Moi, Citoyen,
informé des dérives de l'état d'urgence, préoccupé par l'autoritarisme affiché et appliqué, et par la violence policière aussi, j'en restais à lire des témoignages et à m'en indigner un peu tout seul ou avec quelques autres dans mon coin bien tranquille. Tout cela semblait très parisien, finalement, quelque chose de si lointain.
Mais voici que dans ma petite ville, la plus petite Préfecture de France, est venu ce vendredi 20 mai le Premier Ministre de la France. Il s'agissait, prévu de longue date nous disait-on, de tenir un « Comité Interministériel Ruralité ».
Pourquoi pas, l'Ardèche reste assez rurale en effet, surtout vue de Paris, mais baste. La question n'est pas là. La question est que, pour la venue de M.VALLS et quelques autres ministres, cette si petite ville a été placée littéralement en état de siège pour la journée entière.
Moi, Citoyen, j'y ai participé, à la manifestation contre la politique du Gouvernement, régulièrement autorisée dans la matinée, pourtant assignée à résidence sans possibilité de défiler.
Moi, Citoyen, ai franchi les barrages de police en centre-ville avec ma sacoche qui aurait pu contenir une bombe, sans aucun problème ni contrôle d'identité vers 10 h 00, avant de rejoindre cette manifestation. J'étais allé prendre un café et déposer ma sacoche dans un lieu ami pour un temps.
Moi, Citoyen, après la manifestation, ai souhaité rejoindre le lieu ami avant que d'aller prendre mon bus pour aller travailler. Grave erreur de ma part, je portais sur ma veste un autocollant « Solidaires, retrait du projet de loi El Khomri », d'une couleur mauve élégamment accordée à ma chemise. Victime de la mode sans doute, je n'avais pas pensé à l'enlever - ou, peut-être, souhaitais-je tout simplement assumer mon opinion.
Moi, Citoyen français, présentant mon passeport biométrique récent, attestant par ailleurs de ma résidence dans cette commune, me suis vu refuser l'accès à la Place de l'Hôtel de Ville par huit CRS en charge du barrage filtrant. A ma question « pourquoi ? », il m'a été opposé « nous n'avons pas à vous répondre, ce sont les ordres ». Il m'a également été intimé de retirer l'autocollant, alors que je n'étais plus sur les lieux de la manifestation.
Moi, Citoyen, d'ordinaire fort paisible, la colère m'a pris, et maintenant encore je ne sais pas pourquoi j'ai réussi à ne pas aller au conflit ouvert avec ces fonctionnaires obéissants. Eux-mêmes ont ressenti cela et ont mis la main sur leur tonfa. J'ai préféré renoncer provisoirement, car je savais que finalement ils n'en étaient pas comptables.
Moi, Citoyen, n'ai pas accepté que l'on restreigne ainsi ma liberté de circulation dans ma propre ville, mon propre pays.
Cela n'est pas compatible avec les valeurs de la République.
Moi, Citoyen, ai dû y réfléchir à deux fois avant que d'y revenir avec ma carte professionnelle : médecin psychiatre, je devais impérativement récupérer ma sacoche contenant mes notes pour aller travailler l'après-midi et assurer le service public auprès d'enfants et d'adolescents en grande souffrance. Les fonctionnaires m'ont finalement laissé passer, pendant que d'autres citoyens étaient eux aussi refoulés – y compris des travailleurs, commerçants, restaurateurs, employés -, cela n'était pas une raison suffisante aux yeux des « forces de l'ordre » pour déambuler, se rendre à leurs activités, dans les rues de leur propre ville.
Moi, Citoyen, j'en témoigne, je l'ai vécu, vu et entendu.
Moi, Citoyen, aurait préféré être placé en garde à vue pour 96 heures après un coup de matraque pour pouvoir témoigner ultérieurement avec des arguments frappés de ce qu'il faut bien appeler la répression.
Moi, Citoyen, n'accepte pas que ma seule qualité de médecin de service public m'ait permis non sans mal de franchir le barrage arbitraire, alors que d'autres citoyens ont été refoulés.
Cela n'est pas juste.
Moi, Citoyen, n'accepte pas que la venue de M. VALLS dans ma ville restreigne ainsi les libertés individuelles, le droit d'aller et venir. Un Ministre respectable sinon respecté ne devrait pas avoir besoin, en République, de cet appareil répressif.
Moi, Citoyen, n'accepte pas que des lycéens mineurs rencontrés m'aient dit qu'ils étaient menacés d'exclusion par le CPE alors même que leurs parents responsables légaux les autorisaient à participer à la manifestation.
Moi, Citoyen, n'ai cependant aucune animosité contre les fonctionnaires de police qui appliquent les ordres et sont des prolétaires, si ce mot a encore un sens.
Moi, Citoyen, m'adresse donc directement à MM. VALLS et CAZENEUVE, véritables responsables et coupables.
Débarqués en hélicoptère de l'Armée de l'Air, vous investissez une petite ville très paisible sous couvert de centaines de policiers et gendarmes à vos ordres qui exécutent ainsi votre arbitraire, vous vous permettez de bouleverser la vie quotidienne de milliers de citoyens pour quoi ?
Un « Comité Interministériel Ruralité » ! Opération de communication pour avoir une double page dans la presse quotidienne régionale, sans doute, c'est réussi, mais qui y croit encore ?
Moi, Citoyen, je dis que cela dit que vous avez peur, et que cela est aveu de faiblesse.
Moi, Citoyen, je vois que vous faites semblant d'instaurer une prétendue sécurité totalement illusoire qui n'est que prétexte pour maintenir le peuple dans l'inquiétude, voire l'oppression, et que vous utilisez la menace.
Moi, Citoyen, m'interroge de plus en plus âprement sur l'instrumentalisation de la menace terroriste aux fins de mater la colère du peuple.
Moi, Citoyen, je dis en effet, car j'ai vu, que vous êtes en fait incompétents. Si j'avais voulu poser une bombe, vos « forces de l'ordre » - qui devraient être les miennes, les nôtres, si nous étions encore une Nation unie - n'y auraient vu que du feu, car ma sacoche aurait pu contenir 2 Kg de Semtex au lieu de papiers professionnels, et passer aisément jusqu'à la Préfecture, mais à 10 h 00 elle n'a pas été contrôlée, pas plus que mon identité. Heureusement que je ne suis pas un terroriste, malgré le spectaculaire déploiement policier – la question du coût en argent public restant entière- ce jour cela aurait été très facile de faire exploser le quartier entier.
Moi, Citoyen, ne me reconnaît plus depuis longtemps dans ce « Gouvernement » qui bafoue les valeurs qu'il est supposé porter. L'incompétence est une chose largement partagée, la trahison en est une autre.
Moi, Citoyen, fonctionnaire de l’État, attaché au Service Public, je suis en colère. Je dis que le seul honneur de ce Gouvernement, sa seule et ultime honnêteté, serait de démissionner au plus tôt.