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Tout le monde se souvient qu'en 1986, le nuage de Tchernobyl n'avait pas franchi la frontière de la France et n'avait touché que les autres pays. Le virus chinois a mis du temps à être reconnu en France et les équipements tardent encore à protéger les Français. Il faut souhaiter que la guerre atomique qui a été remplacée par la guerre économique, n'est pas à l'origine de cette contamination qui profite, il faut le dire, un peu trop au pays qui est la cause de la contamination. On ne peut que constater que la Chine, ayant contaminé le monde, vend à la terre entière des masques pour se protéger du mal qu'elle a contribué à répandre. Son économie va engranger de substantiels bénéfices avec la bénédiction de tous les gouvernements capitalistes qui ont délégué à des pays tiers leur sécurité sanitaire et qu'il faut payer bien cher maintenant.
Camus dénonce dans l'Express, les bobards que la Chine des années 50 faisait gober à ses habitants et aux sympathisants d'alors de son régime plus que tyrannique.
L'Express, 11 novembre 1955.
Le rideau de feu.
Recevant il y a quelques jours, une délégation de parlementaires japonais, Mao Tsé Toung a bien voulu faire une importante déclaration dont on peut s’étonner que notre presse, à quelques exceptions près, l’ait passée sous silence. « 80% du monde, a-t-il déclaré hardiment, passera sous contrôle communiste dès le début d’une troisième guerre mondiale. » Puis il a conclu avec une rigoureuse logique : « La Chine qui n’a rien à perdre dans un nouveau conflit ne le redoute donc pas. »
On rapprochera ces réconfortantes déclarations de la leçon donnée, il y a quelques mois, à Malenkov par Kroutchev, et au professeur Joliot-Curie par le chef de son parti. A ces étourdis qui avaient déclaré, sans y rien connaître, qu’une guerre atomique détruirait le monde civilisé, on fit vertement savoir qu’il n’en était rien, que le feu atomique ne brûlera que le pâturage capitaliste, tandis que l’herbe repoussera dans la seule prairie communiste. Le rideau de fer, en somme, jouera son rôle traditionnel, qui est, au théâtre, de protéger l’un des côtés de la rampe contre l’incendie qui dévaste l’autre côté.
Déjà ces incroyables déclarations avaient été peu commentées. Il était possible, après tout, d’y voir des vantardises sans conséquences. Mais si Mao Tsé Toung les reprend un an après, il faut bien croire qu’elles traduisent une volonté politique. Cette politique, au demeurant, n’est pas indéchiffrable. Il s’agit, en somme, d’empêcher que les populations de l’Est, sous l’influence d’une peur salutaire, deviennent irrésistiblement pacifiques. La guerre de 14 nous avait déjà fourni de bons exemples de cette propagande. Tout le monde savait, sauf les blessés et les morts, que les balles allemandes ne tuaient pas. Aujourd’hui, la bombe USA n’a pas l’efficacité de la bombe russe. Seuls les damnés de l’Occident seront voués aux flammes. Quant aux bienheureux de l’Est, le vaccin marxiste suffit à leur assurer une immunité du genre de celle d’Achille.
De semblables déclarations ont un double inconvénient. Elles rendent d’abord suspects les discours sur la détente qui n’ont de sens que dans la mesure où ils traduisent une réalité de fait : l’horreur commune des hommes des deux camps devant un massacre définitif. Mais surtout, et c’est pourquoi il n’est pas possible de les passer sous silence, elles augmentent considérablement les chances de guerre.
La Paix qui, hier, reposait sur un équilibre provisoire entre les forces de production, repose aujourd’hui, de façon instable, sur l’égalité des chances de destruction. Enseigner à des millions d’hommes que le monstre atomique a son carnet d’adresses sur lequel les peuples communistes ne figurent pas, c’est détruire cet équilibre et relancer, par le développement d’une illusion mortelle, les chances de la guerre.
La seule façon de servir la paix aujourd’hui est de démentir fermement de pareils discours. La guerre atomique ne choisit pas et ne regardera pas la couleur de la chemise. Quel que soit le régime qui en sortira, s’il en sort un, il régnera sur la mort et la misère, dans un monde où les mots de capitalisme et de communisme auront perdu leur sens. S’il y a encore une société, elle sera assurément une société sans classes, mais comme le sont les sociétés animales ou primitives. Seule, une sorte de tyrannie tribale pourra encore s’exercer sur des continents peuplés d’esclaves déments et terrorisés. Les savants atomiques l’ont dit et ils savent de quoi ils parlent. C’est Joliot-Curie et ses confrères qu’il faut croire, non pas nos commissaires philosophes.
Contrairement à ce que dit Mao Tsé Toung, la Chine doit donc craindre la guerre atomique, comme la Russie doit la redouter, et l’Occident avec elle. Cette peur salutaire sera peut-être le commencement de la sagesse. A elle seule, elle ne suffira sans doute pas à assurer la paix. Mais, sans elle, nous risquons à tout moment, la guerre. Laisser croire, contre l’évidence même, que l’histoire peut encore avoir un sens, après une telle guerre, c’est préparer la mort de toute civilisation. La destruction atomique marquera, pour longtemps une fin de l’histoire que les théoriciens n’avaient pas prévue.
En réalité, nous sommes ici devant l’événement capital du XXe siècle : l’arme nucléaire amène la fin des idéologies. Aucune de celles qui nous sont proposées ne pourrait survivre au prochain conflit qu’elles auront provoqué. Après un siècle d’égarements, elles en sont venues au point où elles se nient elles-mêmes. On comprend que les nouvelles religions ne puissent s’en consoler et tentent, sincèrement ou non, de nier l’évidence.
Mais les faits sont là et les idéologies doivent les reconnaître d’abord, pour ensuite, si elles ne veulent pas mourir, évoluer. S’obstiner à nier la réalité, pour sauvegarder l’idéologie, serait continuer dans une voie qui a déjà coûté beaucoup de désespoir et de sang au prolétariat mondial. Mais cette fois l’erreur sera définitive. Il ne faut pas jouer avec ce feu-là qui consumera sur le même bûcher l’hérétique et l’orthodoxe. Albert Camus.
Jean-Pierre Boudet https://www.histopresse.com