… le sens des maux
Médiapart traite ce jour la question du sort des intouchables.
J’ai, évidemment, pensé que nous allions lire une enquête sur l’Inde et le système de ses castes, ou que le duo François CLUZET – Omar SY poursuivait la promo du film de 2011.
Il n’en était rien et, en partant de l'arrivée d'Anne LAUVERGEON à EADS, l'article n'aborde que l’amusante partie de chaises musicales à laquelle se livre le gratin de nos « Grandes Ecoles » qui confisque autant l’exercice du pouvoir économique qu’autrefois les mandarins de la Chine impériale.
Moi qui suis de la génération de la plupart de ces soixantenaires qui se partagent et se réservent les postes de ces Entreprises autrefois publiques, je suis effaré par leur âge. Pour conduire de grandes entreprises en ayant le goût et le sens de l’innovation, ne faudrait-il pas avoir une vingtaine d’années de moins que tous ces braves gens parmi lesquels Anne LAUVERGEON fait figure de gamine (Avec ses cinquante trois ans, elle apparaît comme une exception par l’âge si ce n’est par le cursus) ? Notons, par ailleurs, que pas un seul d’entre eux n’est associé à une grande réussite industrielle, à l’exception de Louis GALLOIS lorsqu’il passa quelques années dans le domaine aéronautique et spatial, il y a presque vingt ans.
Ce dernier cacique, rendit récemment un rapport fort attendu sur la compétitivité de l’industrie française. Il y pointa beaucoup de dysfonctionnements, prouvant ainsi, une fois de plus, qu’HEC et l’ENA fabriquent de fort belles plumes. Ce rapport comprenait vingt deux propositions. Aucune d’entre elles ne se rapportait à l’existence de cette caste se cooptant avec une extraordinaire polyvalence de l’automobile, à la finance, en passant par l’aéronautique, le chemin de fer, le nucléaire ou les télécommunications.
Pourtant, si l’on admet un court instant que les rémunérations de ces dirigeants ne sont pas choquantes, c’est que la présence de chacun d’eux est un atout d’une valeur exceptionnelle à la tête de ces grands groupes et, qu’inversement, la difficulté de ces mêmes groupes découle sûrement un peu de l’incompétence de leurs dirigeants. Malgré ce raisonnement particulièrement basique, je l’avoue, le rapport de Louis GALLOIS ne comporte pas même une interrogation sur le lien entre compétitivité et compétence des dirigeants. Il est vrai qu’un individu normal ne se tire pas lui-même une balle dans le pied !
Le vieillissement et le déclin de la France s’explique sûrement aussi en partie par le vieillissement et le rétrécissement de ses élites dirigeantes ainsi que par la pollution réciproque de la haute fonction publique par des raisonnements inspirés du marché et par des acteurs sur le marché provenant de la haute fonction publique et continuant de fonctionner comme si ils y étaient encore. Et qu’on ne s’y méprenne pas, j’ai le plus grand respect pour la fonction publique, lorsqu’elle reste elle-même, mais je redoute le mélange des genres.
Alors, d’accord pour dénommer « intouchables » ces hauts fonctionnaires qui trustent les postes dirigeants de nos entreprises. Mais en décodant ce que cette situation entraîne et en expliquant en quoi cette exception française nous plombe plus que les « 35 heures » ou le « modèle social français », on se rapprochera peut-être d’une réelle compréhension du sens des maux.
Jean-Paul Bourgès 29 janvier 2013