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Billet de blog 14 septembre 2023

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Récit d'une interpellation fantaisiste, arbitraire, illégale

Le 14 avril, j’ai été victime d’une interpellation en marge d’une manifestation contre la réforme des retraites. J’en ai fait le récit mais après le meurtre de Nahel, cette interpellation m’a parue dérisoire et j’ai renoncé à la publier. Cependant, je crois maintenant que même la plus petite exaction ou atteinte aux libertés publiques se doit d’être révélée, c’est pourquoi je la publie aujourd’hui

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 14 avril en fin d’après-midi, dans l’attente de l’annonce de la décision du Conseil Constitutionnel sur les recours contre la réforme des retraites, se tenait un rassemblement sur le Parvis de l’Hôtel de Ville à l’appel de l’intersyndicale. Vers 18 h 30, je suis descendu de mon bureau pour rejoindre le rassemblement avec plusieurs collaborateurs et collaboratrices et élu·e·s du groupe Les Écologistes. À l’issue du rassemblement, la station Vélib située sur le parvis a été incendiée et la manifestation est ensuite partie « en sauvage » dans le Marais. M’intéressant et travaillant actuellement sur les problématiques des libertés publiques, du maintien de l’ordre et des violences policières, j’ai voulu suivre à distance pour observer la tournure que prendrait cette manifestation non déclarée, puisque spontanée, mais non interdite. Dans les rues du Marais, il y avait de nombreux feux de poubelles, alimentés par des cartons, palettes, mais aussi trottinettes et vélos en libre-service. Il n’y avait aucune autre dégradation ni présence de Black blocs, ceux-ci se manifestant presque exclusivement lors des grandes manifestations de journée. Au fil des rues, les forces de l’ordre ont fait quelques charges pour disperser et scinder le cortège, mais sans aller au contact ni utiliser de gaz lacrymogène. Il s’agissait d’opérations classiques de maintien de l’ordre menées par des unités de CRS. Le cortège a alors commencé à être assez clairsemé.

À un moment, je me suis retrouvé sur le Boulevard Beaumarchais où il ne se passait absolument rien, pas même quelques chants ou slogans, juste une cinquantaine de personnes très éparpillées qui marchaient sur le trottoir en direction de la Place de la Bastille, certaines pour continuer de manifester et d’autres, pour de multiples autres raisons comme celle, banale, de sortir un Vendredi soir pour se rendre dans les bars, restaurants ou cinémas d’un quartier très festif. Des colonnes de véhicules de Police et de Gendarmerie descendaient ou remontaient le boulevard vers ou en provenance de la Place de la Bastille.

Une colonne de Gendarmerie s’est alors arrêtée le long du trottoir sur lequel je me trouvais et une trentaine de gendarmes sont descendus tranquillement des véhicules, d’ailleurs tout était réellement tranquille. J’ai donc pensé qu’ils étaient déposés là pour aller ensuite se positionner quelque part et j’ai continué ma marche sans prêter attention à leur action. Mais à un moment, ils nous ont nassés contre le mur et il n’y a pas eu d’explication de leur part. Personne ne comprenait cette action des gendarmes. J’ai demandé à un gendarme pourquoi ils nous retenaient et il m’a simplement répondu « Honnêtement Monsieur je n’en sais rien ».  Cela a duré entre vingt et trente minutes, puis, ils nous ont fait sortir un par un de la nasse en relevant les identités et remplissant une fiche d’interpellation. Le gendarme qui remplissait ma fiche ne savait pas quel motif d’interpellation indiquer et a demandé à son chef qui, après un temps d’hésitation, lui a dit de cocher le motif « Participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » (Article 222-14-2 du Code Pénal), délit créé sous Sarkozy mais très largement utilisé aujourd’hui pour procéder à l’interpellation préventive et arbitraire de n’importe quelle personne sans preuve ni motivation.

J’ai alors pensé que cette séquence était terminée mais on nous a toutes et tous dirigés vers des policiers car c’est ensuite la Police qui a pris le relai. Nous avons été fouillés, palpés et on nous a fait entrer par 12 dans des véhicules cellulaires en laissant nos affaires personnelles et téléphones portables à l’avant du véhicule. Il était 21 h 10. J’ai compris à ce moment que l’étape suivante serait la garde à vue. Avec moi, il y avait dans le véhicule cellulaire, entre autres, deux jeunes touristes espagnoles arrivées le matin même pour une semaine de vacances à Paris, un jeune garçon de 16 ans qui allait rejoindre sa mère au restaurant et un homme d’environ 35 ans, sous tutelle, qui semblait perdu, ne comprenant visiblement pas ce qu’il lui arrivait et dont la principale préoccupation était de savoir s’il allait pouvoir retrouver son vélo. L’attente a duré une vingtaine de minutes.

 « Je ne devrais pas vous dire ça en tant qu'OPJ

mais on sait très bien que vous n'avez rien fait. »

Nous avons ensuite été emmenés au Commissariat de Paris-Centre pour les hommes et à celui du 5ème Arrondissement pour les femmes. Après une période d’attente dans la cour du commissariat, nous avons été reçus deux par deux par un Officier de Police Judiciaire. J’ai été reçu en même temps que le garçon de 16 ans. L’OPJ nous a dit que nous serions convoqués ultérieurement ou placés en garde à vue si nous refusions une convocation ultérieure. J’ai accepté la convocation ultérieure. L’OPJ a d’abord téléphoné à la mère du garçon pour l’informer qu’elle pouvait venir récupérer son fils. Il a ensuite rempli le procès-verbal me concernant, comprenant uniquement des questions administratives, puis prise de photos de face, de profil, de trois-quarts et de dos. Après m’avoir fait signer le PV et remis une convocation pour le vendredi 16 juin au même commissariat, l’OPJ m’a raccompagné jusqu’à la sortie. Dans l’ascenseur, il m’a dit :  « Je ne devrais pas vous dire ça en tant qu’OPJ, mais on sait très bien que vous n’avez rien fait ». Il était 23 h quand je suis sorti du Commissariat de Paris-Centre.

 À ma convocation du 16 Juin, à laquelle je me suis évidemment rendu sans mon téléphone portable, j’ai décidé, en accord avec mon avocate, spécialiste de ces questions, de faire une déclaration spontanée et de ne répondre à aucune question. Je n’ai évidemment jamais eu l’intention de « Participer à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » et le Parquet a évidemment prononcé le jour-même un classement sans suite à l’issue de ma convocation. Cependant, avec mon avocate, nous avons maintenant décidé de demander au Parquet la communication de mon dossier vide afin de dénoncer ces atteintes à l’État de Droit et ce dévoiement à des fins exclusivement politiques des missions de la Police, de la Gendarmerie et de la Justice.

Si j’ai souhaité vous partager cette « expérience », ce n’est pas pour vous intéresser à mon cas personnel qui se noie au milieu de milliers d’autres cas exactement semblables, mais bien parce qu’il s’agit là d’un des multiples dispositifs de répression politique d’un gouvernement haï destinés à judiciariser, criminaliser et finalement mater toute forme d’opposition ou de contestation sociale ou écologiste. Ces interpellations préventives, arbitraires et illégales, ont un but exclusivement politique s’appuyant sur deux objectifs :  d’abord « vider les rues » au moment des manifestations et d’autre part, créer dans la population un climat de peur, qui ferait renoncer à exercer librement son droit de citoyenne et de citoyen à participer à une manifestation de peur d’être interpellé, placé en garde à vue et éventuellement poursuivi. Elles se placent exactement dans la même ligne répressive injustifiable que la récente dissolution des Soulèvements de la Terre, des menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme, de la convocation en commission d’enquête parlementaire d’Extinction Rebellion, ATTAC et Dernière Rénovation et des milliers de personnes blessées dans les manifestations, parfois très gravement, par la répression violente des forces de l’ordre et dont certaines resteront handicapées à vie. Alors que nous sommes en permanence harcelé·e·s et qualifié·e·s « d’écoterroristes » ou « d’ultra-gauche » par un pouvoir aux abois mais plus arrogant et brutal que jamais, nous pouvons constater de la part de ce pouvoir la mansuétude dont bénéficie l’extrême-droite, au Parlement comme vis à vis des groupes ultra-violents et parfois armés qui paradent et agressent dans les rues de nos villes.

Cette dérive sécuritaire et liberticide est extrêmement grave et inquiète jusqu’au-delà de nos frontières. Aujourd’hui, il ne se passe quasiment plus de semaine sans que la France ne soit condamnée par toutes les organisations et juridictions internationales pour ses violences policières ou ses atteintes graves et répétées aux Droits de l’Homme, aux libertés publiques, liberté de manifester, liberté de circulation, liberté d’expression ou liberté de la presse et parfois même pour « actes de torture et de barbarie ». En France, cette situation est même dénoncée par des institutions d’État comme la Défenseure des Droits et la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté.

La France n’est évidemment pas une dictature, et prétendre le contraire comme on peut parfois l’entendre est juste stupide. Mais s’il est certain que nous ne sommes pas en dictature, il est également certain que nous ne sommes plus tout à fait une démocratie pure et reconnue comme telle aux yeux du monde. Peut-être une forme de « Démocratie autoritaire » ou « Démocratie policière ».

Pour ce qui me concerne, je tiens cependant à préciser que de l’interpellation par les gendarmes jusqu’à ma sortie du Commissariat de Paris-Centre et ma convocation du 16 Juin, tout s’est déroulé de manière correcte et respectueuse des personnes. Je remercie mon avocate ainsi que les élu·e·s et mes collègues du groupe Les Écologistes pour leur soutien à l’occasion de ce « retour d’expérience ».

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