Le rédacteur en chef de l’Obs, Renaud Dély L’Obs vient de signer et de mettre en ligne un édito absolument surréaliste, intitulé : "Emmanuel Macron, Nuit Debout... même combat!". Ce texte hallucinant est illustré par une photo des manifestants de la place de la République dont la légende est : "Les deux mouvements ont – chacun à leur façon – un seul objectif : renverser la table".
Dès le chapeau, l’essentiel est dit :
"L’écho recueilli par l’envol du ministre de l’Économie comme la sympathie suscitée par le rassemblement de la place de la République illustrent un même besoin de rupture. Et de nouveauté."
Pour Renaud Dély, les deux mouvements sont quasiment identiques et interchangeables. Ils ont la même signification, la même origine et les mêmes objectifs :
"L’envol d’Emmanuel Macron et l’enracinement du mouvement Nuit Debout sont bel et bien jumeaux (…) [ce] sont les deux faces d’une même médaille, les deux thermomètres d’un même diagnostic."
Selon Renaud Dély, qu’est-ce qui les chiffonne donc de conserve, les macronniens et les noctambules ? Tout simplement l’usure du système, la rouille et la vieillerie. Ils ont en commun une soif inextinguible de nouveauté et de modernité. Ils chantent en chœur "Ah ! ce qu’on s’emmerde ici". Ils veulent de la 3D, du Cyril Hanouna, de la fiesta avec des flots de sangria. Selon les mots mêmes de Dély : "Dans le collimateur : le "vieux monde"". Clin d’œil appuyé au slogan qui fleurissait sur les murs de mai 68 : "Cours camarade, le vieux monde est derrière toi". Leur Ibiza paillette, ils le veulent tous les deux façon soirée costumée sur le vieux thème soixante-huitard de l’imagination au pouvoir. Ils veulent réinventer les cheveux longs, les pattes d’eph et les chemises à fleurs. "Il faut bien que jeunesse se passe", semble se dire Dély avec une condescendance à couper au couteau.
Se pourrait-il qu’il y ait derrière toute cette agitation noctambulo-macronnique des problèmes politiques ou économiques ? Que nenni, nous rassure Dély :
"C'est bien un combat culturel qu'ils engagent l'un comme l'autre pour apporter une bouffée d'air frais à même de changer un vieux système à bout de souffle."
Ils s’emmerdent, vous dis-je. Tous autant qu’ils en sont. Ils veulent que ça pète, que ça pulse, que ça groove et que ça crache des flammes. Pas la peine de chercher midi à quatorze heures, il n’y a pas plus d’enjeu que ça. "Ça leur passera avant que ça me reprenne", disait le grand sage sur du haut de sa montagne.
Le grand moment du texte, c’est la référence à Gramsci. Pour mémoire, Antonio Gramsci est le fondateur du Parti communiste italien qu’il a même dirigé. Il a été emprisonné par le régime de Mussolini de 1927 à sa mort en 1937. L’un de ses concepts les plus connus est celui de l'hégémonie culturelle. Il s’agit d’une sorte de ruse qui amène le prolétariat à épouser de son plein gré les intérêts de la bourgeoisie sans que celle-ci ait besoin d’user de violence ou de quelque autre procédé coercitif facile à identifier, à dénoncer et à combattre. L’ironie de la référence de Dély est qu’elle est un parfait exemple du type de stratégie dénoncée par Gramsci : l’idée de base de son éditorial est d’inciter les citoyens révoltés de la République à épouser de leur plein gré les intérêts du capitalisme financier concurrentiel et cynique incarné par Macron. "Mais vous voulez la même choses, les gars ! Serrez-vous la main et faites-vous la bise. Il y a tout un boulot en commun qui vous attend, alors laissez tomber les mauvaises vibrations". Sous la plume de Dély, ça donne ceci :
"Si le slogan en vogue de "convergence des luttes" se concrétisait par l’alliance des révoltes juvéniles de Macron et de "Nuit Debout", le vieux monde (politique) aurait du souci à se faire…"
On n’ose pas imaginer ce que Gramsci aurait pu faire du papier de Dély. Évidemment, ce n’est pas du molletonné triple épaisseur, mais rien que pour le symbole…
Qui donc est ce Renaud Dély qui semble totalement aveugle au fait que les noctambules de la République et le mouvement "En Marche" de Macron incarnent deux courants radicalement et absolument antagonistes ? Comment peut-il être le rédacteur en chef d’un grand journal "de gauche" et passer à ce point à côté des véritables lignes de fracture de la société où il vit ? D’après Wikipedia, il est membre de Terra Nova, laboratoire d'idées proche du Parti socialiste et il soutient l'opinion que "la gauche parviendra mieux à retrouver une identité en assumant son ancrage dans une société libérale" (1). Ah bon. On comprend mieux.
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(1) Renaud Dély, Les Tabous de la gauche, Bourin, 2006.