Voyage en Italie
Au printemps 1849, le Tarbais Théophile Gautier visite l’exposition chinoise à Londres. Il y rencontre Marie Mattei, séparée d’un fonctionnaire corse. Belle femme, elle ne le quitte plus durant son séjour. Elle retrouve Théo plus tard à Paris. Sa compagne, chanteuse, effectuant une tournée en Belgique, Gautier décide de visiter l’Italie. II y rédigera des articles pour La Presse. Accompagné de Cormenin, qui lui sert de couverture (au sens figuré), il rejoindra Marie Mattei à Venise. Le 31 juillet 1850, les deux compères prennent la diligence jusqu’à Chalon, le bateau jusqu’à Lyon et de nouveau la diligence jusqu’à Genève.
La Presse, 24 septembre 1850 : « Nous avons bien peur d’avoir marqué notre premier pas sur la terre étrangère par un acte de paganisme, une libation au soleil levant ! L’Italie catholique, qui sait si bien s’arranger avec les dieux grecs et romains, nous le pardonnera ; Mais la rigide Genève nous trouvera peut-être un peu libertins. Une bouteille de vin d’Arbois, achetée en passant à Poligny, jolie ville au pied de la muraille jurassique qu’il faut franchir pour sortir de France, fut bue par nous, au premier rayon du jour. Ce rayon venait de nous révéler subitement, au bas des dernières croupes de la montagne, le lac Léman, dont quelques plaques miroitaient sous la brume argentée du matin.
La route descend par plusieurs pentes, dont chaque angle découvre une perspective toujours nouvelle et toujours charmante. Le brouillard se déchirant, nous laissa deviner, comme à travers une gaze trouée, les crêtes lointaines des Alpes suisses, et le lac, grand comme une petite mer, sur lequel flottaient, pareilles à des plumes de colombes tombées du nid, les voiles blanches de quelques barques matineuses.
On traverse Nyon, et déjà bien des détails significatifs avertissent qu’on n’est plus en France : des plaquettes de bois découpées en écailles rondes ou en façon de tuile dont elles ont presque la couleur, recouvrent les maisons ; les pignons sont terminés par des boules de fer-blanc ; les volets et les portes sont faits de planches posées en travers et non en longueur ; le rouge y remplace la couleur verte si chère aux épiciers enthousiastes de Rousseau ; le Français suisse commence à se montrer dans les enseignes, dont les noms ont des configurations déjà allemandes ou italiennes…
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La plupart des femmes avaient une coiffure originale et d’un charmant effet : les cheveux nattés et roulés avec soin sur la nuque sont fixés par trente ou quarante épingles d’argent, disposées en auréole et formant au-dessus de la tête comme une dentelle de peigne ; une plus grosse épingle, ornée à ses deux bouts d’énormes olives de métal et passées à travers le chignon, complète cette parure qui nous rappela les femmes de Valence. Ces épingles, nommées Spontoni, coûtent assez cher, et cependant nous avons vu ainsi coiffées de pauvres femmes et des jeunes filles à la jupe effrangées, aux pieds nus et poudreux ; elles doivent, sans doute, sacrifier à ce luxe des objets de première nécessité. Mais la première nécessité, pour une femme, n’est-elle pas d’être belle, et des épingles d’argent ne sont-elles pas préférables à des souliers ?
Nous étions si charmé de ne pas leur voir sur la tête d’affreux mouchoirs, que nous les aurions embrassées pour l’amour du costume ; les jolies s’entend…
Les toits de tuile en auvent, les murs blanchis à la chaux, les serrureries compliquées des fenêtres, mettent Sesto-Calende beaucoup plus près d’Urugne ou de Fontarabie qu’on ne saurait le croire : les éventaires encombrés de pastèques, de tomates, de citrouilles, de poteries grossières, ont un aspect déjà tout méridional…
La domination autrichienne commence à Sesto-Calende. L’autre rive du lac Majeur est piémontaise… On visita nos malles très sommairement et sans tracasseries. On nous demanda ensuite nos passeports qu’on nous rendit très poliment…
Ne quittons pas Sesto-Calende sans faire le portrait d’une jeune fille qui se tenait debout sur le seuil d’une boutique. Nous saluâmes en elle la beauté méridionale dans son type le plus pur. Ses yeux noirs brillaient comme des charbons sous son front couleur d’ambre. Ses cheveux drus, épais, luisants se soulevaient sur les tempes, et son col s’attachait à ses épaules par une ligne simple et puissante. Elle nous laissa la regarder tranquillement sans sauvagerie ni coquetterie, nous devenant peintre ou poète… »
Théo, comme nous, a un peu vieilli ; il s’approche des quarante ans ; son apparence se transforme. Ce n’est plus le romantique au grand chapeau d’Hernani que vous retrouverez désormais !
Le voyage en Italie paraît actuellement dans la Nouvelles République des Pyrénées www.nrpyrenees.fr et la Dépêche du Midi www.ladepeche.fr ou sur http://theophile.gautier.monsite-orange.fr