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Billet de blog 17 janvier 2011

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Deux folles et Ben Ali en Tunisie

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Entre Delanoë qui débarque au journal de 20 heures pour justifier son silence en sortant un chapelet de banalités sur la révolution tunisienne et Renaud Camus qui s’entête dans ses histoires de présidentielles, on se demande vraiment ce qui se passe dans la tête des seniors gays quand ils parlent politique...

Il y a moins d’un mois, ils passaient tous leurs vacances dans le Maghreb. Rue89 a fait le recensement des présidentiables qui y ont passé les fêtes de fin d'année, tous les seconds couteaux y étaient aussi et Bertrand Delanoë était à Bizerte, en Tunisie (« son pays natal »). Il y a vraiment de quoi se demander si la politique de la France ne se décide pas au Maroc. Ils sont tous là, les décideurs, l’élite de l’élite, à Tanger ou ailleurs, à s’inviter et faire leur marché, à se voir en cachette pour préparer leurs magouilles et le Maroc s’enivre du plaisir de voir tant de jet set dans ses riads. On aurait pu imaginer que cette proximité avec les protestations qui avaient déjà commencé en Tunisie et en Algérie les auraient motivés, leur aurait donné des idées d’intervention. Non. Ils viennent, ils se reposent, ils s’amusent, ils vérifient si leur maison est en bon état, et puis ils partent. C’est la BHLisation de Noël, telle qu’elle est décrite dans cet exécrable film de 2005.

La révolution tunisienne s’est faite sans eux et on aurait raison de s’interroger sur l’accueil de ces leaders si courageux quand ils retourneront dans leur « pays natal » ou si Frédéric Mitterrand devra se cacher la prochaine fois qu’il ira dans les parages. Ces homosexuels célèbres, qui sont si amoureux du Maghreb, n’ont visiblement pas compris les pays qu’ils adorent tant puiqu'ils n'ont rien vu venir. Pourtant, ils sont tous là à se disputer comme des gamines la supériorité de leur érudition et de leurs expériences. « J’y suis né, je connais le pays mieux que toi ! » — « J’y ai passé des années et des années ! » — « J’ai sucé plus de bites que toi d’abord ! » — « J’ai écrit plus de livres que toi ! » — « J’ai reconstruit tout un quartier grâce à mon argent ! » — « Yo sé mas que tù ! » On dirait qu’ils chantent tous Borriquito.

Et de deux

Et ça n’empêche pas Frédéric Mitterrand de sombrer dans la catastrophe, à nouveau. Alors que le monde politique français est tétanisé dans un silence honteux, lui n’a pas peur de mettre les babouches dans le plat. En fait, personne ne sait si c’est de la témérité ou de l’inconscience. Sur Canal+, sa phrase fait mouche: « Dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme cela se fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ». Bong. Bon, moi je ne sais pas à partir de quel moment il faut parler de dictature alors. Des morts, des tortures, un détournement massif des richesses du pays, et tous les mots les plus forts que l’on entend déjà sur les chaines de télé: répression, crimes, fusillades, milices, immolation, extorsion, état policier, mafia, corruption, etc. Prétendre que ce n’est pas une dictature parce qu’on est un homosexuel qui souligne la condition des femmes en Tunisie, je connais trop bien la manœuvre. Regardez, je suis gay, mais ce qui m’importe avant tout, ce sont les femmes ! Il devrait faire de la haute couture. Quelle mauvaise analyse de la situation. Quelle bévue face aux millions de personnes qui regardent ça dans le Maghreb. Et juste à l'instant, je reçois ceci, qui est PERFECTO.

La vidéo fuse sur Internet dès le 10 janvier avec un mot qui se répète, sans cesse: « Shame ». Et les commentaires révèlent ce que tout le monde se dit: avec une villa luxueuse à Tabarka sur le bord de la mer, c’est normal que l’on ait une vision idyllique de la situation. On lit le mot fatidique qui sous-entend tous les histoires d’indulgence: "intérêts". L'understatement de la semaine, c'est: « la Tunisie est très bien représentée en France »...

Vient Delanoë

Le vendredi 14, tout le monde a les yeux rivés sur la télé et les chaines infos. Bertrand Delanoë se fait inviter au Journal de 20 heures sur France 2. Sa silhouette va hanter tous les reportages et les débats du début du journal, avec Serge Moatti et le journaliste de Jeune Afrique, Marwane Ben Yahmed, qui dit exactement ce qu’il faut dire. Qui est donc ce personnage que l’on voit de dos, qui prépare mentalement les phrases qu’il a apprises par cœur ? Il se prononce en fin de journal, comme le grand invité qu’il est. Et dès qu’il prend la parole, c’est pour prendre tout de suite de la hauteur en parlant de « transparence » avec sa main droite crispée qui fait un crochet de la main comme s’il tenait une partie cachée de l'anatomie humaine. Transparence, alors qu’il s’est tu pendant des semaines même s’il se défend d’avoir passé les jours à consulter tout le monde autour de lui pour voir s’il devait intervenir. Il voulait parler, vous savez ! « Surtout pas ! » lui ont dit les experts qui l’entourent, et il en est resté là. « Je me suis prononcé » dit-il, « Je suis Tunisien ! ». La belle affaire, être Tunisien quand ça arrange.

Le journal avance et Delanoë se détend, il sait qu’il a passé le mauvais cap de l’interview, quand on lui demandait pourquoi il avait été silencieux. Il a réussi à placer cette phrase sublime qui cloue tout le monde: « Je crois que le président Ben Ali a annoncé un certain nombre de mesures, hier (jeudi) qui ont reçu un accueil plutôt positif ». Bon, c’est le maire d’une des plus grandes villes au monde, qui a la particularité d’avoir une diaspora tunisienne importante en bas de chez lui, sinon la plus importante, et il est juste à côté de la plaque quoi. Même moi, qui ne suis pas Tunisien, j’ai bien compris que c’était trop peu, trop tard, no way José. Il est idiot ou quoi, alors que l’ancien président est déjà dans un avion qui risque d’atterrir dans sa région (et qu’il le sait) et qu’une partie de la famille du dictateur est en train de s’acheter des jouets souvenirs à Disneyland (et qu’il le sait) ?

Ensuite, pour se détendre, il commence à parler d’une manière plus démago. « Nous les Tunisiens, nous sommes très fiers et très susceptibles ». Le peuple tunisien est doux, dit-il. Le pays est à genoux, dépouillé, effrayé, dans le chaos, des manifestants sont tués et il n’est même pas capable d’anticiper la colère publique en parlant d’une manière humble et dire qu’il aurait du mettre des affiches de martyres tunisiens sur les murs de l’Hôtel de Ville au lieu de nous faire chier pendant des mois avec ses putains de calicots de Bettencourt. Ah le Tunisien qu’il est !

Business as usual

Ma question est toujours la même et je suis étonné que les gens ne fassent pas le lien. Ces gays célèbres qui connaissent si bien le Maghreb (vous pouvez extrapoler dans votre tête ce que ça veut dire) peuvent-ils avoir un point de vue plus courageux, SVP ? Tout le monde me dit que le lien gay n’a rien à voir avec la révolution en Tunisie et je veux bien admettre que c’est un angle très pointu. Mais les médias gays, toujours à montrer du doigt ce qui se passe dans les pays arabes sur la question LGBT comme si c’était toujours le pire du pire pourraient-ils au moins consacrer une brève sur les répercutions que pourrait avoir cette libération sur la vie quotidienne des personnes homosexuelles en Tunisie et au-delà, dans les pays voisins ?

Regardez-les, c’est business as usual, et personne ne s’est insurgé non plus sur les propos de Frédéric Mitterrand et la fadeur des prises de position du maire gay de Paris. Motus et bouche cousue. On respecte les power queens. C’est une longue chaîne d’intérêts. Il y en a un qui est ministre, et pas n’importe quel ministre, et l’autre qui est maire, et pas de n’importe quelle ville. Derrière eux, des subventions, des ententes, des amitiés, des ronds de jambe. Presque comme en Tunisie, quoi! Et personne qui n’ait envie de dire sa joie pour les personnes LGBT de Tunisie et prononcer sa colère envers ces leaders gays qui n’ont rien fait et rien dit pour les aider ?

Je m'en fous si vous ne voyez rien.

C’est parce que vous manquez de sens politique, c’est tout.

Didier Lestrade

Parution originale: http://www.minorites.org/index.php/2-la-revue/960-deux-folles-et-ben-ali-en-tunisie.html

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