Tous ceux qui, depuis presque quatre ans, ont lu mes billets quotidiens et ont dialogué avec moi, savent que je m’efforce d’adopter toujours des positions calmes et claires.
Ce n’est donc pas un coup de tête qui me fait quitter Mediapart.
Sa qualité de journal d’investigation est évidente et sa présence dans notre pays est incontestablement utile. Le nombre actuel d’abonnés est tel que rester abonné ne correspond plus à un acte militant comme ce put être le cas de ceux qui s’abonnèrent dès les débuts. On en a eu une éclatante démonstration, d’ailleurs, avec le fait que le rappel de TVA plus pénalités de plus de quatre millions d’euros, ne pouvait pas faire courir un risque de disparition au journal … et c’est tant mieux.
Plusieurs éléments m’ont conduit à cette décision, qui n’a pas été facile car j’ai noué, ici, un grand nombre de relations amicales que je serais bien triste de voir s’effilocher.
Le dysfonctionnement du participatif
Comme son nom l’indique, Mediapart a été fondé en s’affirmant « participatif ». Même si ce mot peut revêtir des significations assez larges et floues, dans le cas d’un journal, tout le monde avait compris que cela correspondrait à l’instauration d’un dialogue étroit entre la rédaction et les lecteurs. Les commentaires faits par les lecteurs aux articles des journalistes devaient enrichir le contenu du journal et donner lieu à des échanges entre lecteurs ou entre lecteurs et rédaction. La création d’un Club, permettant aux abonnés d’entretenir des blogs, facilement accessibles par les uns et les autres, pouvait apporter un espace de liberté d’expression à ceux qui ne sont pas des journalistes mais considèrent légitime de pouvoir dire ce qu’ils pensent et ressentent, tout en se prêtant au dialogue avec la rédaction et l’ensemble des abonnés. Remarquons, d’ailleurs, qu’un abonné qui publie des billets systématiquement fermés aux commentaires, ne participe pas à la vie collective … il n’en est qu’un chicot malade.
La vie de cet outil a nécessité la mise au point d’une charte éditoriale s’appliquant à tous, journalistes comme abonnés, afin d’éviter des débordements qui auraient risqué de mettre en péril la formule. Le système a relativement bien fonctionné avec, malgré tout, une évolution inquiétante depuis le départ de Géraldine DELACROIX lorsqu’un de ses successeurs nous a mis en demeure de respecter « un esprit Club » qui a toutes les apparences d’une officine de censure de ce qui déplait à la rédaction … en nous enjoignant de ne pas critiquer Mediapart. Je respecterai, d’ailleurs, cette réserve en ne publiant pas ce texte sur d’autres sites, afin de « rester dans la famille ».
Peut-être en raison d’une difficulté pour ce journaliste de rentrer dans une fonction qui suppose beaucoup de finesse, on vit se multiplier les « dépublié par la rédaction » sans autre explication aux auteurs ainsi censurés qu’un message standard donnant l’impression qu’un robot avait pris la place de Géraldine DELACROIX.
Sauf publication d’un billet ou d’un commentaire incontestablement contraire à la charte éditoriale, je suis profondément hostile à ces « dépublications par la rédaction » dont je n’ai, pourtant, jamais été victime (Je n’ai, par conséquent aucune rancœur ou frustration personnelle à venger). Dans cet esprit j’ai maintes fois souhaité qu’un dispositif participatif associant des membres de la rédaction et des abonnés permette d’assurer un pilotage de cette fonction délicate (Il n’est évidemment pas possible de saisir une commission pour chaque décision – sauf probablement dans le cas d’un retrait définitif du droit de publier - mais il faudrait au moins qu’elle fonctionne comme une instance de surveillance devant laquelle ceux qui ont le pouvoir de dépublier soient amenés à rendre compte périodiquement de leur mission). Malgré des demandes répétées, jamais un dialogue n’a pu se nouer avec la rédaction à ce sujet … ce qui illustre l’aspect fictif et strictement marketing du côté participatif de Mediapart.
Avec de nombreux autres abonnés, j’ai participé à plusieurs opérations de protestation contre des censures qui nous étaient apparues inacceptables. Sauf à l’occasion d’une mesure d’interdiction de publier visant Joël MARTIN, à l’époque de Géraldine DELACROIX, il n’en est résulté aucune ouverture d’un échange de points de vue avec la rédaction qui a, dans ce cadre, manifesté chaque fois un grand mépris de ses lecteurs qui ne m’apparaît guère cohérent avec l’affichage d’une option participative. Ce mépris, ou cette incapacité technique de s’adapter au nombre actuel d’abonnés, est traduit par l’absence à peu près systématique de réponses de la rédaction aux questions ou points de vue des abonnés (Je ne parle même pas des réponses insultantes d’un journaliste dont les comportements sont fréquemment contraires à la charte … et cependant tolérés par Edwy PLENEL).
Par ailleurs, beaucoup de fils de discussion me sont apparus de plus en plus irritants et au moins décevants, avec un comportement de meute anonyme qui serait inquiétant pour la liberté d’expression, si ceux qui jappent mais mordent dans le vide étaient susceptibles de disposer, un jour, d’un pouvoir d’envoi au goulag.
Il y a donc loin de la vitrine qu’un marketing habile rend chatoyante … et la réalité, qui ressemble beaucoup à ce que tant d’autres médias proposent ou à ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux.
L’affaire de la TVA
J’ai dit depuis le début que je ne considérais pas que Mediapart ait, de quelque manière que ce soit, fraudé en ne réglant pas la TVA sur la base en vigueur mais en retenant le taux qui s’appliquait à la presse imprimée. En effet, on ne peut pas parler de fraude lorsque le contrevenant annonce publiquement qu’il considère illégitime le taux que la loi a prévu de lui appliquer et qu’il procédera aux déclarations correspondant au taux de la presse imprimée. Il s’agit, plutôt, d’un comportement de résistance à ce qu’on estime anormal.
Dans ce contexte, il y a déjà deux ans, alors qu’un alignement des taux de TVA n’était pas encore d’actualité, j’avais indiqué publiquement que j’accepterais et la hausse de l’abonnement pour compenser l’effet du taux de TVA et l’amortissement sur un temps important de l’arriéré de TVA à payer.
Grâce à l’opiniâtreté d’Edwy PLENEL et de quelques autres dirigeants de sites de presse en ligne, l’alignement des taux de TVA entre presse imprimée et presse en ligne a été obtenu. En raison de la non-rétroactivité des dispositions fiscales (Je sais qu’il y a déjà eu des entorses à ce principe … mais c’est rare et cela ne relève que du Parlement), Mediapart a cependant été contraint de régulariser sa situation correspondant à la longue période où la TVA ne fut pas calculée au taux en vigueur … plus la pénalité habituelle appliquée aux règlements tardifs.
J’ai alors été très choqué de lire sous plusieurs plumes de journalistes de Mediapart, dont Edwy PLENEL, que l’application de la loi à Mediapart relevait d’un « règlement de compte de Bercy consécutif à l’affaire CAHUZAC ».
On nage là dans un niveau de journalisme qui ne devrait pas être celui de Mediapart et qui, pour moi, est une atteinte aux exigences de vérité et de professionnalisme qui m’avaient amené à ce journal.
Il m’apparaît peu sérieux d’imputer à l’administration de Bercy des vengeances de ce type, mais, en plus, croire que, dans leur ensemble les fonctionnaires de Bercy, du haut en bas de l’échelle, s’étaient sentis solidaires de leur Ministre qui fraudait le fisc, c’est les insulter gravement en les assimilant au voyou dénué de tout principe qui fut leur patron. Je suis sûr, au contraire, que, pour une écrasante majorité d’entre eux, voir ce Ministre félon contraint à la démission, puis traduit devant un tribunal doit représenter un soulagement moral.
A une époque où l’idée même de « service public » est l’objet d’attaques répétées, dire et proclamer bruyamment que des fonctionnaires agiraient par esprit de vengeance et dans un esprit de corps mécontent qu’on ait épinglé « leur chef », c’est un coup de plus porté à une Institution que nous ferions mieux de défendre.
Redescendons sur terre. C’est vital pour Mediapart, si ce journal veut préserver une crédibilité qui prit sa véritable dimension avec l’affaire CAHUZAC, que son travail journalistique d’enquête apparaisse conduit sans épargner aucun parti politique. Cela exclut de se laisser aller à des divagations complotistes de très bas niveau.
L’appel à la participation financière des abonnés
Alors-même que la dimension participative de Mediapart pâlissait sensiblement, comme évoqué dans le premier paragraphe, la rédaction tenta de susciter un comportement de solidarité de ses abonnés lorsque la notification d’avoir à régler plus de quatre millions d’euros lui parvint.
Sur le ton de quelqu’un en train de se noyer et appelant au secours, la rédaction lança un appel à ses abonnés afin qu’ils mettent aussitôt la main à la poche pour payer ce que le fisc attendait. Il s’est agi là d’une opération conduite sur un registre rendu dramatique : « Aidez-nous ou ça sera la mort de votre journal », alors qu’il est assez vite apparu que le journal avait les moyens de faire face et qu’il n’y avait donc pas urgence. Rapidement la rédaction modifia d’ailleurs la présentation initiale en expliquant que l’appel aux abonnés était destiné à permettre de poursuivre les investissements nécessaires pour que le journal se développe. On nous expliqua même qu’une nouvelle version du logiciel arrivait et que l’argent demandé correspondait à des investissements de cette nature. Bel exemple quand on vit tous les défauts, et les bugs, de ce nouveau logiciel qui est apparu à beaucoup d’entre nous comme une étape dans l’affaiblissement du Club et des liens existant entre ses membres !
La démarche de la rédaction fut exactement la même que celle de l’UMP faisant appel à ses militants et sympathisants pour payer le redressement correspondant au dépassement des limites financières de la campagne présidentielle de 2012. On avait appelé ça « le Sarkothon » et l’appel lancé par la rédaction est une sorte de « Mediaparthon ».
Dans le fond pourquoi pas, puisque c’est légal. Mais, dans le cas du Sarkothon, comme dans celui du Mediaparthon, il y a un aspect extrêmement déplaisant pour quiconque a une certaine morale de l’argent public, dans un des arguments utilisés.
En effet, faire appel aux dons, en disant que « 66 % de vos contributions seront déductibles de vos impôts », c’est dire que le paiement que l’on fait au fisc de la main droite sera repris aux deux tiers par la main gauche. Les textes semblent le permettre, mais la morale publique s’y retrouve-t-elle vraiment ? En ce qui me concerne, j’ai été profondément choqué par la déductibilité des contributions au Sarkothon … et je le suis encore bien plus dans le cas du Mediaparthon.
Ayant interrogé l’administration fiscale à ce sujet, sa réponse me conduit d’ailleurs à penser que la souscription via le site « J’aime L’info » n’autorise la déductibilité qu’à la condition que les fonds ne servent « qu’à des organismes d’intérêt général œuvrant pour cette cause » (La cause étant le pluralisme de la presse). Mais à Mediapart et aux abonnés qui voudraient profiter de la déductibilité de se débattre avec l’administration fiscale au cas où celle-ci contesterait les déclarations des abonnés qui feraient jouer la déductibilité du fait que les sommes levées par « J’aime L’info » reviennent directement à Mediapart, conformément aux souhaits des donateurs.
Le plus important pour moi n’est pas là, même si les écrits de Mediapart à ce sujet me sont apparus très approximatifs. L’essentiel est dans cette idée qui consiste à faire financer par le fisc lui-même, autrement dit par les impôts de l’ensemble des contribuables, les deux-tiers de ce que Mediapart doit à l’Etat. Cette démarche est en continuité avec cette idée que ça n’est pas la loi qui est appliquée à Mediapart … mais une sombre vengeance.
Si Bercy validait la réduction fiscale du retour direct vers Mediapart des sommes collectées via la plateforme « J’aime L’info », cela ferait preuve de sa part d’un esprit de tolérance diamétralement à l’opposé de la vengeance évoquée par Edwy PLENEL.
Il s’agit là, pour moi, d’un mauvais coup de plus porté à la res-publica … et je suis triste que ce soit Mediapart qui le porte.
Des trois raisons qui me conduisent à me retirer, la dernière est la plus importante. Je suis juste légèrement surpris qu’ayant interrogé Edwy PLENEL à ce sujet par un mail personnel, le 7 novembre 2015, il n’ait pas jugé utile de me répondre … à moins que, justement, il n’ait rien trouvé à répondre.
Je vais donc résilier mon abonnement et j’ai annulé le virement permanent qui permettait d’assurer l’accès à Mediapart pour deux autres abonnés. L’échéance de mon abonnement étant le 3 mai 2016, cela me laisse trois mois d’activité dans le cadre du Club.
Ceux qui voudraient que nous restions en contact peuvent donc, d’ici début mai, me contacter par la messagerie privée, je leur indiquerai mon adresse-mail personnelle et je leur indiquerai où ils pourront lire … et je l’espère, commenter prochainement mes billets quotidiens.
Jean-Paul BOURGЀS 3 mars 2016