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Billet de blog 21 décembre 2013

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La France a perdu de son humanité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

40 années en France : réflexions d’un ancien réfugié politique.

Réfugié politique chilien, je suis arrivé en France le 15 décembre 1973. Acteur et spectateur des changements produits en France et dans le monde pendant ces 40 années, il me parait important d’apporter ma réflexion, sur l’évolution de ces changements.

I La France a perdu de  son humanité.

Comme toute société devenue plus riche et plus développée, la possession de richesses nouvelles s’accompagne d’un processus progressif vers plus d’individualisme, sous la pulsion des besoins croissants et  la domination de la propriété privée. La possibilité d’accès généralisée aux biens et services nouveaux offertes par les sociétés développées, a permis d’augmenter le bien être de la population dans son ensemble, mais aussi amplifier les inégalités entre nantis et pauvres. Le consumérisme effréné a stimulé le développement, mais a laissé pour compte aussi un grand nombre de citoyens, fondant les bases du fonctionnement du capitalisme néolibéral contemporain : progrès et inégalité.

Les inégalités commencent à se répandre aussi fortement que les progrès du développement. Plus encore, les inégalités sont autant plus importantes, quand les Etats renoncent à une action économique rectificatrice, obnubilés par la domination croissante du discours néolibéral, qui interdit toute action économique à l’Etat.

Selon le discours néolibéral, en cherchant à satisfaire notre intérêt individuel on obtiendrait une amélioration du bien-être général. Ce postulat, est largement contesté par l’évolution de nos sociétés : une large partie de la population est exclue des possibilités nouvelles «de bien-être » offertes par nos civilisations.

Cette forme d’évolution, est à la base de la perte d’humanité de nos sociétés, en particulier de la France : les individus se pensent seulement en individus, cherchant à satisfaire uniquement son intérêt personnel, oubliant qu’ils font partie d’une société que doit aussi satisfaire l’intérêt général, l’intérêt commun de vivre en société.

Petit à petit, au cours du processus de développement, les sociétés perdent partie de leur l’humanité, la vie sociale est réglée majoritairement par la recherche de satisfaction des intérêts individuels, laissant de plus en plus de côté l’intérêt général de la société: le « je » domine la vie sociale au lieu d’encourager le « nous »,

La devise de la France née de la Révolution française: « Liberté, Egalité, Fraternité », exposée pour la première fois par Maximilien Robespierre dans son Discours sur l’organisation des gardes nationales, reste l’un des principes « Lumières » de l’évolution moderne de nos sociétés.

Deux des trois principes clés de la République sont inscrits dans La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : Liberté et Egalité. Le troisième, la Fraternité apparait un peu plus tard le 14 juillet 1790 lors de la fête de la Fédération au Champ de Mars, inscrite sur les drapeaux des fédérés.

La proposition d’intégrer la « fraternité » dans la devise française a été réalisée  par Jean-Baptiste Belley, révolutionnaire français et député noir, représentant le département Nord de la colonie française de Saint Domingue.

L’évolution de la société française lors de ces 40 dernières années, a donné plus d’importance au principe de liberté qu’aux principes d’égalité et de fraternité.

Dans tous les espaces de la vie sociale, le principe de « faire tout ce qui ne nuit pas à autrui» s’est fortement étendu. Il est incontestable qu’aujourd’hui l’on dispose d’une liberté plus importante que celle qu’avaient nos concitoyens dans le passé, avec une seule exception, le domaine économique : un pauvre ne possède pas la même liberté qu’un riche, dans l’accès aux biens offerts par la société.

Comme nous l’avons signalé précédemment, la France s’est pensée plus en « je » qu’en « nous », influencée par cette sorte de pulsion pour certains d’avoir toujours plus, base de l’individualisme grimpant.

Comme conséquence de ce choix, les deux autres principes fondateurs de la France moderne « égalité et fraternité » ont largement souffert de l’évolution individualiste de la société.

Organiser les aspects le plus importants de la vie sociale seulement sur le désir individuel, sur l’appât du gain, sur le mirage de la société de consommation dans laquelle tous les biens apparaissent comme accessibles mais qui en réalité son un leurre pour attraper les gens à la logique du système capitaliste : endettement, sub primes, l’importance donnée aux marchés, imaginés idéalement comme concurrentiels, la domination permise aux marchés financiers, à la finance (considérée plus importante que le marché réel) ont fortement saccadés les bases humaines de la société française,  a détruit en grande partie le  lien social mis en place par le programme du Conseil National de la Résistance et finalement conduit à un processus de déshumanisation de la société entière.

Le discours du Parti Socialiste, n’a pas été épargné de l’influencé du discours néolibéral, mis en place au cours de ces années. Le tournant du plan de rigueur de 1983, sous la Présidence de François Mitterrand, débute une période où la gauche gouvernementale adopte certains aspects du discours néolibéral, pour répondre fondamentalement aux injonctions d’une Europe en construction.  Les gouvernements de Lionel Jospin et la Présidence de François Hollande aujourd’hui, montrent les deux visages du Parti Socialiste : plus contestataire quand il est dans l’opposition et plus enclin aux orientations du néolibéralisme quand il est dans la gestion des affaires.

Cette attitude d’abandon des fondamentaux, de ne pas avoir un discours cohérent quand on est dans l’opposition que quand gouverne le pays, a contribué aussi à la perte d’humanité de la France. L’absence d’un projet fédérateur unissant la majorité des volontés sur un idéal commun, a contribué à précipiter les gens vers des intérêts individuels et les éloignant d’un projet collectif fédérateur, essentiel pour jeter les bases de la construction d’une société plus humaine.

En conséquence, on peut affirmer que la société française de la moitié des années 70, était plus humaine, plus fraternelle et plus solidaire, que la société d’aujourd’hui.

Les réfugiés chiliens arrivés en France à partir de fin 1973, ont été témoins de la solidarité et fraternité qui existait à l’époque : nous avons reçu un accueil qui a dépassé largement nos espérances, inattendu et encourageant pour nos principes de lutte pour une société meilleure.

L’accueil a été organisé par un gouvernement de droite, celui de Georges Pompidou, mise en route par le personnel diplomatique de l’Ambassade de France au Chili en particulier son Ambassadeur Pierre de Menthon (Maire de Choisey - Jura) et son épouse Françoise, des grands citoyens de la France, auxquels nous exprimons toute notre gratitude, mais aussi par une multitude d’organisations religieuses, syndicales, politiques et autres, que témoignaient de l’esprit humain et fraternel qui dominait à ces moment en France.

Toutes ces organisations, ont mis de côté ses différences pour accomplir un acte humain supérieur et en accord avec la devise française de fraternité : accueillir en France des refugiés chiliens pourchassés par la dictature militaire.

Nous profitons de cette tribune, pour exprimer à ce peuple qui nous a accueillis, notre profonde gratitude. Nous gardons dans le plus profond de notre for intérieur, le visage de tous ces gens qui ont hissé haut, la devise et les valeurs de la France.

Mais, 40 années plus tard, nous avons aussi le devoir de dire à la France, à cette France qui qui nous appris aussi à devenir ce que nous sommes, qu’elle a perdu de son humanité et qu’il est urgent de revenir à ses fondamentaux historiques, pour construire une vie meilleure pour tous les citoyens.

Comment lutter contre la progression de l’individualisme que domine dans l’évolution actuelle de nos sociétés?

II Placer l’humain au centre de notre vie sociale.

Nous sommes individus d’une société, d’un pays, d’un continent. Mais nous sommes aussi habitants d’une planète, dont la destinée est commune à tous.

Trois pistes pour l’action, sont à mettre en place dans notre vie de tous les jours, pour installer l’humain au cœur de la vie en société :

a)    Privilégier l’intérêt général, dans les choix de notre vie en société.

C’est en défendant l’intérêt général que chaqu’un de nous pourrait contribuer à défendre une société plus humaine. Si au lieu de se faire leurrer par la publicité, fer de lance de l’idéologie dominante actuelle, on se demandait qui est mieux pour tous et non seulement pour moi, il pourrait se produire un frein à cette tendance sociale qui nous fragmente en individus, pour mieux faire profiter d’autres individus.

L’intérêt individuel n’est pas le même que l’intérêt de la société. L’intérêt de la société est de protéger l’ensemble des individus, en organisant la solidarité. L’intérêt de l’individu est de se protéger lui-même, souvent en concurrence avec les autres.

Si nous privilégions l’intérêt général, nous revenons membres d’une communauté, avec histoire et destinée communes.

b)   Introduire des critères non-marchand dans nos actes habituels.

Nous devons réaliser tous les jours, des actes qui échappent aux critères marchands ceux qui ne demandent pas une contrepartie monétaire.

Quel magnifique geste est celui de donner quelque chose de soi sans rien demander en contrepartie, simplement de se sentir plus humain en réalisant cet acte.

Développer les échanges sans contrepartie monétaire, encourager les institutions que promeuvent la solidarité, faire du bénévolat,  faire vivre les Associations, militer dans les syndicats et les partis politiques que défendent l’humain et qui cherchent à abolir les privilèges, ceux qui se placent toujours à gauche, sont des actes qui vont accroitre le bien-être de vivre en société, se sentir acteurs d’un destin commun et faire reculer le « je » qui domine dans l’évolution idéologique actuelle.

Le « nous », être ensemble dans un projet commun, doit devenir la logique de développement des sociétés contemporaines.

c)    Penser global dans notre action locale.

Cette formule employée pour la première  fois par René DUBOS, lors du premier sommet sur l’environnement en 1972, est à la base du développement durable : « développement qui répond aux besoins d’aujourd’hui sans remettre en question la capacité des générations futures à répondre à ses propres besoins ».

Nous ne pouvons pas vivre aujourd’hui, indifférents à l’état de l’environnement  que nous léguons à nos enfants pour leur futur.

L’action citoyenne au niveau local, doit se faire en correspondance avec la nécessité de laisser aux générations futures, une planète que leur offre les mêmes possibilités de progrès, qu’elle nous permet aujourd’hui.

Jean-Paul (Pablo) VASQUEZ.

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