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Billet de blog 24 mars 2022

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Avez-vous vu NESSI, le monstre du Loc Ness est de retour.

Depuis une quarantaine d'année apparaît de temps en temps une brillante idée sans cesse recyclée : toute indemnisation sociale doit avoir sa contrepartie sous la forme d'un travail minimum. Pourquoi cette "innovation" ne marche jamais sans qu'elle fasse l'objet de la moindre analyse. D'où le parallèle avec le monstre du Loch Ness.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jamais en panne d'imagination dès qu'il s'agit de suggérer un recul social, le président candidat annonce un nouveau scoop avec sa réforme du revenu de solidarité active  (RSA). Au nom de la prétendue « dignité » de ses bénéficiaires, il sera décidé d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine » à une « activité permettant d’aller vers l’insertion ». Payée à quel pourcentage du SMIC ? ce n'est pas encore précisé.

 C’est l'absorption par le modèle social français singulièrement inspirée du « workfare » promu par Richard Nixon aux États-Unis au début des années 1970 qui réapparaît une nouvelle fois à l'image de la légende écossaise. Il s'agit d'assujettir l'octroi de prestations sociales à un travail fourni par l'intéressé concerné.

 Alors voilà bien une belle idée ! Novatrice, moderne et démagogique en diable. La première remarque que dénote cette brillante proposition c'est déjà qu'une fois de plus les gens de pouvoir estiment que l'histoire commence lorsqu'ils accèdent aux responsabilités. En ce sens on ne bouscule pas la nouveauté - qui était déjà dans les tuyaux en 2017 d'ailleurs…-.

 Il est assez ahurissant que l'on se préoccupe si peu de savoir si une idée aussi géniale n'a pas déjà été avancée, si elle a abouti, si oui ou non elle a fonctionné… et particulièrement pour celle-ci, pourquoi elle n'a pas fonctionné.

 Il serait intéressant de faire l'inventaire des moments où elle a été mise en circulation depuis au moins trente ou quarante ans dans ce pays. Même en recherchant sa source d'inspiration américaine.

 Cette superbe inspiration repose sur un postulat, c'est que toute indemnisation du type RSA (les appellations nombreuses et imagées ont parsemé diverses mandatures) ne pouvait se concevoir sans contrepartie de la part des intéressés, lesquels ne pouvant être que des fainéants ou des bons à rien, qui ne se bougent pas beaucoup pour trouver ou retrouver un emploi… Et qu'il fallait donc que la puissance publique s'attache à exiger de leur part qu'ils méritent ladite indemnisation… à la sueur de leur front comme dirait l'autre.      

Les modalités de ce travail sont encore inconnues, élémentaire Monsieur Watson… mais les bénéficiaires du RSA devront, dans les faits, effectuer un mi-temps pour une rémunération proche de la moitié du salaire minimum donc à coup sûr, un sous salaire, bref un salaire en peau de lapin.

La mise en œuvre concrète de cette réforme, également défendue par la candidate LR, risque de poser problème mais l’idée est claire : il s’agit de "déligitimer" les prestations sociales en tant que telles, de soumettre ces prestataires à une logique marchande et d’exercer une pression sur la partie du monde du travail la plus mal payée en intensifiant la concurrence.

Au besoin on habille la mesure en lui conférant le rôle de redonner de l'utilité sociale à des gens qui en sont, au moins momentanément, quelque peu privés ou dépourvus. 

 Encore une fois cette idée ne fonctionne pas, elle permet tout juste de montrer ses muscles surtout en période de campagne électorale, et de caresser dans le sens du poil une certaine frange d'un électorat que l'on voudrait attirer à soi. Quitte à se disputer de surcroît la paternité de cette idée prédisposée à s'ensabler tout comme ses petites soeurs précédentes.

 Alors pourquoi ?

 Hasardons deux ou trois explications

 La première … Simplement parce qu'elle est populaire, sur le papier, mais que sa mise en œuvre et son application constituent une autre paire de manches.

 La preuve c'est que cela ne s'est jamais mis en place. Pour autant on a vu réapparaître le concept à maintes reprises, sous des formes diverses et variées au cours des quarante dernières années. Et à chaque fois il y a suffisamment de gogos pour penser que l'idée est géniale, novatrice, et sans aucun doute révolutionnaire.

 L'Histoire est décidemment une matière qui n'a plus prise sur nos concitoyens dont la curiosité est vite atteinte par ses limites.

 La seconde… c'est que cela exige une logistique d'une certaine importance. Qui va se charger de la mise en œuvre ? de l'organisation ? des différents contrôles dont notre pays, et singulièrement les inspirateurs de telles usines à gaz, sont de généreux pourvoyeurs. Vient ensuite la question : "du tiroir caisse" qui va payer pour que le système devienne déjà une réalité, et ensuite qu'il soit viable ?

 Même ceux qui ont eu le nez à un moment donné de proposer au secteur associatif de prendre en charge le bébé… le recours au bénévolat n'a pas marché. Etant donné qu'on a renoncé à refiler la patate chaude à une administration ou à une quelconque institution, voire une entreprise, on a laissé à chaque fois le projet s'éteindre naturellement. Il est possible de faire preuve de beaucoup de créativité en la matière mais le résultat est toujours le même.

 Bref la conclusion est toute simple : il vaut mieux se contenter de gérer tranquillement et intelligemment les indemnisations plutôt que d'intégrer la dépense correspondant à la mise en place de ce système. Cela coûte indéniablement moins cher, en l'occurrence aux finances publiques.

 Reste à trouver le courageux (ou la courageuse) qui osera l'avouer. 

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