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Billet de blog 28 novembre 2010

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Oscar Wilde, un penseur fort contemporain.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En 1890, un siècle avant la chute de l'URSS, Oscar Wilde écrit le surprenant "L'Ame de l'Homme sous le socialisme". Ce livre est d'une criante actualité....

Nous sommes sans doute très nombreux à apprécier l'oeuvre d'O.Wilde , son théâtre ou certains de ses essais et poêmes . Mais son oeuvre la plus géniale n'est-elle pas son "Ame de l'homme sous le socialisme". O.Wilde se définissait comme un progressiste , un partisan de l'avènement d'une ère nouvelle, socialiste ou communiste . Ses appartements étaient le lieu de discussions enfiévrées où des personnalités de la belle société prenaient la plume pour rédiger et signer des pétitions de soutien à tels ouvriers en grève. O.Wilde écrira et militera contre la peine de mort après son passage en prison , il témoignera contre la barbarie de l'emprisonnement des enfants donnant une image plus proche de la réalité de cette Angleterre victorienne bien propre sur elle.

L'Ame de l'Homme donne à voir d'une nouvelle société à construire. Une société du mieux être :" ...Il n'y aura plus de gens qui vivront en de fétides repaires, sous des haillons fétides, élevant des enfants maladifs et affamés au milieu d'entours innaceptables et absolument repoussants." p9 Mais attention donc , ce socialisme ou communisme doit se comprendre comme un mieux pour l'individu lui-même ; il est pour Wilde un individualisme que la société capitaliste empêche réellement de s'exprimer. "...Le socialisme, le communisme, ou n'importe comment on veuille l'appeler, en convertissant la propriété privée en richesse publique, et en substituant la coopération à la concurrence, rétablira la société dans sa vraie condition d'organisme parfaitement sain, et assurera le bien-être matériel de chaque membre de la communauté".p10

Et arrive là le plus bluffant, O.Wilde sent venir le danger, celui d'un socialisme à visage de mort. "...Si le socialisme est despotique, s'il y a des gouvernements armés d'un pouvoir économique comme ils le sont maintenant d'un pouvoir politique, si, en un mot, nous devons avoir des Tyrannies Industrielles, alors l'état final de l'homme sera pire que le primitif." p10-11. On lit derrière cette tyrannie industrielle l'industrialisation à outrance et ses millions de victimes.Bien sûr O.Wilde se méprend sur le caractère exclusivement politique de la domination des gouvernements bourgeois de son temps et lit sans doute mal les liens avec la sphère économique , mais quelle lucidité sur le danger stalinien quand son futur protagoniste n'est encore qu'un adolescent tourmenté faisant le coup de poing dans les rues de Tiflis (Tbilissi).

Pour l'avènement d'un ordre meilleur, une valeur sûre: "...L'insoumission, aux yeux de quiconque a lu l'histoire, est la première vertu de l'homme. C'est par l'insoumission que le progrès s'est accompli, par l'insoumission et par la rébellion." p13; et des chefs: "...Ce que disent les grands patrons industriels contre les agitateurs est incontestablement vrai. Les agitateurs sont une collection de gens empressés et indiscrets, qui s'en viennent trouver quelque classe de la société jusque-là parfaitement satisfaite de son sort, et sèment en elle les semences du mécontentement. C'est pourquoi les agitateurs sont si absolument nécessaires." p15 .

De ce rôle primordial laissé à l'insoumission et aux agitateurs "wildiens" pour transformer la société naîtra un système où : "...Chaque homme doit être laissé tout à fait libre de choisir son travail. Nulle forme de contrainte ne doit être exercée sur lui. s'il y a contrainte, son travail ne sera pas bon pour lui, ne sera pas bon en lui-même, et ne sera pas bon pour les autres. et par travail, j'entends simplement activité de toute espèce" p17.

O.Wilde pose ainsi la question du dépassement du travail dans la cadre du rapport dominant/dominé du salariat. Même si lui-même par sa place dans la société peut s'abstraire de ce rapport , il constate autour de lui que ce rapport plombe la société et dans un domaine qu'il connait bien, celui de la création artistique car si..." L'Etat doit s'occuper de l'utile. L'individu doit s'occuper du beau" p33. On ne suivra pas forcément Wilde dans ses digressions sur Jesus Christ comme figure de l'agitateur révolutionnaire même si les puissants de l'époque l'ont considéré ainsi mais il est fort lucide sur son monde quand il écrit :" Un homme possède une machine qui fait le travail de cinq cents hommes. Cinq cents hommes sont en conséquence , jetés hors de leur emploi, et n'ayant plus de travail, souffrent de la faim et se mettent à voler. L'homme seul s'empare du produit de la machine et le garde, et il possède cinq cents fois autant qu'il devrait posséder, et probablement, chose de bien plus d'importance, beaucoup plus que ses besoins ne demandent réellement. p34-35 .

L'homme doit se consacrer au beau pour O.Wilde et ce qui le choque le plus est sans doute la médiocrité artistique à la lutte contre laquelle l'auteur réserve des pages savoureuses et des préceptes avertis : "..Une oeuvre d'art est le résultat unique d'un tempérament unique. sa beauté vient du fait que son créateur est ce qu'il est. Le fait que d'autres veulent ce qu'ils veulent ne la regarde en rien. "p37. Le tyran est bien souvent ici le public:"... Il n'y a pas un seul véritable poète ou prosateur de ce siècle, par exemple, à qui le public anglais n'ait solennelement décerné des brevets d'immoralité" p43...si Wilde avait entendu ce qui s'est dit de certains artistes dans les pays du paradis du socialisme réel!!!!

Au bout du compte et pour faire l'économie de mon temps et de celui de ceux qui auront la patience de me lire , cet avènement du socialisme ou communisme pour O.Wilde garant d'un Individualisme réel respectueux d'autrui sera l'achèvement de ce que souhaitaient mettre en oeuvre les Grecs: "...Cet Individualisme sera accompli, et par lui chaque homme atteindra à sa perfection. Le nouvel Individualisme est le nouvel Hellénisme." p74

Oscar Wilde;L'Ame de l'Homme sous le socialisme.Editions Ressouvenances. Pavillons sous Bois. 1986

PS: les pages des extraits sont dans la parution citée.

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