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Billet de blog 13 mai 2015

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A propos de Tertullien et du traité sur les spectacles : le plongeon de haut vol est-il soutenable ?

Dimanche 17 mai aura lieu à La Rochelle, une manifestation exceptionnelle, les plongeons de haut vol depuis une tour qui surplombe le port. Cet événement est assez symbolique pour mériter quelques lignes.

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Dimanche 17 mai aura lieu à La Rochelle, une manifestation exceptionnelle, les plongeons de haut vol depuis une tour qui surplombe le port. Cet événement est assez symbolique pour mériter quelques lignes.

Il est difficile de contester l’entraînement exceptionnel, la prise de risque et le talent de ces plongeurs venus de tous les pays. Et il n’est pas surprenant que nous soyons nombreux à regarder ces fous magnifiques, mi-admiration, mi-crainte à chaque envol et à chaque réception.

Cette manifestation a suscité des débats au sein des décideurs dont la presse s’est fait écho. La municipalité avait d’abord suspendu ou supprimé la manifestation, car elle était placée au même moment que les Francofolies et le festival de cinéma ; puis elle s’est ravisée et a trouvé une autre date. Si ce changement n’avait été que technique (la date est conditionnée en heures et en jours, une marée suffisante devant assurer la hauteur d’eau nécessaire), on n’en ferait pas état. Mais on doit mentionner les échanges pour et contre cette manifestation « sportive ? », entre ceux qui défendent un événement qui attire un grand public, d’autres qui s’y opposent en critiquant ce spectacle et ses sponsors, Red Bull boisson énergisante utilisée par de nombreux jeunes dans des moments d’excès et d’alcoolisation. Valeur économique contre santé publique.

On sait que les jeux sont aussi variés que l’ingéniosité humaine. Selon les spécialistes, ils se classent en trois catégories, ceux qui relèvent du hasard, de la compétition et du vertige. On sait aussi qu’ils font le bonheur de tous et pas seulement des enfants : qui n’a pas joué aux jeux de société, participé à une partie de boules, un match de foot ou une régate ! et chacun sait le plaisir particulier de ces moments où tout est suspendu à rien, à un geste et à une victoire : car jouer c’est vouloir gagner. Ainsi le jeu est le propre de l’homme dans beaucoup de société. Chez nous, certains inspirés par le rigorisme et la religion se sont employés à le décrier ou à le circonscrire. On doit citer Pascal (et sa critique du divertissement) et de manière plus institutionnelle l’Eglise et Tertullien qui condamnent le jeu au 2° siècle après JC dans son Traité sur le spectacle. De cette condamnation on trouve encore trace dans le mépris en lequel certains intellectuels tiennent le jeu ou le sport, activité de « beaufs ».

Ces jeux ont occupé des fonctions diverses, les jeux antiques, grecs et romains, sont inséparables de fêtes où la collectivité affrontent ses dissensions, ses peurs et son rapport à l’au delà. Puis le jeu est devenu autonome, certaines de ces activités se sont organisées, des règles sont introduites, des calendriers définis, des fédérations apparaissent, des instructeurs et au sommet de ce mouvement les Jeux Olympiques ! Le « processus de sportivisation » (ce mot que les spécialistes emploient pour résumer ce processus) est vérifié pour de nombreux sports, de la soule au football,  de la lutte aux sports de combats, en passant par les sports de mer. L’Angleterre a joué un grand rôle dans cette modélisation. Dans sa dernière étape ce processus entraîne de plus en plus de compétition, et surtout d’argent et de médiatisation. On le voit bien avec les grands sports que sont le tennis (le circuit professionnel, ses champions et ses millions), le football (ses équipes recrutées aux quatre coins de la planète) ou les sports mécaniques. On discourt régulièrement de l’idéal sportif – l’effort, la gratuité, l’égalité entre les participants et aussi, des dérives bien réelles, professionnalisation et argent, et surtout instrumentalisation du corps jusqu’aux pires dérives des équipes nationales et l’utilisation de produit dopants. Intuitivement on sait bien que le tour de France n’est plus une aimable compétition entre amateurs de vélos, que les jeux olympiques ne sont plus l’incarnation de l’idéal passé, que le tournoi de tennis de R. Garros…. On sait et on éprouve cependant un vrai plaisir à voir ces surhommes, se livrer devant nos yeux, par télévision interposée, à des exploits dont nous sommes incapables. On sait et on regarde cependant depuis notre canapé seul ou en groupe. On est alors à des années-lumière du jeu et du libre exercice du corps en mouvement. Et là gît la vraie opposition entre partisan du jeu – une activité désintéressée, un commencement absolu et un plaisir – et le sport et ses formes actuelles et quelques fois frelatées et simple activité par défaut, spectacle. Et dois-je le confesser j’aime le jeu et j’apprécie modérément ce sport !

Le plongeon fait partie de ces activités naturelles, il suffit d’être au bord de mer sur une côte un peu rocheuse pour voir les adolescents sauter et plonger et rivaliser. Le plongeon fait d’ailleurs partie des disciplines olympiques depuis 1904, avec la natation, la natation synchronisée et le water polo. Mais avec le plongeon de haut vol promu par Red Bull nous sommes très loin du jeu.

Doit-on traiter également le jeu et le sport, toutes les activités « dites sportives », le plongeon de haut vol et son circuit et les activités amateurs ? Est ce que tous les évènements et manifestations qui font marcher le commerce doivent être soutenues et encouragées ? Voulons-nous vraiment plus de sport d’exception, de spectacle et de professionnalisme, plus encore d’instrumentation dans l’usage du corps ?

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