Et si l’on tournait enfin vraiment la page ?
J’ai toujours été un homme de nuance, peu prompt aux emballements partisans. En mai 68, déjà ingénieur, mais étudiant à Sciences-Po et pion au Lycée International de Saint Germain-en-Laye pour des raisons alimentaires, j’avais eu du mal à comprendre la justification d’un mouvement de révolte qui en enthousiasmait beaucoup d’autres … souvent plus jeunes que moi d’environ cinq ans.
Il faut se rappeler que « mai 68 » est né à Nanterre du « mouvement du 22 mars » qui s’opposait à la guerre du Vietnam et d’une revendication locale des garçons de la cité universitaire qui voulaient pouvoir se rendre dans les dortoirs des filles et réciproquement.
Fréquentant aussi la fac de Nanterre à cette époque, bien souvent pour y retrouver des amies autant que pour écouter certains cours de droit, et bien que passablement coincé comme nous l’étions presque tous alors, je comprenais le deuxième motif … mais, respectant DE GAULLE d’avoir fait la paix en Algérie et d’avoir prononcé l’historique discours de Phnom-Penh, je ne partageais pas l’attaque contre DE GAULLE alors que la critique ne s’adressait qu’à Lyndon JOHNSON.
C’est dire si, même à l’âge où l’on est facilement extrémiste, j’ai toujours été peu porté aux excès. Les présidents de droite ont cédé la place à François MITTERRAND, puis Jacques CHIRAC lui a succédé et tout ceci m’a laissé de marbre, tout en approuvant telle décision ou désapprouvant calmement telle autre. Il a fallu que l’Elysée soit occupé par Nicolas SARKOZY (Je n’avais pas voté pour lui) pour que, bien vite, je devienne un opposant résolu … voire, de plus en plus vers la fin, un enragé.
Il faut dire que j’avais été éduqué, chez moi comme par mes maîtres, dans une ambiance marquée par le service de l’Etat, le désintéressement et le respect des principes républicains. Voir un guignol accéder à la présidence de la République avait été difficile, mais m’avait d’abord semblé du même ordre de lente descente que lorsqu’un humoriste avait dit, en 1974 : « DE GAULLE avait eu André MALRAUX comme Ministre de la culture, Georges POMPIDOU a fait appel à Maurice DRUON, GISCARD va sûrement désigner Guy DES CARS ».
Hélas, il est bien vite apparu, que seul le veau d’or gouvernait désormais et que ne pas avoir une Rolex à cinquante ans disqualifiait un homme. La République s’éloignait à grands pas.
Il restait cependant à vivre l’infamie que fut le fait de ressusciter les idées directement issues de « l’Etat Français » et copier le Front National qui s’est toujours complu dans le souvenir de ces caves immondes où le Lieutenant LE PEN pratiqua sans scrupule la torture pendant la guerre d’Algérie.
J’ai eu, parfois, l’impression de devenir dingue, d’être dépossédé de ce qui m’a fait, d’être nié dans ce qui m’est le plus cher.
Il faut encore que je me pince, certains jours, pour me persuader que c’est fini. Oui, c’est fini, nous allons retrouver des rapports normaux entre nous tous … et il nous faudra une foi républicaine bien costaude pour affronter une situation difficile en étant vraiment sourds aux perverses sirènes du malheur.
Nous avons désormais un « Président normal », qui s’attaque normalement aux problèmes qu’il a reçu normalement mandat de résoudre … et j’aspire à redevenir, moi aussi, un « citoyen normal ».
Tournons la page et regardons l’avenir avec confiance … à nous de le bâtir collectivement, nous n’avons perdu que cinq ans. Mais, comme lorsqu’on se réveille d’un long coma, ça demande un véritable effort, qu’il faut faire pour notre équilibre et par respect pour les plus jeunes qui n’ont pas à souffrir de ces cinq années de décadence morale.
Jean-Paul Bourgès 22 mai 2012