… par n’importe quelle face
Toute la construction européenne a été faite de ces sommets qui avaient peu de chance de se terminer sur un accord et qui, pourtant, se concluaient toujours positivement aux petites heures de la matinée et en ayant «arrêté les pendules». A cette époque la volonté d’aboutir et de «sortir par le haut» l’emportaient sur toute autre considération relevant de la défense raisonnable des intérêts nationaux.
A l’heure où j’écris ce billet, le sommet de Bruxelles vient, enfin, de commencer et il faut prévoir une nuit complète de discussion. Décider l’orientation budgétaire d’ici 2020 n’est pas un sujet subalterne, mais imaginer que c’est d’une discussion entre chefs d’Etats et de Gouvernements que dépend l’avenir, n’est-ce pas déjà marquer le caractère non démocratique de notre fonctionnement ?
Mon propos n’a, du coup, pas besoin d’en connaître l’issue pour réfléchir à ce comportement aberrant.
Celui que j’appelle « le pitre de Londres » est arrivé, as usual, en roulant les mécaniques tout content qu’il est de l’effet bénéfique de sa politique sur le Royaume Uni. Si cette réussite est traduite, comme je l’évoquais dans mon billet du 31 janvier, par l’exclusion de ceux qui n’ont pas quinze mille euros sur leur compte bancaire lorsqu’ils ont payé leurs frais de scolarité à Oxford, nous n’avons pas tous envie de cette réussite là.
François HOLLANDE est arrivé en disant tout ce qu’il n’acceptera pas, mais qu’il gobera probablement. Angela MERKEL faisait une drôle de mine … mais nous y sommes habitués. Mario MONTI veut, surtout, qu’on ne fournisse pas d’armes à Silvio BERLUSCONI qui monte dans les sondages en Italie etc …
De nombreux conciliabules bilatéraux auront précédé la séance plénière, au point qu’il a fallu, plusieurs fois, retarder son début pour attendre la fin de ces préliminaires qui n’avaient rien d’amoureux.
Rien de tout ceci ne ressemble à l’élaboration d’un consensus autour d’une volonté générale et partagée. Nous sommes plutôt en face d’un marchandage assez piteux entre des marchands de tapis qui troquent dix kilims élimés contre vingt sept chameaux fort épuisés par la traversée préalable du désert.
Dans cette approche de boutiquiers rien n’exprime une vision politique, rien, surtout, ne traduit plus un choix historique unanime d’une Europe unie.
Je n’ai aucune raison, ni aucune légitimité, pour dire qu’en conduisant de cette façon la recherche d’un accord les dirigeants européens ne pensent pas à l’avenir de notre continent et à la nécessité d’offrir un emploi à chacun. Mais quand on sait que le budget communautaire ne représente qu’environ un pour cent de la richesse de l’Union européenne et que l’on discute au pour cent près, soit un dix millième de cette richesse globale, on retrouve cette passion du petit bout de la lorgnette qui voit un Conseil Municipal expédier en quelques minutes les principales lignes budgétaires, puis se lancer dans des débats passionnés à propos de quelques queues de cerises.
En tout cas le terme de « sommet » me fait penser à la montagne et à la conquête des cimes des massifs montagneux, où, souvent, gravir une « face nord » symbolise un exploit.
La perte de repères en Europe, avec la réduction de nos ambitions à des arbitrages budgétaires où ce qui compte c’est de savoir si l’on a obtenu plus de concessions que de sacrifices, me donne le sentiment que nous sommes en train de gravir péniblement « une face mort » sans espoir de déboucher après une difficile ascension sur un paysage à couper le souffle.
Ne devrions-nous pas changer la composition de la cordée avant de dévisser tous ensemble ?
Autrement dit, ne serait-il pas plus raisonnable que ceux qui ne veulent plus grimper, soient reconduits vers le refuge avant d’entraîner le reste de la cordée dans l’abîme ?
Jean-Paul Bourgès 8 février 2013