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Billet de blog 25 novembre 2008

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Facebook ou Profilbank?

- Facebook : "Tu devrais essayer, c'est super, c'est génial, trop bien, trop cool!... Tu crées des réseaux, tu dialogues, tu peux envoyer, recevoir des articles, des photos, des vidéos, des trucs pas possibles… Tu connais pas ?- Non.- Comment ça tu connais pas ! T'es sérieux là ? Mais tout le monde a un Facebook ! C'est ENORME Facebook !- Hmm, hmm...- Essaye !...

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- Facebook : "Tu devrais essayer, c'est super, c'est génial, trop bien, trop cool!... Tu crées des réseaux, tu dialogues, tu peux envoyer, recevoir des articles, des photos, des vidéos, des trucs pas possibles… Tu connais pas ?
- Non.
- Comment ça tu connais pas ! T'es sérieux là ? Mais tout le monde a un Facebook ! C'est ENORME Facebook !
- Hmm, hmm...
- Essaye !...
Un soir, par désœuvrement, j’ai essayé, je me suis connecté. J’ai ouvert un compte. J’ai eu un peu de mal au début mais j’ai insisté, sans parvenir à grand chose à dire vrai, et sans y trouver un réel intérêt. J’ai laissé tomber aussitôt après une unique demande « d’ami », une vague connaissance d’université qui m’avait sollicité par l’envoi d’une invitation sur mon Email.
Quelques jours après, j’ai rouvert mon compte, sans plus de conviction. Ô Surprise : l’ « ami » en question avait déposé un commentaire sur mon « mur », me souhaitant la bienvenue au club des « facebookés » et se moquant gentiment de moi, qualifiant ma page d’accueil de « sommaire ». Il y a un début à tout…
Piqué au vif, je m'y suis mis plus sérieusement. J'ai complété mon profil, choisi mon avatar, affiché des photos, les miennes, celles de mes amis, de mon chien, de mon chat, de ma femme, de mes enfants, de ma bagnole, de mon appart, celles de mes soirées arrosées entre copains, de mes randos, méthodiquement, jour après jour... Tu vas voir un peu si je suis sommaire.
Les contacts se sont multipliés ; quatre, douze, dix-neuf… Puis j’ai dépassé la vingtaine.
Enhardi, je me laissé aller à me raconter. Mais au fond, qui pouvait s’intéresser à moi ? J'avais mes petites certitudes, mes qualités, mes petits ou grands défauts, mes secrets bien gardés, mes douces espérances, mes ambitions... Je me disais qu'au fond tout cela ne pouvait guère intéresser de monde si ce n'est mes proches, mes amis, à la rigueur certaines de mes relations de travail, mes voisins... En tout cas surement pas mes employeurs, mes ex-petites amies, les commerçants de mon quartier ou du supermarché du coin; ni mon inspecteur du fisc, mon banquier, le maire de ma commune, mon député ; surement pas mon président, ni les producteurs de disques, ni les voyagistes, les fournisseurs d'accès internet, les fabricants de téléphone, les vendeurs de bagnoles, de logiciels, de lotissements, les éditeurs de presse people, les directeurs d'événements dans n'importe quoi, le foot, le spectacle, ni même les responsables politiques, les journalistes, les économistes, les sociologues, les philosophes, l'armée, les églises, les financiers, les directeurs de programmes scolaires, et j'en passe... Je ne doutais pas que la liste des gens et des structures susceptibles de ne jamais s'intéresser à moi était bien assez longue pour ne jamais envisager autre chose que de l’ignorer. Et donc finalement je me sentais assez maître de ma vie privée qui, à l'évidence ne devait regarder que moi.
J’ai continué : âge, sexe, ville natale… j’ai raconté un peu de mon enfance, de mes parents, de mon boulot, j’ai confessé mes petits soucis, mes doutes existentiels, mes passions, mes révoltes... Tout ou presque y est passé, au gré de mon humeur, ressentant toujours d’avantage la nécessité d’en dire d’avantage, quitte à m’exhiber totalement, oubliant cette pudeur des premières connexions. J’illustrais ça de smileys, d’animations, de clips, de liens super inédits. J'ai tchatché, je me suis inscrit à des forums, j'ai été responsable de réseau, j'ai envoyé des pétitions. J'envoyais des messages. J'en recevais. Je devenais l'ami de plein de gens, d'un tas de gens, des gens super cool, des gens que je n'avais jamais vu avant (que je n'ai toujours pas vu). J’avais le sentiment d’être particulièrement pertinent, attentif au moindre détail que je glanais ça et là, je maîtrisais les codes de la nouvelle com’ branchée. On se faisait un petit coucou en passant, on s'envoyait des fleurs virtuelles et des musiques pour les anniversaires, on s’encourageait, on se prévenait, on s'échangeait des indiscrétions, on se moquait des uns, des autres, de soi, des gens, des cons…
J’y ai passé des soirées entières, consacré des moments volés au temps de la vraie vie sans réaliser que mon humanité, la vraie, était en passe de passer à la trappe, avec mon sens critique, ma lucidité, mes principes de prudence, l’attention que je devais à ceux, bien réels, qui m’entouraient jusqu’alors de leur affection. Jusqu’à mes propres valeurs qui s’estompaient pour satisfaire encore et encore ce narcissisme insatiable, à la façon d’une possession, d’une addiction que je ne contrôlais plus. Toute émotion se devait d’être livrée au clavier, manipulée au copier-coller, usurpée à l’intime, dépossédée de sa chair. Nue et offerte à qui voulait à son tour s’en satisfaire, accordant aux voyeurs (triés sur le volet, puisque « mes amis ») une complaisance qui, auparavant, m’aurait répugné. En quelques mois, j’étais devenu une sorte de pantin gesticulant sur fond de toile numérique. Un mutant. En toute confidentialité cependant, car, sur ce point Facebook prétend offrir toutes les garanties : n’entre pas qui veut sur « mon » Facebook ! Là, pas de questionnement, pas de discernement. Que du futile, de l’inutile, de l’éphémère.
Et puis un soir j’ai eu un doute.
Avec l’unique neurone qui me restait dans la cervelle, je me suis mis à réfléchir.
De l’éphémère ?... Pas tant que ça. Tout reste sur le Net. Tout se récupère. Tout peut ressortir n’importe quand, n’importe où.
De la confidentialité ? Vraiment ? Quelle candeur confondante était la mienne!...
Proposez à n’importe quel petit hacker d’aller sur Google, de taper vos nom-prénom, d’appuyer sur Enter, et le voilà, en quelques clics, sur votre site soi-disant « confidentiel », par delà le « mur », sans avoir eu besoin d’utiliser le moindre mot de passe, sans avoir été jamais convié à devenir votre « ami » au préalable.
Avec un peu d’expérience, quelques logiciels fureteurs capables de générer et de tester automatiquement - de « mouliner » - des centaines d’adresses email et de mots de passe, ces hackers peuvent mater votre cher Facebook. Mais n’allez pas imaginer qu’ils le font comme ça, par jeu, pare pure indiscrétion malsaine…
Non, les hackers de Facebook ont d’autres desseins, ils sont d’une sophistication et d’une discrétion redoutables, planifiés dès le lancement de la plateforme elle-même (des robots informatiques, des veilles commerciales, des veilles sociologiques). Pour leurs concepteurs ce n’est pas un jeu, c’est du bizness, du trafic d’influence, de la manipulation d’opinion, à notre insu, à nos dépens. Sur Facebook, rien n’est laissé au hasard. Tout ce qui se dit, s’échange, tout ce qui se frappe au clavier, est analysé, enregistré, archivé, notifié (essayez simplement de changer votre nom, votre sexe, ou votre date de naissance, vous pourrez apprécier la réactivité de son « robot »).
Le but de Facebook ? Nous surveiller, nous observer. Entre autre…
En fait, non, c’est devenu inutile : on ne surveille pas « sans cesse » ce qui est domestiqué (son chien, par exemple). On s’assure juste qu’il reste domestiqué, de temps à autre.
Alors quoi ?
Pourquoi tant de défiance ? Pourquoi cette paranoïa ? Le coup du « grand complot » on connaît. On nous la déjà fait, ça va comme ça…Alors pourquoi insister ?
Réponse : Parce que nous vivons dans un monde qui a changé, qui n’a que faire de gens comme nous : individuels, indisciplinés, imprévisibles.
Nous sommes devenus dangereux pour les nouveaux maîtres de ce monde. Ce qu’on attend de nous, c’est un certain type de comportement, parfaitement prévisible, modulable, asservi. Faire de nous des êtres qui ne pensent plus, ne critiquent plus, ne menacent plus de se rebeller contre l’obscénité de cette société dite « moderne » où la lenteur est bannie, la réflexion rendue inutile.
Il faut nous canaliser. Faire de nous une génération zapping qui ne pourra se satisfaire que dans l’instantanéité, sans penser à la réalité sordide qui existe au-delà de ce que montrent nos écrans, à longueur de saisons de « grey's anatomy » et autres séries à la con.
Nous (je dis nous, car nous sommes tous dans la même galère, vous et moi) représentons des sujets « sensibles » pour ceux qui gouvernent les affaires de ce monde. Et il est hors de question qu’ils aient à faire avec l’aléatoire de nos opinions, ingérables globalement (il n’y a qu’à voir le nombre de forums qui s’interrompent brusquement, sans explication, ou qui, purement et simplement sont interdits dans certains états). Pour parvenir à leurs fins et nous avoir à leur botte, ils doivent s’assurer que nous avons le « bon profil ». Nous devons rentrer dans un moule calibré, adapté à leurs projets de gouvernance : Le moule du « gentil consommateur téléguidé » qui changera de portable tous les deux mois, qui se pliera aux caprices de la mode, lissé, policé, écrêté, totalement inoffensif, à qui on donnera l’impression qu’il pourra dire tout et n’importe quoi - peut importe - pourvu que ce soit dans un cadre aseptisé, contrôlable, bardé de pseudo assurances de libertés conservées, de filtres bidons, de verrous numériques aussi inutiles qu’un pare-choc de bagnole contre un mur. Un moule pour individus sans plus aucune individualité, sans résistance, sans consistance : hommes, femmes, ados, actifs ou inactifs, capables de signer des pétitions, certes, mais sans que cela aie de conséquence, sans jamais s’engager réellement. Et surtout sans exposer le nouvel ordre du monde (avant on disait « le système »), où la pensée unique fait usage de réflexion « commune» plutôt que communautaire (faite de multitudes pour vivre ensemble).
Tout est prétexte à servir cet objectif : On finance les études des futurs cadres de ce monde nouveau - version occidentale, américanisée - via des « fondations » habillées de philanthropie (Mc Donald) mais qui n’en sont pas moins à vocation purement et simplement commerciale. On crée des espaces de communication « branchés » type Facebook, MySpace, tout à fait séduisants et ludiques à souhait, calibrés pour nous faire entrer dans le « profil ». Interfaces, couleurs, cadres, espaces : Tout est pensé en amont. C’est tout un décor que l’on plante « gratuitement » (vous en connaissez beaucoup de choses réellement gratuites, vous ?). Le vocabulaire, les comportements, les ambiances, les vitrines - ces vitrines virtuelles où nos yeux, rivés à l’écran, ne voient plus rien d’autre que des « profils » identiques au notre – sont induits, magnifiés, encouragés. Et du coup, chacun d’entre nous se croit irrésistible aux yeux de tous. Nous tous, les Facebookés, appartenons à une communauté de profils étrangement dématérialisés par le numérique. Et ravis de l’être !
Et ça fonctionne.
A ce stade, Facebook devient « Profil Bank».
De façon tout à fait consentante, je suis devenu un facebooké domestique, un mutant de Facebook.
.
Mais trop c’est trop. Il y a maldonne.
Est-ce réellement cela que je nous voulons pour nos enfants : qu’ils deviennent à leur tour des mutants domestiques ?
Non (j’espère). Alors, réveillons nous ; osons, chacun, dès à présent supprimer sans plus tarder nos « profils » pour en finir avec ce « farce » book, ce piège identitaire.
A moins que nous ne persistions, par pure inconséquence, et que nous ne soyons bientôt séduits par les sirènes de la « Wii» en ligne (c’est la prochaine étape qui vous sera proposée, retenez cela), où nous pourrons alors ronronner tranquillement après des orgasmes virtuels, totalement réduits à l’état larvaire.
Peut-être alors sera-t-il trop tard pour que nous commencions seulement à nous sentir vraiment emprisonnés.
A bon entendeur, Salut.
Je laisse les commentaires à qui voudra se montrer plus subversif encore.
Défoulez-vous si vous avez du temps à perdre.

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