Un génial motodidacte !
Je me suis plusieurs fois étonné de voir à quel point nous sommes, collectivement, incapables de tourner définitivement et sereinement les pages de notre Histoire. Quel drôle de peuple nous faisons en vibrant encore à la bataille de Gergovie; en parcourant avec un air farouche les champs catalauniques; en franchissant le col de Roncevaux environné d’ennemis tout en soufflant dans l’olifant que GANELON persuade CHARLEMAGNE de ne pas écouter; en rendant la justice sous un chêne à Vincennes; en brûlant à Rouen sur la Place du Vieux Marché; en remportant la bataille de Marignan et en perdant tout, sauf l’honneur, à Pavie. Qui d’entre nous n’a-t-il pas pensé « Messieurs les Anglais, tirez les premiers » ? eu la tête coupée comme DANTON ? vu le soleil se lever dans la brume à Austerlitz ? dit « merde » aux Anglais ? prononcé « J’accuse » comme ZOLA ? ou « La France a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre » ? (De cela il n’existe aucun texte certain … sauf une écoute Suisse de la radio-anglaise) … et lâché : « Je vous ai compris » avant de montrer que l’inéluctabilité de l’indépendance de l’Algérie était ce qu’avait compris Charles DE GAULLE ?
L’Histoire est bien une passion française et, comme pour toute passion, nous l’enjolivons, nous nous brouillons avec elle et nous rabibochons au gré de nos passions contradictoires. Souvent à notre maîtresse nous revenons, après avoir cru sincèrement que nous avions tellement changé que, désormais, c’est à l’économie, à la technologie … ou à la musique sérielle que nos élans nous porteraient.
S’il est un domaine où nous poussons cette tendance au paroxysme, c’est bien lorsqu’il s’agit de l’Algérie à l’occasion de laquelle nous devenons d’une indigence intellectuelle rare.
J’avais une profonde affection et un immense respect pour mon père, dont je dis souvent que c’est probablement l’homme le plus intègre qu’il m’ait été donné de rencontrer. Mais, en raison de nos divergences sur l’Algérie, au cours de la période 1958 - 1962 (Avant 1958 j’étais un peu trop jeune … même si je m’efforçais déjà de comprendre ce qui était en jeu), nous avons failli en venir aux mains. Papa, né à Alger, colonel, mais fidèle au Gouvernement par devoir, était un inconditionnel de « l’Algérie Française ». Je n’admettais pas que la loi du plus grand nombre, principe démocratique de base, ne s’applique pas à ceux qui habitaient en Algérie … comme le Général DE GAULLE le proclama lors de son discours du 16 septembre 1959 prévoyant l’autodétermination. Autant dire que l’ambiance était chaude à la maison.
Mais nous sommes un demi-siècle plus tard. Presque tous les protagonistes directs sont morts. Comment des personnes de ma génération n’arrivent-elles pas à tourner la page, comme a été tournée celle de l’antagonisme franco-allemand ? Laissons à Clio le souci de nous accompagner dans nos recherches historiques du comment et du pourquoi. Ce qui nous appelle c’est aujourd’hui, c’est demain et je suis navré de voir que le traité Franco-Algérien d’amitié replonge encore une fois dans l’oubli, malgré le prochain voyage de François HOLLANDE en Algérie, au moment où les plaies mal fermées se rouvrent de plus en plus fréquemment et suppurent pour le plus grand plaisir des démagogues.
Alors que dire de l’ahurissement que j’ai ressenti lorsqu’un ancien Ministre de SARKOZY, qui n’avait que sept ans lors de l’indépendance de l’Algérie, s’est exclamé récemment : « Vive l’Algérie Française ! ». On me l’avait toujours présenté comme un motodidacte. Je fais amende honorable, c’était un surdoué, un enfant précoce, que dis-je un génie, qui, à sept ans, avait une pensée plus puissante que celle du Général DE GAULLE dont il est, pourtant, censé perpétuer l’action. Les Niçois ont bien de la chance d’avoir un tel édile !
Jean-Paul Bourgès 24 octobre 2012