, nous n’aurons plus besoin d’emprunter aux marchés financiers.
4. La dette frauduleuse
40 à 50 milliards d’euros manquent chaque année dans les caisses de l’Etat en raison de la fraude fiscale, alourdissant d’autant la dette publique. Il n’est sans doute pas possible d’éviter toute fraude mais ce n’est pas en réduisant à la portion congrue les moyens des services chargés de lutter contre elle, par la suppression imbécile d’un poste sur deux de fonctionnaires partant à la retraite, qu’on la fera reculer. Il faut, au contraire renforcer considérablement ces services et, surtout, faire preuve d’une volonté politique, qui semble faire défaut. Une grande mansuétude épargne des personnages qui, répétons le, font souvent partie du ce premier cercle des donateurs de l’UMP. Il a fallu les révélations d’un majordome indiscret pour s’aviser des transferts à l’étranger de quelques centaines de millions d’euros, pour le compte de Madame Liliane Bettencourt, par un certain Patrick Le Maistre, employeur de l’épouse du ministre du budget et décoré de la Légion d’honneur à l’initiative de ce dernier.
On aimerait que le Président de la République, co-prince de la Principauté d’Andorre, avec un évêque espagnol, mette un peu d’ordre dans ce paradis fiscal à nos portes et que l’on contraigne les banques françaises, en particulier les trois banques qui défraient régulièrement la chronique de la spéculation (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole), à fermer les guichets qu’elles ont ouverts dans les innombrables paradis fiscaux de la planète.
Comme pour les dettes illégitimes, il est exclu de demander au peuple de rembourser la part de la dette publique qui résulte de la fraude. C’est à la justice de faire rendre gorge aux tricheurs.
CONCLUSIONS
La crise de la dette est au centre de nos préoccupations. Elle sera de ce fait au cœur de la campagne électorale qui s’ouvre mais elle ne représente qu’un aspect très partiel de la crise économique que nous traversons et de la crise de l’euro. Traiter de ces crises fera l’objet d’un autre travail. Contentons-nous, pour l’instant de quelques remarques.
Faut-il, comme certain(e)s le proposent, quitter la zone euro, voire la Communauté européenne ? Nous ne le pensons pas. La solution n’est pas de revenir en arrière mais d’aller de l’avant. Tout ce qui a été dit dans ce document montre que ce n’est pas l’euro qui est en cause, mais la politique menée autour de l’euro. Ce qui est aberrant ce n’est pas d’avoir créé une monnaie unique, qui évite des spéculations sur les changes et dote les pays européens d’une grande monnaie internationale face au dollar. Ce qui est aberrant c’est d’avoir unifié la monnaie de pays européens tout en leur interdisant de coopérer dans une politique économique commune. Ce qui est aberrant, c’est la politique du chacun pour soi dans la zone euro, c’est la concurrence sauvage imposée en tous domaines par la Commission européenne, c’est le dumping fiscal et social généralisé, c’est une Banque centrale européenne qui n’est pas au service des Etats mais engendre du chômage au nom de la lutte obsessionnelle contre l’inflation, une Banque centrale à laquelle on interdit de prêter de l’argent aux Etats membres mais qui en prête, en veux-tu en voilà à 0,01% d’intérêt à des banques qui, elles, vont prêter aux Etats en difficulté à des taux de plus en plus élevés en fonction de la spéculation.
L’Europe est une grande idée mais l’idéologie néo-libérale dont elle a été imprégnée l’a réduite à n’être plus qu’une zone de libre échange gouvernée par une bureaucratie sans âme. Il est indispensable d’y restaurer le sens de la coopération et de prendre en compte les dangers qui menacent la vie sur la planète. Pour cela, il est sans doute nécessaire que les valeurs de générosité et de solidarité retrouvent toute la place qui doit être la leur dans l’esprit des citoyens de nos pays.
Jean Moxhon, FASE 31
Janvier 2012
P.S
Alors, pour qui voter ?
Attac a envoyé un questionnaire sur la dette à tous les candidats (sauf au FN). Réponses :
Jean-Luc Mélenchon : « Mettre en place un audit public de la dette et en tirer toutes les conclusions qui s’imposeraient à nous à la lumière de cet audit ».
Eva Joly : « Isoler les 20 points de dette dont la responsabilité revient au secteur financier et les faire rembourser progressivement au moyen de différentes taxes ».
Philippe Poutou : « Mener un examen populaire et citoyen de la dette, aboutissant à la répudiation de la dette illégitime ».
Nathalie Arthaud : « Exproprier les banques sans indemnité ni rachat et les faire fusionner dans une banque centrale unique contrôlée par la population ».
Nicolas Sarkozy (pas de réponse) : Rassurer les marchés et poursuivre les fraudeurs à la Caf plutôt que les spéculateurs.
François Hollande (pas de réponse) : Pas d’audit de la dette prévu. Mais un plan d’économies pour « ramener le déficit français à 3% dès 2013, en donnant du sens à la rigueur ».
François Bayrou (pas de réponse) : Graver l’austérité dans le marbre de la Constitution. « J’ai été le premier défenseur de la règle d’or ».
Billet de blog 3 févr. 2012
La dette - Les fous ont pris le contrôle de l'asile
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