La période qui précède de peu ma naissance, en août 1944, revient sans cesse à mon esprit et de plus en plus, au fur et à mesure que me semblent s’accumuler sur nos têtes des nuages bruns et que nous laissons passivement l’orage s’approcher. C’est d’une rue de Lyon dont je vais parler aujourd’hui car elle nous relie à cette époque. Rappelons-nous que la ville de Lyon, où Jean MOULIN fut torturé avant de disparaître, fut considérée comme « la Capitale de la Résistance », comme elle le fut souvent dans l’Histoire contre tous les abus de pouvoir politique ou économique avec les Canuts.
Lyon est une ville fort ancienne puisque c’est à Lugdunum, la ville dédiée au dieu gaulois Lug, que naquit l’Empereur Claude. Tout dans cette ville nous parle de l’histoire et, Lyonnais d’adoption, je n’imagine guère de vivre ailleurs, sauf sur le Plateau Vivaro-Vellave qui se trouve juste un peu plus au sud, à cheval entre le Rhône et le Massif Central.
La « rue Vieille Monnaie », fut tracée au XVIème siècle au bas de la colline de la Croix-Rousse sur l’emplacement où avait existé, au temps des Romains, un temple dédié à Auguste. Cette rue fut appelée ainsi parce que le « maître des monnaies » y avait installé un atelier de frappe de monnaies. On y ajouta le qualificatif de « vieille » quand l’atelier fut transporté ailleurs.
La rue ne prit son nom actuel, de « rue LEYNAUD » qu’en 1945 en hommage à René LEYNAUD, un poète et journaliste au Progrès, qui fut arrêté Place Bellecour par la Milice et livré à la Gestapo qui l’assassina en juin 1944.
Il habitait au n° 6 de la « rue Vieille Monnaie ». Il faisait très activement partie du réseau « Combat » et il lui arriva d’accueillir chez lui Albert CAMUS, son compagnon de Combat.
La plus jeune de mes filles et son mari habitèrent un certain temps dans l’immeuble voisin, au n° 8, et une autre de mes filles exactement au débouché de cette rue, sur « la montée de la Grande Côte ». C’est donc un quartier que je connais bien.
Passant par-là, j’ai très souvent repensé à cette époque où certaines des traboules que j’utilisais, (Quand je me garais Place des Terreaux, je passais exactement par celle qui permet d’aller de la rue des Capucins jusqu’au n° 6 de la rue LEYNAUD), avaient été empruntées par les Résistants afin d’échapper à ceux qui voulaient surveiller leurs contacts ou même les arrêter. La rue LEYNAUD rappelle qu’un héros y vécut et ne survécut pas à cette époque. Un hommage lui sera rendu lundi prochain avec la lecture, par des enfants de CM2 scolarisés dans le quartier, de poèmes qu’il avait écrits. Puis, à l’Hôtel de Ville, sera remis le « Prix LEYNAUD » qui récompensera un poète actuel, dont les textes expriment un esprit de résistance, marquant ainsi que la barbarie peut tuer les poètes mais pas la poésie.
En ces temps où les cœurs se ferment comme les frontières devant les malheureux que la guerre chasse de chez eux ; tandis que nos dirigeants tentent de porter gravement atteinte au Droit du Travail qui résulte de plus d’un siècle de conquêtes sociales où la révolte des Canuts tint une place importante ; et alors que l’Europe, l’espoir de notre génération, n’est plus qu’une foire d’empoigne où des chiffonniers se disputent des lambeaux … il est utile de se rappeler les poètes qui moururent pour rester debout … et, peut-être, s’il en est encore temps, de se ressaisir et de monter plutôt « La Grande Côte » que la descendre.
Jean-Paul BOURGЀS 2 mars 2016