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Billet de blog 14 mai 2020

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Le syndrome youpi

Une bombe à retardement ?

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À

peine identifié, le nouveau coronavirus a semé la terreur.  Dans l’urgence il a fallu alarmer, décider, organiser, improviser, rassurer. Faute de certitudes et d’anticipation il a fallu mentir. Un jour on affirmait ceci ;  le lendemain, on affirmait cela… Peu importe l’absence de  cohérence et les contradictions… L’idée était de montrer que la situation était sous contrôle. Prises au dépourvu, les populations ne savaient plus à quel saint se vouer. Elles se sont pliées aux ordres, bon gré mal gré : acceptation du confinement, respect des mesures barrières, distanciation physique. Il était question là de vie ou de mort. Pas question de discuter.

La situation - inédite - faisait la Une des médias. En continu, ils relayaient, analysaient, commentaient. Jamais, en si peu de temps, nous n’aurons vu s’exprimer sur les plateaux de télévision autant d’urgentistes, de réanimateurs, d’infectiologues, de virologues, d’épidémiologistes, de généralistes ; sans parler des politiques - qu’ils soient Présidents, Ministres ou simples parlementaires - , des politologues, des économistes, des sociologues, des modélisateurs, des chroniqueurs… Chacun y allait de son expertise, suant sous les projecteurs, certains flattés et surpris de ces improbables moments de gloire cathodiques. Tant de « sachants » réunis pour s’adresser aux citoyens, ça en impose, ça donne le vertige… Chaque jour, sur fond de confinement, on dénombrait les morts, les hospitalisations, on bouffait de l’info, encore et encore, au delà du raisonnable, jusqu’à la nausée parfois. Dans les foyers, on s’indignait, on protestait, on applaudissait, on souffrait, on faisait avec…

Après quelques longues semaines difficiles de ce régime éprouvant, voilà qu’enfin - raison socio-économique oblige - on parle de déconfinement.

Vite, on montre les courbes en cloche devenues rassurantes, on nomme un Monsieur déconfinement, les discours changent. Les masques sortent du chapeau comme par enchantement : inutiles hier, les voilà devenus indispensables. À la bonne heure ! Qu’ils soient en tissu, en papier, chirurgicaux ou FFP2… peu importe. On ressort les machines à coudre, on innove… Il n’est plus nécessaire de disposer d’une dérogation pour humer un peu d’air frais… Le personnel soignant n’est plus sous pression. Les psychiatres y vont de leur analyse : ils légitiment nos angoisses, les reconnaissent, les décodent. Nous existons à nouveau. Nous voilà redevenus audibles, visibles. La vie va reprendre. Enfin !

Oui, bon, d’accord la situation économique est désastreuse, les pertes humaines sont conséquentes et  certaines restrictions demeurent : toujours les mêmes mesures barrières, les 100 Km à vol d’oiseau, pas encore de plage sur l’ensemble du littoral, des zones vertes, des zones rouges, pas de restos, pas de cinés… Mais bon, ça sent le printemps quand même. La vie reprend ses droits. Les commerces rouvrent, les écoles se remplissent à nouveau, les trains, les métros, circulent peu ou prou. Le pire est derrière nous. Le danger de contamination n’est plus autant redouté, voire même oublié. Dès les premières heures du déconfinement, dans certains quartiers des grandes villes, l’ambiance est à la fête, le bordel ambiant est total. Heureux de se retrouver, on brave les interdictions, on rit, on boit, on chante, on s’agglutine. C’est comme au stade, on exulte : « On a gagné !... On a gagné !... On est des champions ! ». Exit, le « méchant » virus dont certains vont jusqu’à croire qu’il n’était finalement qu’une chimère… La pensée magique revient en force ; elle risque de devenir la pensée dominante. On n’aura pas attendu le 2 juin pour crier victoire. À quoi bon. C’est plié, c’est gagné. C’est le syndrome youpi. 

Le syndrome youpi : une vraie bombe à retardement. Car le coronavirus, lui, s’en fout de nos états d’âme. Déconfinement ou pas, quoi qu’on en dise, il circule toujours ; en Asie, en Afrique, en Amérique, en Europe… Il continue de muter et fait sa vie en détruisant celle d’autres humains. Ne nous dit-on pas, comme l’OMS aujourd'hui,  qu’il faudra sans doute vivre avec pour longtemps ?… Si nous baissons la garde, si nous ne comprenons pas qu’il faut continuer à porter un masque, non pour se protéger soi mais  pour protéger l’autre, alors l’humanité fonce dans le mur et le pire est à venir. J’ose à peine imaginer les conséquences sanitaires et sociales d’un reconfinement obligé si le syndrome youpi dure trop. Au train où vont les choses, ça nous pend au nez...

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