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Billet de blog 1 décembre 2016

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Fillonoula démocratie fictive

François Fillon est sans aucun doute un réactionnaire en matière sociétale, un serviteur de la finance en matière économique, un liquidateur avoué quant au « modèle social français » , un opportuniste en politique étrangère ( son « amitié » avec Poutine est une façon de faire croire à un non-alignement sur les USA alors qu’il n’a nullement l’intention de quitter le commandement militaire intégré )

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Ainsi donc le notable sarthois, aux racines vendéennes fort proches et toutefois élu du VII ème arrondissement de Paris, est devenu le porte-drapeau de la droite.
Invoquer Séguin, comme ont cru devoir le faire certains, à son propos, est un contresens: Fillon n’est en rien souverainiste, même s’il prétend se désolidariser de la Cour européenne des Droits de l’Homme, ce qui par ailleurs ne lui a pas été reproché par ses concurrents, soit parce qu’ils étaient englués dans leur positionnement droitier , soit parce qu’ils auraient dû expliciter en quoi c’était un risque pour les droits des Français eux-mêmes.
Bref propulser un homme qui prétend abolir l’Etat-Providence, alors que c’est là que réside la seule légitimité de l’Etat pour un républicain et un démocrate, montre à quel point la soif de revanche de la France moisie et du programme du Medef, précisé il n’y a pas si longtemps par Denis Kessler, comme le démantèlement du programme du CNR, sont un moteur politique de classe.
La peur d’un peuple instruit
La liquidation des partis en tant qu’intellectuels collectifs pour les transformer en syndicats d’élus présents et futurs et le recours à des think tanks, tous financés par des financiers qui savent non seulement ce qu’est la lutte des classes mais qu’elle existe, a fait passer les primaires pour un moment démocratique dans la vie politique, désormais incontournable.
En oubliant que les candidats possibles sont tous issus de la caste au pouvoir, filtrés par la machine politique et sans relation avec les classes populaires. Aucun d’ailleurs n’en est issu et dans l’échelle sociale, le moins nanti appartient à la classe moyenne que sa politique contribue à réduire et à exclure de l’accès au pouvoir.
Le contrôle des media par une poignée d’oligarques en France, ou par l’Etat, explique la manipulation généralisée des citoyens à l’occasion.
L’incapacité de la gauche (au sens le plus vague du terme en cette année 2016 ) à concevoir et à diffuser un discours alternatif à la doxa néo-libérale et même la soumission d’une partie d’entre elle à ses injonctions, doit être comprise par le lent travail de décitoyennisation entrepris par les politiciens , français pour ce qui nous concerne, à partir du moment où l’hypothèse de la mise en place à court ou moyen terme d’un autre mode de production que le capitalisme s’est progressivement effondrée et s’est parachevée, au moins momentanément, avec la liquidation de l’URSS par des politiciens corrompus et sans autre idéal que le contrôle du pouvoir  dans cette partie du monde sur des bases claniques voire mafieuses.
L’irruption du peuple dans le débat politique est très précisément ce que la classe dirigeante partout redoute par dessus tout et le travail d’inculcation et de développement d’un individualisme consumériste, sous les oripeaux, chez nous,   précisément de la liberté individuelle, de l’égalité des chances ou d’un mérite imaginaire fut et demeure le meilleur moyen de l’en éloigner.
Il n’est même pas interdit de penser que les réformes de l’Education mises en place dans notre pays depuis trente ans concourent à cet objectif et on n’aura garde d’oublier, par exemple, que Chatel , ministre de Fillon et de Sarkozy, envisageait la suppression de l’enseignement de l’Histoire en terminale S, l’année du baccalauréat, au moment précis où la majorité des élèves de ces sections réputées propédeutiques  pour les élites avant les classes préparatoires aux Grandes Ecoles, accéde à la majorité civique.
Des leurres de tous bords
Roselyne Bachelot, ancienne ministre et amie de Fillon mais pas « pom pom girl » a cru devoir dire que Juppé avait contre lui trois éléments: l’ENA, les affaires passées, l’âge.
On doute fortement cependant de l’anti-élitisme des votants de la primaire de droite quand on examine la sociologie desdits votants, encore plus de leur attachement à la vertu personnelle de leurs élus quand on voit avec quelle constance ils réélisent certains d’entr’ eux  et même de leur souci de renouveler le personnel politique alors que Juppé avait clairement annoncé qu’il ne ferait qu’un seul mandat s’il était élu et qu’on trouve autour du nouveau champion de la droite française quelques chevaux de retour dont il ne peut se passer.
Si Juppé n’a pas convaincu dans la campagne de premier tour c’est d’abord qu’il n’a pas trouvé un positionnement mobilisateur assez fort pour contrer les fantasmes identitaires que Fillon a pris en compte et qu’il n’ a pas mis en avant un projet mobilisateur.
Pour les slogans, Trump ( qui a eu 70 ans au mois de juin, et Juppé a eu tort aussi de ne pas rappeler ce détail!) avait trouvé la formule magique ( «  America great again »  ) . Juppé n’ a pas osé lancer un message aussi fort et  je ne crois pas que ce soit une question de pudeur, plutôt un consentement à une France seconde en Europe.
Cela dit les media n’ont pas cherché à embarrasser Fillon, alors qu’il y avait largement matière à le faire, car on n’est pas PM sans avoir son mot à dire et le bilan de Sarkozy, retoqué en 2012, est aussi le sien, y compris sur les affaires judiciaires qui montaient autour du PR, pour celui-ci comme pour ses proches,  ou la nouvelle carte judiciaire de Rachida Dati et les fermetures de casernes qui ont achevé de vider de substance un certain nombre de villes et négligé un peu plus la « périphérie » , sans parler de la croissance de la dette ou de la calamiteuse intervention en Libye ( 2011) avec les conséquences tragiques que l’on sait.
Certains pensaient peut-être que pour Hollande, Fillon était moins dangereux que Juppé, d’autres que Juppé n’avait pas changé depuis 1995 ( sa morgue intellectuelle), d’autres que Fillon étant plus libéral que Juppé serait plus docile aux desiderata patronaux. Sans oublier la cathosphère et ses éléments fascisants qui n’ont pas manqué de préférer l’élève de l’école privée au divorcé fils d’un gaulliste du corps franc Pommiès.
Bref Juppé n’aurait pas dû participer à ces primaires et aurait dû au contraire se positionner au-dessus des partis alors que sa condamnation, Fillon ayant fait du billard à 3 bandes quand il a demandé si l’on imaginait De Gaulle mis en examen, a  pesé d’autant plus lourdement que lui-même a cru devoir en parler à contre temps.
 On peut rater une campagne, même la dernière, quand les rapports de force sont contraires , mais  en revanche si Fillon est gaulliste Balkany est un honnête homme.
Un programme sans renouveau
Marcel Gauchet qui n’ a jamais envisagé comme souhaitable une transformation profonde des rapports sociaux et du mode de production parle de retour du gaullisme , d’un conservatisme susceptible d’affaiblir le FN. Outre que cela est une singulière réduction de ce que fut le gaullisme, c’est aussi passer par dessus bord l’oeuvre du Général à la Libération et que revenu au pouvoir en 1958 il a transformée sans la bouleverser comme le propose un Fillon guidé par le  Medef.
Les ordonnances de 1967 sur la Sécurité sociale ne l’ont pas tuée mais alors que c’est cela que Fillon en bien en vue, son discours  sur les plus modestes qui ne seraient pas moins remboursés étant un rideau de fumée.
La distinction entre une attitude réactionnaire et un positionnement conservateur ne contribue qu’ à brouiller les cartes , car il s’agit de nier le rôle de la lutte des classes dans l’analyse historique.
Le candidat de la droite a rédigé un programme et il suffit d’en lire les phrases pour comprendre qu’il est aussi conservateur, au sens de non-progressiste, que réactionnaire au sens de  liquidateur de droits acquis dans les luttes sociales.
L’exemple de l’assurance -maladie est particulièrement éclairant: vouloir focaliser « l’assurance -maladie sur des affections graves ou de longue durée et l’assurance privée sur le reste », autrement dit moduler le remboursement entre le gros et le petit risque n’est pas une idée neuve, comme le rappelle Didier Tabuteau ( titulaire de la chaire Santé à Sciences -Po Paris).
L’idée d’instaurer «  un panier de soins » pris en charge par la Sécurité sociale , excluant du remboursement d’autres dépenses de santé, n’est pas plus nouvelle: elle est une revendication de tous les assureurs et une recette de tous les technocrates gagnés à l’idée de réduire les prélèvements obligatoires, autrement dit le financement des solidarités collectives.
L’autre idée avancée, celle d’un « bouclier de santé », c’est-à-dire la prise en charge à 100% des restes à charge dépassant un certain pourcentage des revenus de la personne ( 3% proposent certains économistes) fut lancée en France par Martin Hirsch; apparemment séduisante elle a le défaut, comme le panier de soins, de considérer comme normale la persistance d’un reste à charge et donc non seulement la nécessité d’un recours à des assurances complémentaires (privées ou mutuelles) mais aussi l’inégalité entre les citoyens devant les conditions réelles d’accès aux soins. pour mémoire ci-dessous, l’alinéa 11 du préambule de la Constitution qui a force de Loi:
11. Elle ( la Nation) garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.
C’est précisément la définition de la Sécurité sociale qui doit être lue avec l’ensemble des fondements de la République, autrement dit sans oublier le principe d’égalité. Une médecine à deux ou trois vitesses en fonction des revenus personnels est contradictoire avec ces principes et la CMU n’est qu’une réponse très partielle au défi ainsi posé. La droite a d’ailleurs déjà manifesté son peu d’enthousiasme pour ladite CMU (litote!).
Or l’inégalité et l’impact sur les patients et l’accès aux soins, du fait des divers éléments de reste à charge sont bien réels: les contrats des complémentaires « responsables » plafonnent les remboursements, les remboursements complémentaires en hospitalisation ont diminué de 53 % entre début 2015 et début 2016, ceux pour les généralistes de 5 %, ceux pour les spécialistes de 10% .et chacun sait les renoncements aux soins des catégories défavorisées de la population, aussi bien pour la santé en général que pour les spécialités ophtalmologiques, dentaires ou dermatologiques.
Ce qui est proposé c’est donc bien une aggravation des choses et une privatisation déguisée qui ne serait financièrement neutre que pour les classes le plus favorisées et réellement profitable qu’aux actionnaires des compagnies d’assurance ou à leur management. Ce n’est pas pour rien qu’Henri de Castries ( ex PDG d’Axa, condisciple de Denis Kessler à HEC et élève de la promotion Voltaire de l’ENA) est pressenti pour le shadow cabinet de Fillon qu’il aidé pour le financement de sa campagne des primaires. De mauvais esprits verraient là un renvoi d’ascenseur.
Un programme mensonger et donc sans vertu
Les votants à la primaire ont sans doute voulu se débarrasser de  Nicolas Sarkozy en tant que personne, et c’est sans doute pour cela qu’ils ont oublié que Fillon avait assumé de fait toute la politique conduite de 2007 à 2012 , aussi bien qu’ils ont également oublié son appel à Jouyet , son condisciple à l’ENA, pour que l’Elysée ne ralentisse pas les instructions en cours sur les affaires judiciaires impliquant l’ex-président, alors que cette intervention démentie par l’un mais pas par l’autre, n’est pas à l’honneur de son auteur. Ni par ce qu’elle révèle d’une conception de l’indépendance de la magistrature, ni par la connivence qu’elle suppose au sein d’un élite d’entre soi.
Le Canard Enchaîné du 30 novembre révèle sur cet impétrant à la fonction suprême des moeurs assez proches de celles de son ancien patron avec ( mais pas seulement)  la création bien minutée d’une entreprise de conseil, dont il était le seul salarié et associé unique et dont le secrétariat était assuré par une secrétaire payée par l’Etat, ceci relevant d’ un privilège accordé à un ancien PM. Le vertueux Fillon n’ a pas dénoncé ces privilèges qui n’ont aucune justification digne de ce nom, même en faisant preuve d’imagination.
Vu le traitement et les avantages attachés à la fonction on peut comprendre que FF ait avalé toutes les couleuvres servies par Sarkozy, le désintéressement ne semblant pas un élément constitutif de son engagement en politique. Refaire à sa main l’appareil d’un parti n’est pas davantage un exemple frappant de renouveau de la vie politique.
Ce qui est dit dans la même livraison du journal satirique sur son directeur de campagne, Patrick Stefanini, n’ajoute rien à la stature d’un personnage prétendument honorable qui ne craint pas de s’entourer d’un Woerth , dont le blanchiment par la CJR naguère n’est pas à donner comme exemple de civisme, et que l’enthousiasme de Patrick Buisson à l’occasion de son succès disqualifierait normalement auprès de tout vrai républicain.
L’un des crimes que voudraient perpétrer dans l’ombre les dirigeants de la droite et plus généralement tous ceux qui se sont dévoués à la promotion tous azimuts du néo-libéralisme et de la destruction ordonnée des solidarités collectives, c’est une transformation de l’appareil d’Etat en exaspérant un discours démagogique sur les fonctionnaires et les services publics: démagogie sur l’école, démagogie sur l’absentéisme dans les collectivités territoriales (alors que la majorité d’entre elles est gérée par des élus de droite), démagogie sur le coût de cet absentéisme qui est une invention, démagogie sur la gestion de la SNCF, démagogie sur les hôpitaux publics ( n’oublions pas que Roselyne Bachelot avec la loi HPST avait carrément éliminé le concept de service public hospitalier) .
Recentrer l’Etat sur un régalien étriqué, au mépris de la Constitution ( le fameux préambule et l’article 1), faire de la République un état pseudo-fédéral mais tout à fait « girondin », tout en continuant de multiplier les strates d’élus et les privilèges ad hoc, tout en restant lié à des institutions européennes  sans  fondement commun avec l’Histoire de notre pays, De Gaulle avait quelques raisons de ne pas aimer Jean Monnet, et méprisantes à l’égard des souverainetés populaires et citoyennes, c’est dans la doxa portée par ces gens là.
François Fillon est sans aucun doute un réactionnaire en matière sociétale, un serviteur de la finance en matière économique, un liquidateur avoué quant au « modèle social français » , un opportuniste en politique étrangère ( son « amitié » avec Poutine est une façon de faire croire à un non-alignement sur les USA alors qu’il n’a nullement l’intention de quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN qu’ a rallié Sarkozy  (dont il était alors PM ) , un imposteur quant à sa conception de l’Etat et encore bien davantage de la citoyenneté…
Bref un prédateur ordinaire qui comme a dit Lemaire à propos de FH pendant sa campagne des primaires, ne mérite à coup sûr « aucun respect ». Dans la suite des François le dernier n’est pas le meilleur.

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