S’il avait uniquement perçu dix centimes d’euro par an pour chacun des articles fabriqués selon ses plans et vendus partout dans le monde depuis soixante cinq ans, il aurait touché une somme de l’ordre de deux cent vingt millions de roubles chaque année.
Je vais, en effet, parler d’un Russe tellement célèbre que ça n’est pas toujours par son nom complet qu’on l’a souvent évoqué, mais par un affectueux diminutif devenu un nom commun : une kalach !
Mikhaïl Timofeïevitch KALACHNIKOF vient de mourir à quatre vingt quatorze ans, en ayant vécu fort modestement de sa solde d’officier et sans avoir jamais touché un kopeck sur la fabrication des cent millions d’AK-47 qui sortirent de l’usine qu’il avait dirigée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aux Etats-Unis, Oliver Fischer WINCHESTER, avait fait fortune après avoir sorti sa fameuse carabine.
Ne vous imaginez surtout pas que j’ai viré ma cuti et que me voici soudain devenu un amateur d’armes et du militarisme.
Mais je suis frappé par le contraste existant entre tous ces individus corrompus et corrupteurs, qui dominent actuellement la Russie et qui se sont partagé, telles des hyènes, les dépouilles de l’ex-URSS, et cet homme, qui fit son métier sans en retirer autre chose que le sentiment d’avoir fait son devoir. Il avait d’ailleurs écrit à Vladimir Vladimirovitch POUTINE, il y a quatorze mois, pour dénoncer la mauvaise gestion de l’usine produisant « ses » fusils et protester contre les salaires insuffisants versés aux ouvriers très qualifiés qui y travaillent.
A défaut d’être bien traité par les autorités de son pays, il aurait, d’ailleurs, dû bénéficier d’une rente constituée par tous les gangsters du monde qui se sont, depuis longtemps, convertis à « la kalach » pour commettre leurs méfaits. Et, comme chacun sait, dans le milieu il y a un code d’honneur, qui conduit ses membres à savoir rendre un hommage appuyé à ceux qui leur ont fourni les moyens dont ils avaient besoin.
De ce côté-là, également, ce fut : quedal ! Les traditions se perdent.
Le nouveau Tsar, Vladimir Vladimirovitch POUTINE, a cependant décidé que Mikhaïl Timofeïevitch KALACHNIKOF aura des obsèques solennelles, sous sa présidence effective, en présence de tous les hauts dirigeants, avec escorte militaire et orchestre. Avant lui, seul un ancien combattant inconnu de la seconde guerre mondiale avait été inhumé dans ce mémorial militaire, qui vient juste d’être créé à proximité de Moscou.
La question que je me pose est juste la suivante : à quoi les autorités russes s’apprêtent-elles à rendre cet hommage ? Au concepteur d’une arme de guerre qui eut un immense succès ? ou à un des derniers hommes désintéressés qui existait encore dans ce pays désormais rongé par une corruption dont l’hôte du Kremlin n’est que le chef de bande ?
Jean-Paul Bourgès 29 décembre 2013