L’un de mes gendres, John, étant Anglo-Birman né à Mandalay, je m’intéresse plus à ce pays que la moyenne des Français, d’autant que le père de John, un médecin, fut victime du régime militaire qui le fit passer par la case prison pour ne pas avoir réussi à sauver la fille de l’un des dirigeants, qu’une voiture avait renversée sous ses yeux à Rangoun.
Je suis, bien sûr, fort heureux de la victoire électorale de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), que dirige Aung San Suu Kyi. Cette fille d’un des héros de l’indépendance de la Birmanie, le général Aung San, qui avait négocié l’indépendance de son pays en 1947, mais ne la vécut pas puisqu’il fut assassiné six mois avant sa proclamation, est, depuis de nombreuses années, l’âme de la résistance démocratique à la dictature militaire.
Elle est l’illustration la plus actuelle de ce que peut le courage et l’obstination pacifique en face des régimes les plus stupidement brutaux. Elle poursuit cette longue tradition asiatique de la non-violence, qui comprend GANDHI et le Dalaï Lama.
Mais, car il y a un mais, elle ne va pas disposer de beaucoup de temps pour que, sous son autorité, cesse le génocide des Rohingyas. Cette minorité musulmane est discriminée, chassée de chez elle, massacrée par les Bouddhistes dans le nord-ouest de la Birmanie.
Or la Birmanie est une mosaïque de cent-trente-cinq ethnies parlant une centaine de langues. On y trouve des animistes, des Musulmans et principalement des Bouddhistes.
La répression des Rohingyas musulmans est une de ces atrocités que le reste du monde feint d’ignorer, mais qui se traduit par des naufrages mortels de barcasses surchargées de réfugiés dans le golfe du Bengale, exactement comme ce qui se passe près de Lampedusa ou entre la Turquie et la Grèce.
La véritable dimension humaine et politique d’Aung San Suu Kyi, sera donc très vite mise à l’épreuve dans la façon dont elle abordera ce sujet essentiel.
Si, sous des prétextes divers, elle n’arrive pas … ou pire, si elle ne souhaite pas … faire cesser cette honte, elle rejoindra la cohorte de tous ceux qui gagnèrent des élections parce que ceux qu’ils vainquirent avaient fini leur temps, mais ne firent que chausser les bottes que les vaincus avaient dû abandonner.
Son silence sur le sujet, depuis des mois, suggère qu’elle ne voulait pas gâcher sa chance en prenant la majorité des Birmans à rebrousse-poil. Saura-t-elle dépasser ce stade tactique ?
Si elle ne le fait pas très rapidement … elle perdra l’honneur, puis inévitablement, le pouvoir car nul ne résiste à son propre abaissement moral.
Jean-Paul BOURGÈS 10 novembre 2015