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Billet de blog 6 janvier 2013

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Prenons de l'altitude ...

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… pour quitter la fange où l’on nous roule !

Ces derniers temps, par une facilité que je regrette, je me suis un peu « lâché » à propos des minableries ou des sottises inénarrables de certains « grands noms du show-biz ». J’en avais un sentiment étrange de glissade vers ce que je déteste. Un échange avec un autre rédacteur de billet sur Médiapart, Gilbert POUILLART, que j’ai toujours tant de plaisir à lire, me conduit à une réflexion plus en recul ce soir sur ce qui est en train de nous arriver.

Nous, en tout cas les gens de ma génération qui sont nés entre le début de la deuxième guerre mondiale et le début de la cinquième République, avons vécu une telle succession d’évolutions économiques, géostratégiques, technologiques, sociétales … que j’ai l’impression que nous avons parfois le tournis.

Non pas pour nous trouver des excuses, mais pour que nous resituions bien de quoi je parle, rappelons-nous juste quelques faits.

Quand je suis né, HITLER avait encore neuf mois à vivre et, pour l’abattre, des milliers d’hommes, venus principalement d’outre-Atlantique, allaient encore mourir. Rares étaient ceux qui savaient vraiment ce qui s’était passé dans les camps d’extermination et cette découverte par l’ensemble des citoyens du monde fut et restera à jamais l’un des pires traumatismes de l’histoire de l’Humanité.

Au moment où on allait fêter mon premier anniversaire, les deux premières bombes atomiques tombèrent sur Hiroshima et Nagasaki.

Le rideau de fer, ainsi que le baptisa Winston CHURCHILL, tomba l’année d’après.

J’accélère, car sinon on en aurait pour plusieurs heures.

Les USA aidèrent l’Europe à se reconstruire grâce au Plan Marshall. Des visionnaires, Robert SCHUMAN, Konrad ADENAUER, Alcide de GASPERI, Paul-Henri SPAAK … largement inspirés par Jean MONNET, jetèrent les bases d’une nouvelle Europe.

Le caractère intolérable du colonialisme, souleva l’Indochine, l’Inde, l’Indonésie puis, plus tard le Maghreb et surtout l’Algérie, où l’interpénétration de deux peuples était allée le plus loin, sans effacer pour autant le fondement inacceptable de la domination coloniale.

L’Europe se bâtit progressivement, s’élargissant de proche en proche à partir du cercle initial des six pays fondateurs et, peu à peu, elle y perdit son caractère d’acte de foi en un avenir pour devenir un conseil d’administration de multinationale gérant des succursales nationales.

Le mur de Berlin, qui nous avait valu un pathétique « Ich bin ein berliner », tomba lorsque le monde soviétique disparut dans le naufrage économique que tout le monde prévoyait depuis l’époque où KHROUTCHEV avait visité les USA sans pouvoir camoufler ses étonnements.

Dès lors certains crurent que la nouvelle religion s’appelait « Le Libéralisme », qui servirait désormais à la fois de boussole et de dogme, auquel il n’était plus permis de toucher sans être taxé d’incompétence ou même de débilité mentale.

La Chine eut la subtilité diabolique de garder un système politique communiste, mais d’importer les méthodes économiques de l’ultra-libéralisme grâce auxquelles, en trichant sans aucun complexe, elle a su devenir « l’usine du monde », le détenteur des plus grosses réserves monétaires et, d’ici peu, la première puissance économique. Sa population n’a, pour l’instant, guère profité de ces performances … mais les dirigeants testent pour eux les délices d’une consommation des produits de luxe. Les travailleurs auront leur tour … n’en doutons pas, et ils commencent à bouger.

Dans le domaine de la technologie, rappelons-nous juste quelques faits très simples.

Au début de la période que je viens de rappeler, il n’y avait pas l’ordinateur, ni le téléphone mobile, ni les fusées, ni les avions à réaction, ni le laser … ni tant d’autres choses que j’arrête de les citer.

On ne savait pas greffer un rein (La première greffe eut lieu en 1952 et j’en ai le souvenir), ni évidemment un cœur ou une main. Le cancer était systématiquement une maladie mortelle.

En France on condamnait à mort et la guillotine opérait encore plusieurs fois par an jusqu’aux années soixante. La contraception n’existait pas et l’interruption de grossesse était un crime sévèrement réprimé. L’homosexualité était une anomalie et en 1960 une Loi la plaça comme « fléau social ».

Mais ce monde rétrograde que je viens d’énoncer, peut-être surtout pour les plus jeunes et, en particulier, mes enfants neveux et nièces et petits-enfants, était aussi celui qui n’avait pas un respect religieux de l’argent, de la possession, du luxe … de ce qu’on a vu atteindre des sommets sous l’ère SARKOZY avec ce qu’on a appelé le « bling-bling ».

Un fonctionnaire, c’était quasiment un moine-laïc dont il était tout à fait inimaginable qu’il puisse répondre à une sollicitation de corruption. C’est l’époque où le Président René COTY allait poster lui-même son courrier personnel en payant les timbres avec son argent.

L’Entreprise n’était pas méprisée, loin de là, mais elle ne pouvait pas agir à rebours de l’intérêt public et l’on ne connaissait presque aucun cas de « pantouflage » qui ne pouvait être qu’un signe de déchéance sociale pour la haute fonction publique.

Qu’avons-nous fait de tout ça ?

Même si nous sommes incontestablement fragilisés par une crise découlant d’une économie que plus personne ne maîtrise, nous n’avons, globalement, jamais été aussi riches. Mais, depuis plusieurs décennies maintenant, nous avons de nouveau laissé les riches devenir de plus en plus riches et des pauvres s’enfoncer dans les difficultés et même la misère. Avec environ dix pour cent des Français au-dessous du seuil de pauvreté (De huit à quatorze selon les façons de compter) et avec une forte tendance à la hausse, notre devise nationale en prend un sacré coup en matière d’égalité et de fraternité.

Nous avons, surtout, totalement dévalorisé tout ce qui est associé à l’intérêt général considéré comme l’expression d’une ringardise complète au moment où un grand connaisseur des ressorts comportementaux de notre pays a pu dire que : « Ne pas avoir une Rollex à cinquante ans, c’est le signe d’une vie ratée ».

Listez comme moi, en vrac et en inventaire à la Prévert … encore un ringard celui-là …  les signes de ce recul des valeurs collectives : beaucoup de gens considèrent qu’être enseignant ça n’est plus être passionné par le fait de transmettre un savoir aux enfants … c’est vouloir disposer de longues et multiples vacances; penser nationaliser une entreprise d’importance stratégique, c’est tout simplement « scandaleux » d’après la Présidente du MEDEF; être soupçonné d’avoir fraudé le fisc, pour un Ministre du Budget, ça n’ébranle nullement la position du Ministre en question qui n’envisage absolument pas de défendre « son honneur » en démissionnant pour permettre la découverte de la vérité (Qu’on est loin d’un autre Ministre socialiste, Roger SALENGRO, qui, accusé à tort de lâcheté pendant la guerre, … se suicida); les colonies de vacances sans grand moyens autres que l’apprentissage de la vie en groupe ont cédé la place à des sortes de Club-Méd pour enfants friqués où envoyer les plus modestes ne peut se faire que si les CAF et les CCAS payent (Dans mon village de Haute-Ardèche subsiste, mais pour combien de temps, la première colonie de vacances créée en France … et les activités sont encore essentiellement fondées sur la force des jeunes mollets pour parcourir le pays à bicyclette … avec ou sans Paulette).

Pouvons-nous réagir, ou devons-nous penser qu’un monde nouveau est apparu où les valeurs fondamentales seront différentes ?

Par tempérament, étant facilement accessible à de nouvelles façons de penser, je serais tenté d’opter pour l’acceptation du changement du système de valeurs.

Le seul problème c’est que ce système matérialiste, hédoniste et égoïste est en crise profonde et qu’il lui est bien impossible de se présenter comme un modèle et un phare éclairant la route à prendre.

Nos dirigeants semblent plus paniqués par les difficultés que sûrs d’eux. On ironise fréquemment sur les flottements de François HOLLANDE et de son équipe. C’est bien naturel tellement ils n’arrivent même pas à créer l’illusion de savoir où ils vont. Mais Nicolas SARKOZY était bien pire encore. Il créait l’illusion mais uniquement comme un  prestidigitateur qui enchaîne aussi vite que possible les numéros pour étourdir ses spectateurs. Barack OBAMA a été réélu, certes, et il a évité le grand clash du 31 décembre … mais il sera devant le même obstacle d’ici quelques semaines et il ne semble avoir aucune solution à opposer aux ultras. L’Union Européenne navigue comme un bateau ivre où des capitaines déboussolés se succèdent tous les six mois à une barre qui n’est pas même reliée à un semblant de gouvernail. La Russie a renié soixante dix ans de collectivisme, pour se jeter dans les bras d’un libéralisme de type mafieux avec, à la tête, un ancien du KGB qui a juste acquis le sens de ses intérêts personnels. Le monde Arabe est entré dans un tourbillon de soubresauts où l’on ne voit pas comment les forces victorieuses ne seraient pas les plus rétrogrades à court et moyen terme. Après s’être imposée si vite comme puissance dominante, la Chine commence à rencontrer des tensions internes considérables qui risquent de vite remettre en cause à la fois sa toute fraîche suprématie économique et son système politique. L’Inde, la plus grande démocratie au monde, se débat dans des archaïsmes sociétaux qui rejettent dans l’ombre ses succès économiques.

Panorama inquiétant.

Une seule réponse possible dans ces conditions : recréer une morale publique pour nous-mêmes, bien sûr, mais à proposer aux autres qui, comme nous, ont perdu leurs repères … en commençant par les Européens. Vision utopique ? Certainement … mais que nous propose-t-on d’autre ?

Cette morale publique mérite et nécessite un vaste mouvement des idées, une soif de rénovation, pourquoi pas une véritable quête d’air pur … pour nous dégager des miasmes minables que nous respirons ces derniers temps.

 Jean-Paul Bourgès 5 janvier 2013

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