Certes l'IR est très lourd pour ceux qui ont la chance d'atteindre ses tranches les plus élevées. Mais il ne représente que 7 % des 1000 milliards de prélèvements obligatoires. Et les 40% de ménages qui ne le paient pas, subissent eux aussi des prélèvements énormes. Si l'on prend le cas d'un célibataire payé au SMIC (1181 € nets) en intégrant les cotisations sociales, la TVA, la taxe d'habitation, la redevance TV et la fiscalité de l'essence, on atteint déjà 49% !!!! Selon Piketty et Saez (Ecole d'Economie de Paris), en 2010, quand on monte dans l'échelle des revenus, le taux global de prélèvement débute à 40%, il augmente ensuite rapidement pour se stabiliser autour de 49%, puis il baisse à partir du seuil d'accès au groupe des 5% les plus riches, et passe enfin sous la barre des 35% pour les 0,1% qui gagnent le plus.
Mais il faut tenir compte également des prestations. Et là aussi le débat est truqué : le total des aides sous conditions de ressources qui vont surtout aux 20% de français les plus modestes (16 millions de personnes) n'atteint pas 40 milliards, soit le même montant que les niches fiscales au profit des particuliers (autant vont aux entreprises) qui sont concentrées sur quelques centaines de milliers de contribuables à très haut revenu (total des niches plafonné à 1500 euros mensuels en cas d'investissement outremer !).
Assistanat en effet ! Mais les assistés ne sont pas uniquement ceux que l'on dit !
A quoi servent ces 1000 milliards d'euros ? A financer les services publics régaliens (police, justice...), l'éducation, les équipements publics, et la protection sociale (santé, vieillesse, famille, emploi, pauvreté).
Qui en profite au final ?
- Les ménages, y compris les plus aisés qui y sont très attachés car ils savent bien ce que coûterait l'équivalent privé. Demandez aux familles américaines le prix de leur couverture santé (en moyenne 2 fois plus qu'en France pour des prestations très inférieures) ou de leur assurance retraite (après les krachs, les fonds de pension ont cessé de s'engager sur un montant de pension, seule la cotisation est garantie).
- Les entreprises qui ont besoin des services et des équipements publics, de salariés instruits, formés, protégés et en bonne santé. Les prélèvements obligatoires sont le prix à payer pour y accéder, elles doivent donc comptabiliser leur contribution à la collectivité au même titre que leurs autres dépenses.
Quelle doit être la base de leur contribution ?
Les revenus car ils indiquent la capacité contributive. Il est illogique, et contre-productif d'ajouter des coûts aux coûts en se basant sur des dépenses : TVA, taxes sur le tabac, l'alcool ou les carburants pour les ménages, cotisations et taxes sur les salaires pour les entreprises.
Seul le revenu doit être taxé, il doit l'être en totalité, il doit l'être une seule fois.
Les taux doivent être indépendants du type de revenu du ménage, ou de la forme juridique de l'entreprise : proportionnel pour les entreprises, progressif pour les ménages. Des taux progressifs plus faibles mais appliqués à la totalité des revenus rapportent plus, sont mieux acceptés, et sont plus justes, que des taux élevés qui obligent à prévoir une foule d'exonérations pour corriger leurs effets pervers, ce qui favorise l'évasion et la fraude.
Pour y parvenir, il faut fusionner les centaines de prélèvements différents qui se cumulent aujourd'hui dans un fouillis inextricable.
Dans l'idéal, 3 contributions suffisent.
- Une contribution des entreprises résultant de l'addition des cotisations sociales patronales, des taxes sur les salaires, de la TVA, des impôts locaux. Ces prélèvements sont calculés sur des assiettes différentes et comprennent des foules d'exceptions. Comme au final la richesse créée est la source unique qui permet de les payer, autant les calculer sur cette base.
- Une contribution des ménages résultant de l'addition des cotisations sociales, de la CSG-CRDS, de l'IR, de l'Impôt sur les sociétés (IS), de la TVA, de la redevance TV, de la taxe foncière et de la taxe d'habitation. Comme au final le revenu global du ménage (toutes origines confondues, y compris les prestations sociales et les revenus du capital) est la source unique qui permet de les payer, autant les calculer sur cette base.
- Un bonus-malus : l'avantage d'une contribution unique est évident, mais son inconvénient est de ne pas tenir compte des cas particuliers, il faut donc y ajouter des correctifs. Le plus simple serait de les regrouper dans une troisième contribution positive (prélèvement) ou négative (subvention). Du côté "bonus", on trouverait les aides sociales, les subventions aux économies d'énergie, à l'investissement locatif, à la recherche-innovation, à l'auto-entrepreneuriat des chômeurs, aux quartiers en difficulté, etc. Du côté "malus", on trouverait les surtaxes du type impôt sur les grandes fortunes.
Au total, chaque contribuable, entreprise ou ménage, recevrait chaque année une "facture fiscale" unique (contibution + malus - bonus) indiquant son taux de prélèvement à la source (salaires, pensions, aides sociales, revenus financiers) ou le montant de son versement mensuel (revenu des indépendants).
Ce regroupement aurait 4 avantages : simplification, transparence, réduction du coût de gestion, suppression des incohérences (écart massif entre capacité contributive et taux de prélèvement).
Cependant, on ne pourra éviter certaines exceptions (droits de succession...) et il est impossible de supprimer la TVA.
En effet, elle fait partie des règles de l'UE visant à limiter la concurrence fiscale (taux planchers : "normal" à 15% et "réduit" à 5%). On devra donc maintenir cette taxe qui reporte sur les ménages une part de la contribution des entreprises et alourdit la charge des plus bas revenus.
Au total, il s'agirait de supprimer la plupart des prélèvements actuels.
Pourquoi ? Parce que de simples aménagements ne suffiront pas à éliminer leurs effets nocifs qui sont majeurs.
Ménages :
L'incroyable injustice fiscale actuelle provient de la prépondérance des cotisations sociales, des impôts locaux (aléatoires et d'autant plus lourds que la commune est plus pauvre : 3 fois plus à Lille qu'à Paris) et des taxes à la consommation qui pèsent environ 2 fois plus sur les faibles revenus que sur les plus élevés (jusqu'à la caricature pour celle sur les carburants à l'origine de la révolte des gilets jaunes). Sur chaque euro de salaire, l'employeur déduit 23% de cotisation sociale, et à chaque euro d'achat, le commerçant ajoute 20% de TVA (beaucoup plus sur l'alcool, le tabac et les carburants). Le taux de prélèvement du salarié le plus modeste est donc au moins de 43% ("flat tax" Macron sur les revenus du capital : 30% !). L'idéal serait de les supprimer purement et simplement, et d'intégrer leur montant à la contribution des ménages à un taux progressif pour rétablir une juste proportion avec le revenu. Quant à l'impôt sur la fortune, sauf à lui donner un caractère confiscatoire avec des taux obligeant à vendre des biens, il ne peut être payé que sur le revenu courant, rien n'empêche donc de l'intégrer au bonus-malus.
Entreprises :
Les cotisations sociales "patronales" sont de très loin la plus forte contribution des entreprises. Elles ont 3 défauts : 1) elles pénalisent les entreprises de main d'oeuvre et les poussent à substituer le capital au travail : à valeur ajoutée égale, avec 80% de salaires, le taux est de 21,6%, avec 40%, il tombe à 10,8% ; 2) elles les handicapent face aux concurrents des pays à protection faible ou/et financée autrement ; 3) les énormes exonérations réservées aux bas salaires incitent à sous-rémunérer le travail peu qualifié (depuis 1992, le taux au niveau du SMIC a baissé de 45 à 8%) et à économiser le travail qualifié (taux sur les salaires dépassant 1,6 SMIC : 37%).
L'Impôt sur les Sociétés (IS) a 3 défauts : 1) les bénéfices distribués aux propriétaires sont taxés une seconde fois au titre de l'IR, ce qui impose un correctif ("avoir fiscal" = 40%), or cet avoir est supérieur à l'IS réellement payé (maximum : 33,3%), surtout s'il s'agit de grandes firmes (taux moyen du CAC40 : 15% !!!) ; 2) son taux est indépendant du revenu, il est donc trop lourd pour les uns, et trop faible pour les autres ; 3) une disparité insupportable oppose les entreprises qui le paient intégralement et celles qui y échappent car rien n'est plus simple : le bénéfice est un solde Recettes - Dépenses, il suffit donc de gonfler les dépenses et de minorer les recettes de quelques pourcents pour réduire massivement la base imposable ; une pratique qui concerne 2 types d'entreprises : celles (le plus souvent très petites) qui reçoivent des revenus intraçables car payés en espèces, et celles (le plus souvent grandes) qui les dissimulent dans les paradis fiscaux.
Il faut que cesse la course poursuite qui oppose l'entreprise et la société ! Charger les salaires à 40% et les profits à 33 %, c'est la pousser à considérer l'embauche, les augmentations salariales et les bénéfices comme des calamités, des sources massives de coûts, et non comme des signes de sa réussite et de son utilité sociale. Sa contribution ne doit pas ajouter des coûts aux coûts, ni la décourager de réussir, mais être vécue comme la contrepartie logique de son succès et de sa capacité à payer. C'est donc la seule valeur ajoutée qu'il faut taxer, quant à l'IS, il est plus juste, plus simple et plus logique de l'intégrer à la contribution des ménages à qui revient le bénéfice.
Supprimer la plupart des prélèvements pour les remplacer par 3 contributions, ce serait en effet une révolution, on peut donc concevoir que cela inquiète !
Mais est-il plus raisonnable de maintenir le système ingérable à l'origine de la révolte fiscale actuelle ?
Cependant, plus un changement est révolutionnaire, plus sa mise en oeuvre doit être prudente et progressive.
En effet, pour passer à un système plus juste, il faut opérer un transfert massif de la charge de ceux qui sont trop taxés vers ceux qui ne le sont pas assez. Appliquer brutalement une telle réforme provoquerait donc un choc fiscal d'une ampleur gigantesque.
La réforme doit être radicale dans son principe, mais progressive dans son application.
Le contribuable recevrait donc d'emblée la nouvelle facture fiscale, mais sa contribution serait ajustée très progressivement. Avec une transition de 15 ans par exemple, l'application se ferait au rythme de 6,6% par an.
Pour conclure, il faudrait élargir le débat. L'autre volet de notre système, à savoir l'aide aux plus pauvres, pose les mêmes problèmes : elle est inextricable, coûteuse et injuste. Il est grand temps de supprimer les dizaines de prestations calculées sur des bases, et selon des logiques, différentes et contradictoires, pour les remplacer par une aide unique : un revenu universel qui serait parfaitement à sa place dans le Bonus-Malus. Mais c'est un autre débat.
Jean-Pierre Delas