Je vis le jour dans une période d’après-guerre, m’a-t-on rapporté, des plus libertaires. L’insouciance des Hommes allait de pair avec la nature et le vent léger et frais des printemps. Une brise constante d’indépendance, émanant de la télévision « naissante », soufflait en continu sur nos paroles et nos écrits. La liberté d’expression y était presque totale et la célèbre phrase d’Evelyn Beatrice Hall « Je désapprouve ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à l’écrire. » était l’invité d’honneur de toutes les agoras.
Malheureusement de nos jours, la bienséance est de mise, écrêtant par la même complètement notre libre arbitre. Uniformisant nos propos et nos mots, les moulant à l’extrême, il en est ainsi de nos discours et écrits actuels. Malheur à celui ou celle qui, pris d’une once d’humour ou d’un voile du passé, s’égare du droit chemin suivi par le troupeau des moutons. Il ou elle se verra alors immédiatement cloué au pilori des redoutables réseaux sociaux, véritables grands maîtres de l’inquisition contemporaine, et encarté des termes « discrimination et raciste », passe-partout omniprésents et omnipotents.
Nous traversons en effet une période de battage médiatique à outrance orchestré par tout un ensemble de racialistes, indigénistes, communautaristes, fragmentistes qui n’ont de cesse de faire exploser l’universalisme et le « vivre ensemble » républicain. Ainsi l’expression « faire la bamboula » ne fait visiblement plus référence à nos fêtes endiablées d’étudiants, les sempiternels « tête de nègre » ne sont plus ni les bonbons sucrés collant sous mes dents d’enfant ni un des cèpes les plus recherchés. Sur le propos, un de mes amis ivoiriens ayant appris son changement d’appellation m’avait, spontanément et à regret, affirmé « Pour une fois que j’étais dans le top trois … ». Après le « nigra » débaptisé en « aerus », le « Y’a bon Banania » de mon enfance, nous sommes maintenant sur le riz « Uncle BEN’S ». À quand l’interdiction du boudin noir sur les marchés et du « petit noir » pris sur les comptoirs en zinc le matin ? Un véritable racisme culinaire s’installe sur les étaux des racialisés.
Mon subconscient doit être, selon leur prisme unique et obsessionnel de lecture, trop inconsciemment colonisé pour ne voir aucun mal, aucun paternalisme ni même un soupçon de condescendance dans ces termes et expressions de mon enfance et adolescence. Peut-être est-ce dû, pour ma part, à une simple question d’habitude liée à mon âge assez avancé ? N’empêche que je me demande sincèrement si je pourrais encore, sans pour autant me faire traîner au tribunal, « broyer du noir » mes matins de cafard. In fine, je suis profondément inquiet sur le devenir de notre société, des idées noires me colorent au point d’affirmer que « Ma République se meurt ! ».
En ces temps d’eaux troubles, mon poisson rouge me regarde avec circonscription. Devenu lui aussi racialisé jusqu’à sa plus fine arrête, je dois être – à ses yeux - trop blanc pour être honnête.
Heureusement que j’écris moi-même et pour mon propre compte …
Plus grave encore, dans ces temps pas si anciens, les bêtises s’arrêtaient à la porte des cafés et étaient oubliées dès le lendemain, une fois les vapeurs et l’excitation retombées. Le problème croissant avec les réseaux sociaux consiste en ce vomi quotidien émanant de ces nouveaux tribuns auto déclarés. À peine lettrés, ces pseudos bien-pensants, au lieu des quelques clients des brèves de comptoir, arrivent à atteindre instantanément un public mondialisé et à influencer des milliers de « followers ». Nous assistons impuissants à un forum non régulé qui présente, comme risque aggravant, la caractéristique de graver à jamais dans le marbre de l’écrit de la plus insignifiante « pensée » du plus vil des imbéciles.
Même si j'en suis profondément désolé Madame Evelyn Beatrice Hall, les réseaux sociaux vous ont donné tort ... à jamais.
Extrait de mon prochain roman "Entre deux moi"