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Billet de blog 10 juin 2021

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Définition des agrégats monétaires et financement de l’Etat

La monétisation de la dette publique est interdite. En réalité, une part conséquente des sommes de plus en plus gigantesques levées sur les marchés financiers par le Trésor provient non de l'épargne, mais de la création monétaire. Il s'agit ici d'étudier en quoi la définition des agrégats de monnaie par la Banque Centrale met en évidence, ou masque, la réalité de cette monétisation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Définition des agrégats monétaires et financement de l’Etat

NB : dans le texte qui suit, l’abréviation « BC » signifie « Banque Centrale ».

La masse monétaire au sens étroit – M1, c.à.d. les moyens de paiement et eux seuls, à l’exclusion des actifs s’ajoutant à M1 pour constituer M2 et M3 car ils ne peuvent être utilisés pour payer – comprend la monnaie scripturale (≈ 85%), c.à.d. la somme des avoirs en compte courant chez les banques com­merciales, et la monnaie manuelle (≈15%), à savoir les billets (monnaie fiduciaire[1] émi­se par la Banque Centrale), et les pièces (monnaie divisionnaire émise par le Trésor Public).

On appelle « base monétaire », ou « monnaie de banque centrale » la monnaie créée par la Banque Centrale, c.à.d. les billets, et la monnaie scripturale centrale, à l’exception des avoirs du Trésor Public qui sont décomptés à part car le Trésor n’est pas une banque.

Mais seule la partie manuelle (billets et pièces) de cette base monétaire est comptabilisée dans l’agré­gat M1. La masse moné­taire ne comprend donc pas la monnaie scripturale centrale, c.à.d. les avoirs en compte courant déte­nus à la Banque Centrale par les banques commerciales.

Quelle est la logique sous-jacente à cette définition ?

La monnaie scripturale centrale n’ayant pas vocation à circuler dans le public (ni les entreprises, ni les ména­ges n’y ont accès), elle ne fait pas partie des moyens de paiement et n’entre donc pas dans le périmètre de la masse monétaire. En effet, la BC est la banque des banques, elle joue pour les banques commerciales le même rôle que ces dernières jouent pour les agents non bancaires : elle les finance et règle­ leurs dettes mutuelles par jeux d’écritures et compensation multilatérale. La monnaie scrip­turale émise par la BC est l’instrument indispensable à ces opérations, mais il devrait être réservé aux seules transactions interbancaires.

Cependant, il y a un élément perturbateur dans ce dispositif : la présence du Trésor dans le circuit de la monnaie centrale. Dès lors qu’un agent non bancaire, et pas le moindre, a accès à cet instrument de paiement, chacun des euros inscrits à son compte peut aussi bien servir à des règlements à l’intérieur qu’à l’extérieur du circuit in­ter­ban­caire. Quand l’Etat achète des biens et des services ou paie des sa­laires, la monnaie inscrite au compte du Trésor à la Banque de France est trans­fé­rée vers les comptes de ses fournisseurs et de ses per­sonnels dans les banques commerciales. Cha­cun de ces euros est alors débité d’un compte BC pour être crédité sur un compte Ban­que Com­mer­ciale. Et réciproquement, cha­cun des euros reçus par le Trésor en provenance des débiteurs de l’Etat (impôts et taxes, revenus des actifs de l’Etat, recettes commerciales des établissements publics…) est débité d’un compte ban­caire pour être crédité sur un compte banque centrale.

Les 2 circuits ne sont pas étanches, la monnaie centrale circule entre le compte BC du Trésor et les comptes des agents non bancaires dans les banques com­merciales. Au passage, elle change de nature.

  • Quand elle est transférée du compte BC des banques vers celui le Trésor, elle perd son statut de monnaie centrale et sort donc de l’agrégat Base monétaire.
  • Quand elle est transférée du compte BC du Trésor vers les comptes des agents non bancaires dans les banques commerciales, elle acquiert le statut de monnaie tout court et entre donc dans l’agrégat M1.

Idem en sens inverse.

En évaluant les 2 masses monétaires (monnaie centrale à la disposition des seuls agents ban­caires / monnaie bancaire acces­sible aux agents non bancaires), les statistiques ignorent l’avoir du Trésor. Il s’agit bien d’un actif monétaire puisqu’il lui permet de régler ses det­tes, soit en monnaie centrale vers les banques, soit en monnaie bancaire vers les agents non bancaires, mais il n’est comptabilisé ni dans M1, ni dans la base monétaire.

Cet affichage a 2 conséquences :

  1. Il masque la réalité de la monétisation de la dette publique derrière l’apparence du fi­nan­cement exclusif de l’Etat par émission de titres

L’Etat central n’a pas le droit de recourir à la création monétaire. Il se finance exclusivement par émission de titres. Il fait donc appel à l’épargne du public et des banques, càd le transfert d’une mon­naie qui existait déjà.

Monétiser un crédit, c’est créer la monnaie que l’on inscrit au compte de l’em­prunteur. Cette opération augmente la masse monétaire M1 quand il s’agit d’un prêt bancaire à un agent non bancaire. Elle augmente la base monétaire (monnaie de banque centrale) quand il s’agit d’un prêt de la BC à une banque commerciale.

Quand les titres sont achetés par un agent non bancaire, le règlement se fait par un transfert de monnaie bancaire du compte des prêteurs vers le Trésor via son compte à la BC. Monétisation im­pos­sible ! La masse monétaire ne varie pas.

Quand les titres sont achetés par une banque, elle règle par un virement depuis son compte à la BC (il est débité) vers celui du Trésor (il est crédité), non seulement il n’y a pas de création monétaire – la masse monétaire cen­trale n’augmente pas puisque la somme en question existait déjà – mais en plus elle diminue car, une fois enregistrée au compte du Trésor, la monnaie prêtée sort de la base mo­­­nétaire. Monétisation impossible également !

Aucun point commun donc avec ce qui se produit pour prêter à des agents autres que l’Etat central : la monnaie ajoutée au compte de l’emprunteur n’est débitée d’aucun autre compte, elle est créée « ex nihilo » pour cette occasion. Impossible de procéder ainsi pour le Trésor puisqu’il ne dispose pas de comptes courants dans les banques commerciales. En effet, la condition première du crédit par création mo­né­taire, c’est la détention par l’emprunteur d’un compte que la banque puisse créditer.

Aucun point commun non plus avec ce qui se produit quand la BC refinance une banque com­mer­ciale : la somme créditée sur son compte BC est créée ex nihilo, la masse monétaire cen­trale aug­mente.

Apparemment donc, la règle est respectée : monétiser la dette publique est impossible.

Mais la réalité est tout autre :  comme le Trésor n’a pas emprunté pour le plaisir, mais pour régler ses dépen­ses, la création monétaire absente du crédit va apparaître au moment de l’utiliser. La Banque Centrale étant la banque du Trésor, c’est elle qui va, à la demande des comptables publics, créditer les comptes dans les banques commerciales des fournisseurs de l’Etat et de ses agents. Cha­cu­ne de ces opérations va donc augmenter la monnaie bancaire (crédit d’un compte Banque Com­mer­ciale / débit d’aucun autre compte Banque Commerciale).

Chacun des euros empruntés par l’Etat diminue donc la masse monétaire centrale, puis une fois qu’il est dépensé, il augmente la masse monétaire bancaire. Le circuit de la monnaie centrale n’est pas étan­che : il y a un agent double, son nom est Trésor Public : étant à cheval sur les 2 circuits, chacun de ses actes a un impact des 2 côtés. La méthode d’enregistrement comptable de la BCE traduit cet état de fait en définissant le Trésor comme un agent « neutre », càd ni émetteur, ni dé­tenteur de mon­naie. Cette solution est curieuse. En effet, l’avoir du Trésor est bien un actif monétaire : le fait de le transférer aux comptes de ses créanciers suffit à éteindre ses dettes. Mais son résultat est clair : quand une banque prête de la mon­naie centrale à l’Etat, celle-ci se trans­for­me en monnaie bancaire. Elle sort de la base monétaire au moment du prêt et entre plus tard dans la masse monétaire M1 qui augmente donc de son montant.

Que l’Etat soit financé par un transfert de monnaie déjà existante entre le compte à la BC des banques qui achètent les titres de sa dette et celui du Trésor, ou par crédit bancaire monétisé, cela revient donc au même, la masse monétaire augmentera au final du même montant. Le finan­cement exclusif par émission de titres interdit certes une création monétaire cen­trale, mais exige une création moné­taire bancaire ultérieure car il est impossible pour l’Etat de dépenser sans que soient crédités des comptes dans les banques commerciales.

Remarques

Ce mécanisme concerne l’Etat central, et lui seul. En effet, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales possèdent des comptes dans les banques commerciales. Pour leurs emprunts, comme pour la gestion de ces comptes, rien ne les distingue des agents non bancaires privés. 

Cette analyse ne vaut que pour la partie des dépenses de l’Etat financée par l’emprunt aux banques commerciales. Quand les titres de la dette sont acquis par des agents non ban­caires, les masses monétaires ne sont pas affectées. Pour payer les titres, les comptes bancaires des prê­teurs sont débités d’un montant total égal au total des crédits qui apparaîtront sur les comptes des fournisseurs et des agents de l’Etat au moment où il dépensera les sommes em­pruntées.

Ce mécanisme ne concerne pas non plus l’essentiel des dé­penses de l’Etat qui est financé, non par l’em­prunt, mais par ses recettes ordinaires : prélèvements obligatoires, revenus de ses actifs et recettes commerciales. Dans tous ces cas, la somme totale créditée par la Banque de France sur les comptes bancaires des créan­ciers quand l’Etat dépense (au profit des four­nis­seurs et des agents des services publics) est égale à celle débitée sur les comptes dans les banques com­mer­ciales des ménages et des entreprises d’où proviennent ses recettes.

Tout se passe comme si la monnaie centrale avait le pouvoir de se transformer en monnaie bancaire quand elle transite par le compte à la BC du Trésor : débit du compte BC du Trésor / crédit des comptes bancaires des agents privés.

Le même mécanisme joue aussi dans l’autre sens : tout se passe aussi comme si la monnaie ban­caire avait le pouvoir de se transformer en monnaie centrale quand des agents privés règlent leurs dettes, paient leurs impôts ou prêtent à l’Etat : débit des comptes bancaires des agents privés / crédit du compte BC du Trésor.

Au final, les 2 masses monétaires sont reliées par un jeu de vases communicants.

Chaque règlement du Trésor augmente la monnaie centrale quand il concerne des banques, et la mon­naie bancaire quand il concerne des agents non bancaires. Chacun des règle­ments de sens in­ver­se a l’effet contraire.

  1. Il masque l’origine des fonds prêtés par les banques au Trésor quand elles souscrivent aux émis­sions de titres souverains

Bien sûr, quand une banque paie des titres de la dette publique par un virement de son compte BC vers celui du Trésor, elle utilise son épargne (monnaie déjà existante) à l’instar des prêteurs non ban­caires (particuliers et surtout institutionnels : fonds d’investissement, fonds de pension, compa­gnies et mutuelles d’assurance, etc.).

Mais en réalité, chacun de ces euros a pour origine une création monétaire centrale « ex nihi­lo », non pas au profit du Trésor bien sûr puisque c’est interdit (la BC ne peut accéder au marché pri­maire des titres souverains, c.à.d. au jour de l’émission), mais au profit des banques. Aucun euro ne peut circuler ni entre les banques, ni entre les banques et le Trésor, sans avoir d’abord été créé pour re­financer une banque. Le crédit des banques à l’Etat n’est possible que si la BC les a au préalable fi­nancées par création de monnaie centrale.

Bien sûr, cela ne suffit pas à prouver que la dette publique est monétisée. En effet, par défini­tion, chaque euro de monnaie (centrale ou bancaire peu importe) a été créé par une banque à l’occa­sion d’un crédit, puis circule de compte en compte, et enfin disparaît au moment du rembour­sement. La partie de cette monnaie issue du crédit qui est épargnée, puis prêtée à l’Etat par des agents non ban­caires, ne doit pas être considérée comme l’équivalent d’un crédit monétisé, il s’agit d’un trans­­­­­fert d’épargne (le compte de l’épargnant est débité, d’autres comptes seront crédités du même mon­tant quand le Trésor dépensera cet avoir).

Cependant, cette analyse ne vaudrait que si le financement des banques par la BC était en ligne avec l’évolution normale de leur bilan. En effet, la monnaie centrale étant la « matière première » de l’activité des banques, elles doivent en garder un montant assez stable en proportion de leur en­cours de crédit ou de dépôt afin de faire face aux demandes de leurs clients (retraits de billets, solde à régler à la compen­sa­tion inter­ban­caire, réserves obligatoires).

Or à l’heure actuelle, non seulement le crédit de la BC aux banques commerciales est gratuit, mais encore à chaque crise, sa courbe explose au moment où le crédit des banques s’effondre. Cette politique « super-accommo­dante » vise à les in­ci­ter à augmenter le crédit à l’éco­no­mie en vue d’une relance par l’investissement. Mais cela ne fonctionne pas car des taux nuls ou négatifs ne suffisent pas à ras­surer. Pour inves­tir, il faut avoir con­fiance dans l’avenir, cette situa­tion de taux négatifs est si con­traire au bon sens qu’elle joue comme un signal d’alarme supplémentaire et contribue donc à ag­gra­ver la « trap­pe à li­quidités ». Ces masses gigantesques de crédit gratuit offertes aux banques se diri­gent donc de plus en plus vers la finance car il est impossible de trouver dans « l’écono­mie réelle » des rendements comparables à ceux que permettent des produits financiers dérivés de plus en plus spéculatifs.

Du coup, ce n’est pas le crédit à l’économie qui est favorisé, mais celui à l’Etat. Tout se passe comme si la BC préfinançait l’achat de titres souverains en inondant les banques sous une masse de liquidités gratuites si importante qu’elles ne parviennent pas à lui trouver, hors produits financiers spéculatifs, un meilleur usage que le prêt à l’Etat. On pourrait parler d’une monétisation ex ante de la dette publique.

Une création monétaire centrale a lieu quand la BC prête à une banque commer­ciale : titres vendus ou/et mis en pension par une banque au profit de la BC qui crédite son compte pour régler (la monnaie créditée sur le compte de la banque n’est débitée d’aucun autre compte, elle apparaît).

Une destruction de monnaie centrale a lieu quand une banque commer­ciale achète des titres du marché monétaire à la BC, ou les récupère après les avoir mis en pension, et qu’elle règle en débitant son compte BC (la monnaie débitée du compte de la banque n’est créditée sur aucun autre compte, elle disparaît).

                C’est une banalité de constater que ce mécanisme connaît aujourd’hui un emballement sans précédent : à chaque crise correspond un nouvel envol du crédit des BC aux banques : e-krach du dé­but du siècle, crise des subprimes, crise des dettes souveraines européennes, et crise de la COVID.

Comme lors des guerres, l’Etat prend conscience que face au risque d’une véritable crise sys­témi­que (effon­drement des banques), ou/et d’une cessation de paiement de l’Etat, il faut re­noncer à toutes les limites auparavant fixées à la création monétaire. Notons que la France fait partie des pays qui ont poussé le plus loin la logique de l’économie de guerre ici à l’œuvre. En effet, avec le « quoi qu’il en coû­te », on assiste à une socialisation quasi-totale de l’économie : l’Etat prend à sa char­ge une grande partie des salaires et substitue des subventions ou des prêts à une grande partie des recettes com­merciales des entreprises.

                Le mécanisme ordinaire, à savoir une création de monnaie centrale ex ante qui conditionne le crédit des ban­ques au Trésor, se double aujourd’hui d’une création monétaire ex post. Avec les pro­gram­mes de Quantitative Easing, la BC intervient au marché secondaire des dettes souve­rai­nes en rachetant massivement les titres que les banques ont acquis précédemment pour prêter au Trésor. Les banques prêtent à l’Etat la monnaie qu’elles ont auparavant emprun­tée à la BC (collecti­ve­ment bien sûr, car chaque euro utilisé pour prêter à l’Etat a circulé de banque à ban­que depuis l’emprunt originel de l’une d’entre à elles à la BC), et ensuite elles lui re­vendent les titres ainsi acquis.

Avec des taux nuls ou négatifs, ce mécanisme ne se heurte plus à aucun frein.

                Tout se passe donc comme si la BC finançait 2 fois les crédits des banques à l’Etat : une pre­mière fois ex ante quand elle crée la monnaie centrale qu’elle leur prête au marché monétaire, et qui sera, pour partie, ensuite transférée à l’Etat (souscription des banques au marché primaire de la dette publique), et une seconde fois ex post quand elle crée la monnaie centrale qui lui permet de racheter aux banques ces mêmes titres (marché secondaire des dettes souveraines).

                Et ce mécanisme fait entrer dans l’actif de la BC une part croissante de la dette publique. La BCE détient déjà en moyenne le quart des dettes des Etats membres de la zone euro, un pourcentage voué à augmenter toujours plus vite avec l’accentuation des programmes de QE.

Conclusion :

Cette mécanique n’est pas mise en lumière par la manière de faire les comptes, mais elle est tout de même assez claire :

1) la dette publique est bien monétisée ;

2) le prêteur ultime est bien en réalité la Banque Centrale ;

3) avec le QE, cette observation se vérifie un peu plus chaque jour.

 Jean-Pierre DELAS

NB :

Soyons clair, il n’y a aucune once de complotisme, ni même de finalisme, dans mon analyse. Es­sa­yer de dévoiler les méca­nismes réels à l’œuvre derrière l’apparence comptable, ne signifie en aucune façon que cette opacité a été vou­lue ou or­ga­­­nisée, ni qu’elle « profite » à une, ou à des, catégorie(s) d’acteurs que l’on pourrait iden­tifier, et que l’on devrait dénoncer.

Il me paraît évident que le dispositif institutionnel, dont l’objectif affiché est d’interdire la moné­tisation des dettes publiques, est l’une des conséquences de la bascule des idées dominantes, du keynésia­nis­me vers le moné­tarisme dans les années 1970-1980 (indépendance des BC + priorité à la lutte contre l’inflation). Mais, il faut aussi reconnaître que c’est l’ensemble de la so­ciété qui a basculé.

Bien sûr le petit groupe de monétaristes qui criaient dans le désert autour du maître de Chicago depuis les années 1950 sans convaincre personne, a bien pris le pouvoir à cette époque (acte 1 : nomination par Jimmy Carter de Paul Volcker à la Fed en 1978), mais il était clair que les politiques key­nésiennes pratiquées depuis les années 1940 avaient montré leurs limites dans la stagflation qui suit le premier choc pétrolier. Et si la bascule inverse se produit aujourd’hui vers un activisme budgétaire et monétaire d’une ampleur jamais connue dans l’his­toire, cela n’est pas dû à l’habileté des comploteurs keynésiens qui atten­daient leur heure depuis 1976 (Nobel de Friedman), mais à trois conséquences majeures de la période de 40 ans de mondia­li­sation libérale dont nous sortons (du moins, je l’espère) :

1) Déconnexion quasi-totale entre création monétaire et inflation : on a beau ajouter chaque année des milliers de milliards de monnaie sup­plémentaire aux milliers de milliards des années précédentes, l’indice des prix reste de marbre.

Impossible de dire si, et combien de temps, ce phénomène difficilement explicable va encore durer. 

2) Crises financières de plus en plus spectaculaires dont les conséquences sont de plus en plus dramatiques, et dont plus personne ne peut cacher qu’elles n’ont qu’une seule et même cause : une dérégulation si poussée qu’elle érige la cupidité en valeur suprême et en règle de fonctionnement ultime[1].

3) Explosion indécente des inégalités et menaces sur notre planète et notre santé : comment contenir l’indignation et la révol­te qui en résultent (cf. « Nous sommes les 99% » du mouvement Occupy Wall Streeet) ?

Comment refuser la monnaie qui permet d’amortir des chocs de plus en plus violents si personne n’est capable de décrire les méfaits d’un tel crime contre la mémoire de Friedman ?  

[1]Un seul exemple rapporté par Radio Canada le 18 septembre 2019 : le rachat par le fonds d’investissement appartenant au fi­nan­cier amér­icain Martin Shkreli du laboratoire propriétaire des droits sur la Darapim, un médicament contre la toxoplas­mo­se aujourd’hui propo­sé dans le traitement du SIDA. Sa première décision consiste à passer le prix du comprimé de 13,5 à 750 dollars (hausse de 55,5 fois). A noter que le prix avait déjà été multiplié par 13,5 quand où son indication avait été étendue à l’affection beaucoup plus rentable qu’est le SIDA. Il a donc été augmenté par 749 (13,5 x 55,5 = 749) alors que son coût de revient diminuait du fait des économies d'échelle. On voit ici jusqu’où peut aller la finance, y compris en matière de santé et donc de vie humaine, si on ne restreint pas les marges de manœuvre des plus cupides.  

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/740238/medicament-augmentation-prix-pharmaceutique-reseaux-sociaux.

Comment prendre en compte la double nature de l’avoir du Trésor à la BC ?

Tant que cet avoir est sur le compte du Trésor, sa nature est indéterminée. En effet, son appartenance à la base monétaire ou à M1 ne peut s’observer qu’au moment où le Trésor le dépense : si le bénéficiaire est une banque, alors il s’agit de monnaie centrale (base monétaire), s’il est un agent non bancaire, alors il s’agit de monnaie bancaire (M1).

Il existe quatre solutions, mais aucune n’est satisfaisante.

1) « Ni - Ni » : ne pas les compter, ces avoirs ne sont ni de la monnaie centrale, ni de la monnaie bancaire

C’est la solution actuelle : le secteur des administrations centrales est défini comme « neutre », c.à.d. ni émetteur, ni déten­teur de monnaie (cf. note méthodologique de la Banque de France[2]).

En clair, les euros virés depuis le compte d’un agent non bancaire dans une banque commerciale vers le compte du Trésor à la BC sont déduits de M1, et ceux transférés du compte d’une banque à la BC vers celui du Trésor sont déduits de la monnaie centrale. Les euros qui font le mouvement inverse sont ajoutés à M1 d’un côté et à la monnaie centrale de l’autre.

- Problèmes :

      . Cette méthode aboutit à sous-estimer les 2 masses monétaires car elle di­minue du même montant la base moné­taire d’un côté et M1 de l’autre.

      . Elle nie la nature monétaire de cet avoir alors qu’il corres­pon­d parfaitement à la définition de la monnaie : en l’utilisant, le Trésor éteint ses dettes sans délai, ni frais, ni risque de perte en capital.

- Conséquence sur la prise en compte des achats de titres de la dette publique par les banques :

      . La base monétaire commence par diminuer quand elles les payent par des virements depuis leurs comptes à la BC vers celui du Trésor.

      . Ensuite, soit M1 aug­mente si le Trésor utilise ces emprunts pour régler des dettes envers des créanciers non bancaires, soit la base monétaire aug­mente s’il l’utilise pour régler des dettes envers les banques, notamment pour rembourser des titres arrivés à échéance.

- Conséquence pour la question de la monétisation de la dette publique :

. Si on définit la monétisation d’une dette comme le fait de créditer le compte de l’emprunteur sans en débiter aucun autre (créa­tion monétaire ex nihilo), alors cette présenta­tion aboutit à nier toute monétisation : les actifs transférés des banques vers le Trésor préexis­taient au crédit, pas de création monétaire au moment du prêt.

. Si on définit la monétisation comme le fait d’augmenter la masse monétaire en conséquence d’un prêt, alors on peut conclure à l’inverse qu’il y a monétisation car elle aura bien augmenté au final d’un montant égal au total du crédit quand l’Etat l’aura entièrement dépensé.

2) « Et - Et » : les compter 2 fois, ces avoirs sont à la fois de la monnaie centrale et de la monnaie bancaire

Cette seconde solution poserait exactement les mêmes problèmes à la seule différence qu’elle surestimerait les 2 masses mo­­né­taires au lieu de les sous-estimer comme la précédente.

3) « Ou – Ou » : les compter une seule fois, soit comme de la monnaie bancaire, soit comme de la monnaie centrale

Dans un cas, l’avoir du Trésor serait considéré comme de la monnaie centrale. L’agrégat base monétaire augmenterait donc à chaque transfert depuis les comptes dans les banques commerciales de ses débiteurs non bancaires. Il diminuerait à chaque trans­fert de sens inverse.

Dans l’autre cas, l’avoir du Trésor serait considéré comme de la monnaie bancaire. L’agrégat M1 augmenterait donc à chaque transfert depuis le compte d’une ban­que à la BC vers celui du Trésor. Il diminuerait à chaque transfert de sens inverse.

Dans les 2 cas, l’impact sur la question de la monétisation des dettes publiques est problématique. 

- Si on considère l’avoir du Trésor comme de la monnaie centrale, alors la création monétaire (hausse de M1) apparaît au moment où le Trésor le dépense à chaque virement en direction des agents non bancaires.

- Si on le considère comme de la monnaie bancaire, alors la création monétaire (hausse de M1) apparaît dès l’origine au moment où les ban­ques paient les titres en créditant le compte du Trésor à la BC.

Ces 2 solutions auraient l’inconvénient de nier la double nature de l’avoir du Trésor à la BC. Il est tout aussi contraire à la réalité de le considérer soit entièrement comme de la monnaie centrale, soit entièrement comme de la monnaie bancaire.

4) Supprimer le problème en créant un nouvel agrégat fusionnant les 2 monnaies en une seule

Les avoirs en compte courant aussi bien chez la Banque Centrale que chez les banques commerciales seraient considérés comme des actifs monétaires de même nature.

Cette méthode aurait l’avantage d’être plus simple et de ne pas nier la nature monétaire de l’avoir du Trésor à la BC.

Elle permettrait aussi de faire disparaître tout soupçon de monétisation des dettes publiques.

En effet, un crédit bancaire au Trésor se traduirait toujours par un transfert entre 2 comptes à la BC, puis chacune des dépen­ses du Trésor par un transfert entre son compte à la BC et un compte dans une banque commerciale. Comme on ne ferait plus de distinction selon que ces actifs sont déposés à la BC ou dans des banques commerciales, aucune de ces opéra­tions ne ferait varier la masse monétaire ainsi élargie, ni au moment du crédit lui-même, ni au moment où le Trésor le dépense.

Mais cette troisième solution présenterait l’inconvénient de faire disparaître la distinction pourtant utile entre « base moné­taire » (c.à.d. l’outil interbancaire dont les banques ont besoin pour créer et de faire circuler la monnaie dont les agents non bancaires ont besoin) et M1 (c.à.d. moyens de paiement effectivement disponibles pour ces mêmes agents).

Rien n’interdirait pourtant de préserver cette information en conservant les 2 présentations.  

NB :

[1] Réserver le terme « monnaie fiduciaire » aux seuls billets est absurde. Fiduciaire signifie « de confiance », c.à.d. une cro­yance généralisée dans le fait que la monnaie que j’accepte aujourd’hui en règlement d’une dette, sera ensuite acceptée par d’autres en règlement de mes propres dettes. En effet, c’est la totalité de la monnaie qui repose sur la confiance et non les seuls billets puisqu’aucun des supports qui permettent de la transférer (de compte à compte pour la monnaie scripturale, de main en main pour les billets et les pièces) n’a la moindre valeur intrinsèque. L’origine du terme est histo­rique. Le fait d’ac­cep­ter des billets représentant l’or ou l’argent détenu par la banque plutôt que des pièces d’or ou d’argent, a donné naissance à 2 caté­gories de monnaie manuelle. : les pièces ayant une valeur intrin­sè­que (plus ou moins en rapport avec leur valeur faciale selon le prestige de leur émetteur, il y avait donc aussi une part de confiance) et les billets dont la valeur ne reposait que sur la confiance dans leur émetteur. Le motif originel de cette dénomination ayant disparu depuis longtemps, un toilettage de la terminologie officielle ne serait pas inutile.  

[2] La méthodologie de la BCE distingue un secteur émetteur de monnaie (banques), un secteur détenteur de monnaie (agents non ban­caires, y compris les institutions financières non bancaires, les administrations publiques locales et de sécurité socia­le), et un secteur neutre (administrations publiques centrales) : "Les  administrations  centrales  sont  considérées  comme  n’é­tant  ni  dé­tentrices  ni  émettrices  de  monnaie,  même si  la  partie  la plus  liquide  de leur passif sous  forme de dépôts est in­­­clu­se dans les agrégats de monnaie".

https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2016/12/20/methode_sm_hors_taux_dinteret_bancaires_fr.pdf

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