Tremblez … Messieurs les experts du tremblement !
La « justice italienne » vient de nous faire progresser bien étrangement en condamnant à six ans de prison ferme les experts qui n’avaient pas prévu le tremblement de terre de L’Aquila et les ravages qu’il causerait.
Normalement la caractéristique de trois experts, en n’importe quelle discipline et de tous temps, c’est d’être en désaccord et donc d’avoir trois avis différents. S’ils sont d’accord entre eux, c’est que ce ne sont pas des experts ou que l’on n’a pas besoin d’expert sur la question. S’il s’agit d’experts en sismologie, il faut par conséquent prévoir que l’un dira « La terre va trembler ici », qu’un autre dira « Mais non elle tremblera là », tandis que le troisième, se grattant l’occiput, énoncera avec un air profond : « Peut-être ici ou là … à moins que ce soit ailleurs ou nulle part… et, d’ailleurs, je ne sais quand ». A vrai dire, seul le troisième, malgré l’apparence, est probablement un véritable expert.
La nécessité, pour les experts, de se prémunir à l’avenir, non contre les tremblements de terre, mais contre les tremblements humains, me fait me souvenir d’un comportement de protection utilisé dans le monde médical de longue date. Bien avant que le recours aux échographies nous ait habitués à connaître le sexe d’un enfant très vite après sa conception, on racontait que le médecin prudent disait à une femme enceinte : « Je crois que vous êtes enceinte d’un garçon » et notait dans son agenda à la date de son propos « Madame Truc, une fille ». Une fois la naissance arrivée, si c’était un garçon, la maman disait : « Oh, vous me l’aviez dit, Docteur !». Si elle avait accouché d’une fille, la maman disait : « Docteur, vous m’aviez dit que j’attendais un garçon … et vous voyez, c’est une fille ». Le médecin sortait alors son calepin et disait : « Mais non, vous vous souvenez mal, regardez à la date où je vous l’ai dit, j’avais bien noté que ça serait une fille ».
S’inspirant de cette duplicité du vieux Docteur de famille, les experts prévoiront, désormais systématiquement le pire … puisqu’on ne leur cherchera jamais des poux dans la tête si le pire n’arrive pas … tandis qu’on les enverrait en prison s’ils ne l’avaient pas prévu.
Il existe une autre façon de prévoir le mieux sans rien craindre, au cas où le pire adviendrait. Il suffit d’être un homme politique. Au-delà des immunités parlementaires ou, mieux, présidentielle qui les protègent, on ne peut imaginer que l’on puisse reprocher à un homme politique d’avoir vendu du vent et du rêve … puisqu’il s’agit du cœur même du métier … et, de toutes façons, ça n’est pas de sa faute … mais celle des autres.
Oh, Messieurs les experts, sachez donc devenir des hommes politiques au moment où vos propos commencent à être pris au sérieux … sauf si vous aspirez à ce rôle délicieusement masochiste qu’est le martyre. En tout cas, dorénavant vous tremblerez, plus que la terre ne l’a jamais fait.
Ah, vraiment, les Juges ultramontains nous ont fait faire un bond en avant … mais c’est sur le chemin de l’irresponsabilité érigée en art majeur.
Jean-Paul Bourgès 27 octobre 2012