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"Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles." (Rimbaud, lettre du voyant)

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Billet de blog 2 juin 2016

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La charité n’est pas une solution

Après avoir usé et abusé de sa position dominante au point des ennuis avec la justice, Bill Gates s’est retiré avec un pactole monumental qu’il veut utiliser dans des buts philanthropiques. Béatification à l’horizon ou l’auréole sent-elle un peu le pâté ?

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Illustration 1
Bill Gates - juin 2015

En mars 2012, Envoyé Spécial a fait un reportage tout à fait passionnant sur la fondation Bill Gates. 

La deuxième partie du documentaire est particulièrement instructive. On y apprend que la fondation Bill Gates marche main dans la main avec Monsanto. Le spécialiste mondial des OGM est trop heureux de trouver dans cette grande amitié un moyen de conquérir le marché africain. Bien sûr, Bill Gates nous explique que Monsanto est une entreprise philanthropique parfaitement désintéressée, mais pour une raison ou pour une autre, on n’y croit pas à fond. On pourrait se dire que Bill Gates s’est fait avoir par Monsanto, mais là encore, on a un peu de mal à imaginer que le patron d’une entreprise hyper-agressive et accusée d’abus de position dominante dans les années 90 soit aussi naïf. Ça colle mal avec son image de requin qui s’est battu pied à pied pendant des années avec la justice ou l’administration fiscale de plusieurs pays dont le sien. Et on est d’autant plus sceptique que l’année précédant le reportage, la fondation Bill Gates a acheté pour près de 20 millions de dollars d’actions Monsanto.

Mais bon, soyons bon camarade et créditons Bill Gates d’une certaine sincérité dans son désir de faire le bien. N’empêche qu’il reste quand même un sacré problème. Lorsque Bill Gates annonce qu’il va donner 95% de ses 67 milliards de dollars (eh oui !), ce n’est pas exactement ce qu’il fait. En réalité, il les confie à des fonds d’investissement et il ne dépense que les intérêts. Le capital n’est jamais entamé. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’un journaliste du Los Angeles Times, Charles Piller, entreprend de recenser méthodiquement les entreprises dans lesquelles l’argent de Bill Gates est investi : près de 10 milliards de dollars sont investis dans l’industrie de l’armement et le reste est investi dans des banques accusées d’avoir causé la crise financière de 2008, dans des multinationales qui bafouent le droit du travail ou dans d’énormes conglomérats pétroliers qui polluent la planète. Comme le fait remarquer Charles Piller, autant d’entreprises dont l’activité est en complète contradiction avec les nobles buts philanthropiques de la fondation. Il pousse même la réflexion un peu plus loin : non seulement que ces entreprises travaillent dans un esprit incompatible avec celui de la fondation, mais elles sont responsables d’une grande partie des problèmes de pauvreté ou de santé que la fondation Gates se propose se résoudre.

Dans ces conditions, l’évaluation de l’impact de la fondation Gates sur la planète doit se présenter sous la forme d’un bilan : parvient-elle par ses bonnes actions à résoudre plus ou moins de problèmes qu’elle n’en crée en soutenant financièrement des entreprises qui contribuent à augmenter la pauvreté et à détériorer la santé ?

L’écologie je n’en parle pas, parce que je n’ai vu nulle part que Bill Gates s’y intéressait particulièrement. Sur ce point au moins, le bilan sera vite dressé.

Le reportage nous fait un portrait de l’artiste en démiurge. Un démiurge geek, un peu inhibé, qui se la joue modeste, mais un démiurge quand même. Il est hautement symbolique que Bill Gates investisse de gros montants dans les banques de Wall Street parce que, si colossale que nous paraisse sa cagnotte de 67 milliards, elle ne représente que 0,1% ou 0,2% de la somme phénoménale qui s’est évaporée au moment de la crise de 2008. Il a beau se voir assez puissant pour infléchir l’histoire mondiale, sa richesse n’est qu’un fétu de paille dans les cyclones qu’est capable d’engendrer le système économique qu’il soutient par ses investissements. Même les moyens de Bill Gates sont loin d’être à la hauteur du problème. Sans parler de la question de savoir s’ils sont employés à bon ou à mauvais escient.

Cette histoire a le mérite de nous faire comprendre au moins une chose : la charité n’est pas une solution parce que c’est une attitude vide de toute substance politique. Il n’est de véritable réponse politique aux problèmes qui ne remette en cause le cadre institutionnel qui les engendre. La fondation de Bill Gates et son emballage rhétorique nous rappellent et nous confirment que les plus haut placés dans un ordre social sont loin d’être les mieux placés pour le penser. Lorsqu’on a été partie prenante d’un système de prédation concurrentiel au point où Bill Gates l’a été, on peut difficilement accuser la prédation concurrentielle d’être la source de tous les maux sans remettre en cause les choix et les actes de toute une vie. Dans cette situation, on aurait donc plutôt tendance à voir et à présenter les présupposés idéologiques qu'on a adoptés comme des principes universels et les dogmes qu’on a suivis comme les fondements même du réel. La solution des problèmes est alors vouée à s’accommoder des structures qui les crée et les concepts à se réduire à des rustines.

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