Les scientifiques donnent des chiffres très variables du nombre d’espèces qui vivent sur notre belle planète bleue, mais des estimations le situent aux environs de dix millions, dont huit millions pour les seuls insectes.
On en découvre d’ailleurs presque chaque jour de nouvelles. Certes, il ne semble plus beaucoup exister d’espèces inconnues de grosses bêtes comme l’okapi, qui ne fut découvert dans la forêt congolaise qu’en 1901, mais, en ce qui concerne les insectes, on est très loin de les avoir tous répertoriés.
L’Homme a, à son actif … ou, plutôt, à son passif, la disparition de quelques animaux bien emblématiques. Pensons à l’auroch, que l’homme de Néandertal chassait en Europe et dont le dernier individu fut tué en Pologne en 1627. Mais nous pouvons aussi nous rappeler le dodo, cette sorte de gros pigeon de plus de dix kilos, dont on ne découvrit l’existence qu’en 1598 sur l’Ile Maurice, et qui s’éteignit environ trois quart de siècle plus tard du fait des animaux importés sur l’île et de la chasse opérée par l’Homme. Quant au panda, qui est devenu le symbole du WWF, il a bien failli disparaître des forêts de bambous de Chine, avant de devenir un instrument d’exportation diplomatique pour le gouvernement chinois.
Mais, en dehors de mon amour de la nature qui, lorsque j’avais quatre ans me conduisait à creuser le mur de la maison pour permettre à une araignée d’y faire un nid bien abrité, qu’est-ce qui m’amène à ces banales considérations zoologiques connues de tous ? C’est le constat, fort inquiétant, qu’une espèce est en voie de disparition accélérée sous nos yeux médusés et comme anesthésiés.
Cette espèce en voie de disparition, un peu partout à la surface de la Terre, c’est « l’Homme modéré ».
Il me semble, parfois, qu’aujourd’hui Jean de LA FONTAINE ne pourrait plus écrire la morale de la fable « Le lion et le rat » : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », sans courir quelque risque personnel venant de ceux qui voudraient une ferme condamnation du lion ou un rejet du rat à l'hypocrite fausse modestie..
Ecoutez les discours politiques, de gauche comme de droite, et vous verrez que la modération n’y a plus droit de cité. Pire, s’exprimer avec mesure et sans manier l’invective et l’excommunication, c’est suspect car seuls ceux qui ont quelque chose à cacher parleraient désormais comme cela. Je regrette le flottement politique de François HOLLANDE, mais, dans le profond désamour qui le touche, son refus de la violence verbale ne joue-t-elle pas un grand rôle ? En tout cas, elle ne lui permet guère de freiner sa dégringolade dans l’opinion.
Les manifestations contre le « mariage pour tous » ont été et continuent d’être d’une outrance rarement vue dans notre pays, en dehors des heures sombres des guerres de religion du XVIème siècle, où l’appel au meurtre était un must auquel tout homme public devait se livrer … pour survivre.
La France actuelle n’est, hélas, pas une exception où une phase de violence hystérique se serait emparée d’un peuple à bout de nerfs. Autour de nous on observe des signes similaires. C’est l’Italie où, comme toute la presse l’a relevé, la nomination d’une femme noire, Cécile KYENGÉ, comme Ministre de l’Intégration, provoque une avalanche de propos racistes d’inconnus sur la blogosphère, mais aussi de la part d’élus « bien comme il faut ». C’est l’Allemagne, où s’ouvre le procès de la survivante de ce groupe néo-nazi dont les membres commirent un grand nombre de meurtres xénophobes et dont on s’étonne de la longue impunité.
Ce sont tous ces pays, comme le Bangladesh que nous exploitons à outrance, et où l’islamisme veut imposer des lois prévoyant la peine de mort pour ceux qui « blasphèment » … ce qui se limite, souvent, à ne pas partager leurs convictions.
Partout on assiste à des formes de radicalisation qui font froid dans le dos, et la lecture des commentaires des membres du Club-Médiapart entre, hélas, dans ce redoutable constat. Les gens sont-ils si peu sûrs de ce qu’ils pensent, que seule l’outrance leur paraît convaincante ?
On attribue à André MALRAUX la fameuse phrase : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Il semble qu’il avait vu juste, hélas. Oui, je dis « hélas », non parce que je trouve condamnable d’avoir des convictions religieuses, mais parce qu’elles servent, trop souvent, de costume de camouflage à toutes les outrances et au refus de l’autre. Quand une conviction religieuse semble s’installer « au milieu » c’est d’ailleurs pour en chasser les autres et ce milieu devient alors vite un extrémisme.
Une nouvelle espèce est presque éteinte … pourra-t-on la sauver, comme le panda ? Espérons-le.
Jean-Paul Bourgès 7 mai 2013