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Billet de blog 22 avril 2019

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Théophile Gautier journaliste

Théophile Gautier rédigea plus de 1000 articles de presse, du compte-rendu d'exposition, de pièce de théâtre, en passant par ses récits de voyage, ses nouvelles ou ses romans. Il faut vite redécouvrir son œuvre pleine d'humour.

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Illustration 1
Théophile Gautier en Belgique par Jean-Pierre Boudet. © Jean-Pierre Boudet

Né à Tarbes en 1811, Théophile Gautier fit ses études à Paris où il rencontra de grands écrivains établis ou en devenir. C'est avec Gérard de Nerval que Gautier effectue son premier voyage en Belgique et qu'il rédige son premier récit de voyage. Pour le moment, hélas, la ville où il est né ne souhaite pas créer d'espace de valorisation de ce grand artiste.

Surtout connu pour son « Capitaine Fracasse », Théophile Gautier fut également journaliste au Cabinet de Lecture, à La Chronique de Paris, La Presse, L’Artiste, Le Moniteur Universel… Ses nombreux récits de voyage, à l’humour parfois mordant, enchantèrent les lecteurs des périodiques du XIXe siècle. Quand Théophile Gautier a-t-il commencé ses voyages et ses reportages ?

C’est en 1836 qu’il décide de visiter, avec Gérard de  Nerval, la Belgique et la Hollande. On retrouve ses impressions dans le journal La Chronique de Paris, dès septembre 1836, puis dans un volume « Caprices en zigzags », en 1852. Une nouvelle verra le jour peu après : La Toison d’Or, déjà publiée dans notre journal favori il y a quelques mois. Chez Gautier, le voyage a parfois donné l’idée d’une œuvre.

La Chronique de Paris, 18 septembre 1836 : « … Ce voyage est le premier que j’aie jamais fait, et j’en ai rapporté cette conviction, à savoir que les auteurs de relations n’ont pas seulement mis le bout du pied dans les pays qu’ils décrivent… Diverses lettres que j’ai lues depuis mon retour m’ont singulièrement étonné. Assurément je n’y ai pas reconnu la contrée ni les hommes que je venais de quitter.

A présent, si le lecteur curieux veut savoir la raison pour laquelle j’ai été en Belgique plutôt qu’ailleurs, je la lui dirai volontiers. C’est une idée qui m’est venue au musée, en me promenant dans la galerie de Rubens. La vue de ces belles femmes aux formes rebondies, ces beaux corps si pleins de santé d’où tombent des torrents de chevelures dorées, m’avaient inspiré de désir de les confronter avec les types réels. De plus, l’héroïne de mon prochain roman devant être très blonde ; je faisais, comme on dit, d’une pierre deux coups…

Je restai bien trois mois à me décider à ce voyage de quinze jours. J’ai dit je ne sais combien de fois adieu aux trois ou quatre personnes que je croyais capables de s’apercevoir de mon absence ; ma sensibilité souffrait beaucoup de la répétition de ces scènes pathétiques, et je commençais à avoir mal à l’estomac, à force de boire de coup de l’étrier ; enfin, un beau matin, je me pris au collet et je me mis à la porte de chez moi, en enjoignant au camarade que j’y laissais, de me tirer dessus comme un loup enragé si je me représentais avant trois semaines, et je m’en allai à la fatale rue du Bouloi où était la voiture.

Mon père, qui m’accompagna à la diligence, se comporta fort bien ; il ne me pressa pas sur son cœur, il ne me donna pas sa bénédiction, mais aussi il ne me donna rien d’autre… 

Je ne pleurai point ; je n’embrassai point le sol, et même je fredonnai assez gaiement et aussi faux qu’à mon ordinaire ; mais tout mon courage m’abandonna quand le vis arriver mes deux compagnes  de voyage avec des frisures hors de proportion, des nez insociables, et le plus cannibale et le plus odieux criard de tous les perroquets…

Puisque j’ai ébauché ce portrait, pour que la collection soit complète, je vais donner ici la description succincte du reste de la carrossée. Premièrement, un grand vieillard, maigre comme un lézard qui a jeûné six mois, et pour ainsi dire momifié. Son front avait plus de plis qu’une ville fortifiée à la Vauban. Sa bouche noire, représentait assez bien une ouverture de tirelire. Ce contemporain du monde fossile, racontait ses bonnes fortunes aux époques reculées. Il les répéta cinq ou six fois de cinq  à six manières différentes. Je pense que la vérité ne se trouvait dans aucune de ces versions…

Senlis, que nous laissâmes derrière nous, semblait nous poursuivre en nous montrant le ciel avec le grand doigt se son clocher. Hélas ! nous ne songions guère au ciel, mais bien à la table d’hôte, car la faim nous éperonnait furieusement, et nous commencions à nous regarder avec des figures terribles, et si nous n’étions pas arrivés à Courtray, lieu de la dînée, nous allions tirer au sort pour savoir qui de nous serait mangé par les autres…

O fallacieux aubergistes ! Je dénonce cette ruse, d’autant plus dangereuse qu’elle se présente sous la forme d’une belle soupière de porcelaine, remplie d’un potage suffisamment étoilé qui éloigne toute méfiance ; mais ce bouillon a sans doute été fait dans la marmite du diable, avec un volcan pour fourneau, car il dépasse de plusieurs degrés la chaleur du plomb fondu, et bout encore dans l’assiette. Ce potage, habilement maintenu à cent cinquante degrés, leur épargne trois ou quatre poulets. Cette diabolique invention,  fait perdre à de malheureux voyageurs mourant de faim dix des précieuses vingt minutes accordées par l’implacable conducteur pour prendre leur repas.

Cette bataille entre aubergiste et voyageurs que l’on nomme dîner s’étant terminée, l’on nous remit en cage, et nous partîmes au grand galop… Tout le monde dormit bientôt, excepté le centenaire qui courtisait  de près la femme aux trente-deux dents jaunies, dont les poteries rendaient des sons de plus en plus inquiétants… »

Théophile Gautier.

Pour en savoir plus sur Théophile Gautier, visitez http://theophile.gautier.monsite-orange.fr Jean-Pierre Boudet.

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