A 87 ans, Liliane Bettencourt peut se vanter d’avoir accompli un véritable exploit en ce début d‘été: Reléguer au rang des lointains souvenirs, l'échec des bleus lors de la coupe du Monde.
Journaux, Hebdo, quotidiens, magazines, Internet... la nouvelle et dernière tendance estivale s’affiche: La permanente outrageusement laquée du faubourg Saint Honoré donne soudainement un grand coup de vieux à la tondeuse quand l’escarpin Dior lui, fait la nique à Adidas, Nike et consorts.
C’est un fait: Au rayon des icônes médiatiques, et en moins de temps qu’il n’en faut pour se remettre un coup de laque, le visage de la vieille dame a supplanté ceux de nos zéros du foot. On ne voit plus qu’elle, on ne parle plus que d’elle:
Madame Bettencourt est une star.
Mais que cache donc l’affaire Bettencourt dont on nous rabâche tant les oreilles ?
Et surtout, à qui profite-elle le plus?
Dès le départ, reconnaissons-le, cette saga familiale, digne des meilleurs épisodes de «Dynastie», réuni tous les ingrédients indispensables pour subjuguer tant la populace que l’ opportuniste politique: Glamour, argent, pouvoir, gloire, sexe, rancoeurs familiales … Tout y est. Amour, décence, dignité, respect? Il n’en est point question ici, le combat de la pauvre Françoise Bettencourt-Meyers semblant bien plus motivé par l‘aigreur et la cupidité, que le bien être de sa chère génitrice.
Au fil des semaines, les médias ont fait leur beurre et voient aujourd‘hui leur efforts récompensés. Et alors qu’initialement, l’enjeu principal de l’affaire était de savoir si François Marie Banier avait, oui ou non, abusé de la faiblesse d’une vieille dame, l’écrivain dandy semble aujourd’hui ne plus camper qu’un simple rôle de figuration au sein même de sa propre affaire. Car à force de chercher, de creuser, de traquer, la presse a fini par trouver un dernier rebondissement en date. Le rebondissement qu‘elle espérait. Le rebondissement qui enfin, allait pouvoir légitimer toutes les saloperies réalisées, tous les moyens écoeurants utilisés, tous les enregistrements divulgués: l’affaire Woerth! Ouf, les médias jubilent et respirent, soulagés de ne pas avoir monopolisé l‘attention du badaud, depuis plusieurs semaines, pour ce qui n’aurait pu être au final, qu‘une banale histoire de cul et de fric. L’issue politique existe belle et bien! A suivre donc, dans les prochaines semaines, enquête fiscale, poursuites judiciaires et tout le tintouin…
Du coup, tout le monde s’infiltre dans la brèche: Toujours prompts à l’opportunisme, les politiques sortent de leur réserves et se ravivent même, les vieux volcans que l’on croyait éteints: Simone Veil et Michel Rocard, s’unissent à la tribune du Monde réclamant une «halte au feu» au nom d’une crédibilité politique évaporée. Le Parti Socialiste lui, désormais abonné au numéro absent dès qu’il y a quelque chose de constructif à dire, tacle immédiatement l’UMP: Ainsi, à 60 ans, Martine Aubry découvre-t-elle enfin les dures réalités de la politique. Tombant manifestement des nues, la première secrétaire du P.S y va de son petit commentaire démago, dénonçant "l’entrelacs fâcheux entre le pouvoir politique et les intérêts de l'argent" - tu parles d‘un scoop, Martine! - et propose de «réparer la démocratie abîmée». Mais si les propositions de reconstructions de Martine sont encore inconnues à ce jour, on ne peut plus ignorer désormais que la mémoire du Parti socialiste flanche tout autant que ses idées. Comment oublier si rapidement certaines grandes heures de la gauche, entachées par nombre de scandales, d’écoutes téléphonique, et autre «conflit d’intérêt»en tout genre?
Mais, plus important que tout ceci, ne sommes nous pas en droit finalement de nous poser légitimement une question primordiale et inquiétante: La politique d’un pays se résume-t-elle dorénavant à une incessante succession de scandales médiatiques tant les journaux semblent ne plus être en mesure de traiter le sujet autrement qu’à grands coups d’anecdotes salaces?
Un scandale en chassant un autre - hier, «Frédéric et ses tapins», ou «Ribéri et sa pute», aujourd‘hui «Liliane et son gigolo» - La presse est-elle définitivement devenue cette pute servile, victime et prisonnière d’un système qu’elle a initialement instauré, puis consécutivement utilisé, exploité et dénoncé?
Il n‘est quasiment plus permis d‘en douter.
Les quotidiens ou hebdomadaires bloquent leurs colonnes à l’avance, dans l‘attente des prochains épisodes. Dans les salles de rédactions, chacun y va de son avis, de son pronostic, de ses affirmations. Les putes supputent. Les suppositions s’affirment. Les chroniqueurs affûtent leur plume assassine qu’ils espèrent spirituelle. C’est à celui qui pourra se targuer d’avoir, sur ce coup-là, fait preuve d’esprit, d‘humour. A celui qui trouvera la «petite phrase» la plus amusante et dont il pourra se gausser sur son facebook. La forme a définitivement remplacé le fond. Qu’importe la réalité des faits, la présomption d’innocence, le respect de la vie privée et toutes ces vieilles valeurs éculées, tant au nom de «la liberté d‘expression», la presse aime à se répandre, à cancaner et même à devancer ou à créer l‘actualité. Qu’importe au final que la justice fasse son travail: Impatient, chaque médias veut sa part du gâteau, et espère récupérer à son compte, une miette du scandale.
Pour briller. Exploiter. Vendre.
Oui, l’affaire Bettencourt, c’est surtout ce fabuleux écran de fumée. Et pas uniquement celui que se plaisent à dénoncer nos médias. Mais parce qu’à défaut de traiter la politique de façon désintéressée, objective, rationnelle et sérieuse, ils se complaisent dorénavant dans le people et le racolage, tellement plus séduisants pour le chaland... Et lorsque une telle opportunité se présente, c’est banco! Ils en usent. En abusent. Jusqu’à l’indécence et l’écoeurement. Jusqu’au ridicule qui fut d’ailleurs atteint vendredi soir, lors de l’interview de Claire Chazal où le spectacle d’une vieille dame, sommée de venir expliquer des histoires dont elle ne semble même plus en mesure de comprendre les enjeux, pouvait quand même paraître dérangeant… Une vieille dame qui, malgré sa faiblesse et la maladresse de ses propos, su parfaitement résumer le problème de cette affaire qui choque tant les français: «[choqués]par quoi? Parce que j'ai donné de l'argent?".
Car oui, le revoilà, le départ de toute cette affaire: Elle a donné de l’argent. Dans un cadre privé. Pour une relation privée. Et des motivations privées.
Et c’est là, sans doute la principale explication de tant de passions déchainées de la part des charognards que nous sommes: L’énorme frustration de ne pas voir notre propre nom comme bénéficiaire du gros chèque encaissé par François Marie Banier…
Jean-Philippe Card